À la source de Madeline : 12 juillet 2006 – 06 avril 2007, journal de bord d’une libraire

  • Publication publiée :16 juillet 2017
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12 juillet 2006
J’ai repris le travail hier, après cinq mois de congé. Retrouvé les plaisirs simples, passer la main sur les couvertures, refaire des piles, ranger, feuilleter, rêver. Retrouvé les mots, qui guident. Une mère qui cherche partout ce dernier livre pour lequel les critiques sont si bonnes, et que l’on n’a pas aimé. Ça tombe bien, on n’en a plus. On peut lui conseiller autre chose. Rien, sinon « j’ai adoré », n’est sans doute plus réjouissant pour un libraire que de dire « j’ai détesté ». Et puis, de fil en aiguille, conseiller des livres pour le frère, la sœur, le neveu qui ne lit pas, le cousin qui n’aime que le foot. Passer du temps, chercher, remuer. Je pense souvent que c’est comme un trésor, ou comme, peut-être, fouiller les rivières pour y trouver de l’or. Et puis cette jeune femme, que l’on regarde chercher, longtemps. Elle se décide enfin, vient me voir. Elle parle tout bas, il faut presque tendre l’oreille. Elle aimerait un livre sur la peur de la nuit, du sommeil. C’est une demande  classique, on lui montre quelques titres. Mais ce n’est pas exactement ça. En parlant un peu, en s’appuyant toujours sur les livres, on comprend que pour cet enfant, derrière la peur du soir, il y a sans doute autre chose. Les mots sortent. Un divorce récent. Des angoisses d’abandon. Pour que cette jeune femme reparte avec le livre qu’elle voulait, qui va l’aider à parler à sa fille, on n’a pas compté le temps. On a remué plein de rayons et plein de fantômes. Il en faut, du courage, pour parler de sa vie à un libraire. Je m’assieds quelques minutes. Je repense à toutes ces demandes qui m’ont presque fait  monter les larmes aux yeux. Je revois des mains serrant les livres, s’y agrippant comme un espoir. Je revois ce petit livre posé sur mon lit d’adolescente. Passé dans les mains de l’écrivain, du libraire, de ma mère. Je sais depuis longtemps que les livres n’existent vraiment que lorsqu’ils trouvent leurs lecteurs. Sans fierté plus grande que d’y contribuer.

09 novembre 2006
Ça fait huit jours que c’est novembre avec le froid, les manteaux, la nuit qui tombe sans qu’on ait vu le jour déjà et les livres de noël qui mangent la place aux autres. La réserve est pleine de pirates et de dinosaures et je continue de défendre des livres invendables. T’es arrivé sur les coups de six heures moins dix, tu t’es assis sur la chaise qu’on avait préparée pour toi et t’as lu des extraits de ton dernier livre. Treizième avenir. Je me suis faite toute petite, assise sur les marches. Et c’était plus novembre, c’était l’été. Ou quelque chose qui y ressemble. Je vais chasser les trilogies interchangeables, demander aux sorciers, au Petit Nicolas et aux dragons de revenir l’année prochaine et je vais mettre ton livre en piles sur toutes les tables. Ça fait huit jours que c’était novembre et il suffisait d’entendre ça. Qu’aimer fait partir tout ce qui va pas.

15 novembre 2006
Les jours où ça ne va pas, je suis libraire à défaut d’être éditeur à défaut d’être écrivain. 
Les jours où ça va, j’ai vendu Skellig, Eva aux mains bleues, L’amour hérisson, Le rêve de Léon, ou Voilà pourquoi les vieillards sourient. Les jours où ça va, j’ai accueilli une classe de 5e d’un collège comment on dit maintenant ? « ambition réussite » et au bout de deux heures ils ne m’écoutaient plus depuis longtemps, plongés dans leurs livres. Les jours où ça va, on pourrait se passer d’allumer la lumière, parce que y’a Jeanne Benameur qui est entrée dans la librairie, avec ses cheveux presque roux, ses écharpes et ses mots. Les jours où ça va, y’a cette petite fille qui dresse la liste de tous les livres de Mourlevat qu’elle a lus… Celui-là je l’ai lu, celui-là aussi, celui-là aussi, celui-là aussi… Y’a cette grand-mère à qui on a fini par trouver ce vieux conte des Belles histoires qu’elle a lu si souvent. Cet ado qui ne vous dira jamais et surtout pas dans les yeux qu’il a aimé Il y a des nuits entières mais vous devinez rien qu’en le regardant qu’il vous remercie. Cet homme qui était entré pour une peluche, un train, un ballon, n’importe quoi, c’est pour mon neveu, mais pas pour un livre, et qui repart avec Quartier Lointain. Pour lui. Les jours où ça va, y’a cette représentante qui n’a plus depuis longtemps de livres dans son gros cartable mais un bel ordinateur portable qui me raconte avec plein plein d’étoiles dans ses yeux un album qui a l’air tellement bien qu’on en achète des tas.
Y’a même des fois plusieurs de ces choses peuvent se passer le même jour. Ces jours-là, vraiment, vraiment ça va.
La première phrase de cette chronique ? Les jours où ça ne va pas sont très, très peu nombreux.

19 novembre 2006
Il y a quinze jours et même si c’était loin on a roulé jusqu’au château de Saint-Priest pour entendre Anne Herbauts et voir Gianpaolo Pagni. On est rentrés avec des sacs plein à craquer de notre marché au bonheur de notre grenier aux trouvailles. Super fiers. Ce dimanche, on a changé, on est partis un peu plus au sud, à Aubagne, et sur la route au matin y’avait les oranges, les rouges des feuilles d’automne. Ça faisait comme des incendies. Me promener à tes côtés et te montrer des livres comme on présenterait des personnes, te faire lire Ces matins-là et qu’on ait toutes les deux au même moment les larmes qui montent aux yeux. Rire de te voir acheter les livres qui traînent depuis des semaines au pied de mon lit. De temps en temps, Cahier du Temps, Quatre points et demi. Et puis reprendre la route du retour avec le soleil qui se couche sur tes mots, tu parles des livres comme si c’étaient des gens, comme si c’étaient des mondes. Le jour s’est couché aux anciens pâturages avec un thé pour réchauffer, des trésors qu’on tire des armoires comme de vieilles photos, dans un sac Désordre au paradis avant qu’on ne le trouve plus et t’as cueilli une rose glissée par la fenêtre ouverte. Elle est sur la table. Lorsqu’elle aura perdu ses pétales, sans doute qu’il sera l’heure d’une autre visite, d’un autre salon, je passerai une nouvelle fois de l’autre côté de la barrière, je me ferai touriste, je promènerai mes yeux et mes souvenirs sur les tables des éditeurs et repartirai regonflée. Lundi prochain, Montreuil.

01 décembre 2006
1er décembre et je croisais tout à l’heure des enfants torse nu près des rampes de skate. Moi je voudrais un noël de neige de bois de chocolat de cheminée.
La vague de nouveautés enfin s’est retirée. Jamais assez de place sur les tables pour tout mettre. Jamais assez de mes vingt-quatre heures pour lire tout ce que j’aimerais. Peu de titres vont rester après les fêtes. Je me rends compte que ceux que j’ai envie de partager sont des livres presque muets, parfois sans texte, des livres qui, dans la cacophonie de ces dernières semaines, me parlent différemment. Le violoniste, de Gabriel Vincent. Monde englouti, de David Wiesner. Domino de mots, de Béatrice Fontanel et Séverin Millet. Je ne suis pas comme les autres, de Janik Coat. Jour de neige, de Komako Sakaï. A l’inverse, les livres bruyants me font peur. Ceux qu’on oublie dans l’instant et qu’on n’a lu pour rien. Pas ceux qui font du bruit, de ce bruit réjouissant qui réchauffe même si on n’a pas vraiment froid. Le quartier enchantant, chez Actes Sud Junior, un livre-cd dans lequel les Fabulous Troubadors et les Bombes 2 Bal réveilleraient n’importe qui.
Je repense aux mots de Philippe Godard dans le dernier numéro de Citrouille, aux « barils de romains et de gaulois ». Le baron perché vient d’éditer un livre tout de silence, un livre qui donne la parole à ceux qui ne l’ont jamais. Dans la rue dresse le portrait de ces anonymes qu’on finit par ne plus voir. Ils retrouvent un nom, une histoire, une dignité. Un visage aussi, sous les pinceaux d’Olivier Tallec. Et on ne dira jamais assez à quel point on aime les peintures d’Olivier Tallec.
Montreuil, c’était trop court, trop de monde et trop chaud, encore. Mais c’était aussi des gens, qui défendent des livres. Et même quand il y a trop de monde, trop de bruit, trop de livres, on arrive encore à s’échapper quelques minutes, au milieu de ces archipels qui vous font croire qu’ailleurs est pas très loin d’ici.

08 décembre 2006
Les samedis de décembre souvent par des éclats de rire se terminent. Je me dresse sur la pointe des pieds pour fermer le crochet de la porte qui sur des centaines de parents et de grands-parents se referme enfin. Et le rire vient quand les épaules retombent, quand les muscles se relâchent, quand la fatigue ose dire son nom après toutes ces heures passées à conseiller, à monter, descendre l’échelle de réserve, à se plier pour porter des piles de livres, à courir, un sens, l’autre, enregistrer, emballer, empaqueter, sourire, remercier. Et le rire parfois vient en écho aux larmes qu’un peu plus tôt à peine on avait versé. 
Samedi dernier, elle m’a montré La première fois que je suis née et de toutes petites larmes sont allées s’échouer en réserve. Juste un moment après, une femme m’a demandé un livre sur la mort pour des enfants d’une dizaine d’années. Je l’ai menée jusqu’aux étagères du fond, la mort et la naissance sont l’une en dessous de l’autre, quelquefois je me trompe d’étage, un livre sur la naissance vient se perdre au milieu des livres sur la mort et cela fait longtemps que je ne crois plus au hasard. On a parlé un peu, montré quelques livres, et puis je l’ai laissée, seule, décider. Je jetais des coups d’œil pour voir si tout allait bien et j’ai surpris ses larmes. Elle avait Tu existes encore dans ses mains et dans ses yeux je lisais les mêmes mots. 
Il était bientôt dix-neuf heures. J’attendais l’éclat de rire. Je le sentais trépigner dans le fond du ventre. Alors juste avant qu’il n’arrive j’ai été chercher dans le bac La vie bercée et je te l’ai fait lire. Et t’as pleuré. Et j’étais désolée parce que je ne voulais pas te voir pleurer je voulais juste te faire partager ce que j’avais aimé, mais tu m’as dit laisse, c’est rien, heureusement qu’il y en a, des livres qui font pleurer. 
Vendredi. Sans doute que demain, avant l’éclat de rire, je trouverai quelque part un livre que je n’ai pas encore ouvert et qui me fera pareil. C’est sans doute pour ça qu’on lit. Pour rire et pour pleurer. L’un après l’autre.

15 décembre 2006
Ça y’est c’est décembre et j’ai froid, c’est le presque hiver et dehors quand je souffle ça se voit, Noël est dans une semaine à peine et les réserves sont toujours pleines de dinosaures et de magiciens, je continue de raconter sans me lasser l’histoire d’un 20 décembre, dans la forêt… Chaque année il y a un livre que l’on raconte toujours plus que les autres, cette année c’est celui-là. Ours qui lit sera sous le sapin de plusieurs gamins.
Hier soir réunion de Grain de lire, et après la réunion, resto italien. Entre deux chansons à l’accordéon et quelques pâtes on a parlé pour oublier les cocktails molotov tirés dans le collège de l’une et les crachats sur les cheveux des filles dans l’école d’une autre. On a parlé de La cité des livres qui rêvent, de L’histoire sans fin, de La maman et le bébé terrible et puis encore de La vie bercée et de l’article de Michel Piquemal. 
Je ne quitte pas ma blouse de libraire en fermant la porte de la librairie. Je suis libraire dans les réunions, je suis libraire même au resto, je suis libraire lorsque le soir je m’endors sur le dernier roman de Fabrice Colin qui me passionne pourtant. Quand elle m’a demandé si j’avais fait des études pour ça, j’ai dit non, après j’ai dit si, pourquoi je réponds non, si, j’ai fait des études pour ça. Je sais pourquoi très vite j’ai répondu non. Parce qu’on n’apprend pas à aimer les livres comme ça. Pas besoin d’études pour ça. Je suis libraire et c’est comme une seconde peau, je sais que bientôt, janvier sera là, avec la librairie presque déserte après la foule de ces derniers mois et les cartons de retours qu’on n’a pas envie de faire, je pense au livre de Beatrice Alemagna que tu avais amené hier, Après Noël. Après Noël y’a quelque chose dans l’air d’incroyablement triste et pourtant c’est comme si tout allait renaître, comme après les premières neiges. 

22 décembre 2006
Mon petit loup a neuf mois. Il tourne les pages des gros livres tout carton, froisse celles des autres, tape sur la tête des personnages et essaie, je suppose, de les attraper en grattant sa petite main tout contre. J’ai compris qu’il fallait raconter plusieurs fois de suite la même petite histoire pour qu’elle ait un intérêt et j’ai appris à faire le lapin de Soledad Bravi. On écoute A pas de velours, Comptines russes et Quartier Enchantant. Dorénavant, je citerai uniquement les livres qui auront son assentiment. Et je suis enfin rassurée vis-à-vis de cette question existentielle : est-ce que ça me plaît juste à moi ou aux enfants aussi, accessoirement ?

29 décembre 2006
Décembre se termine et j’aurai aimé trouver, dans les livres qui m’ont touché, une phrase à dire, une phrase à la place de bonne année. Mais il y a des livres impossibles à couper. Qu’on veut offrir comme des soleils entiers. Les phrases seules n’auraient rien dit. 
J’ai construit dans ma maison des pyramides et des tours de Babel. Je dresse au pied du lit, sur les bureaux, les coins de table, les angles droits, des piles de livres. Les livres lus, à lire, à relire, ceux sur lesquels j’aimerai écrire quelques mots, ceux pour lesquels je n’y arrive pas, mais que je veux garder pour moi. J’ai une bibliothèque dans laquelle il reste pourtant de la place mais je continue mes piles, les livres vivent mieux comme ça, à s’élever, à chercher le ciel. Pour atteindre celui qui est tout en dessous, je suis forcée d’enlever les autres, et je bâtis comme ça des histoires rien qu’à moi, un jour de neige, dans ma rue, dessine-moi des ailes et un jour c’est sûr, je volerai. 
Décembre se termine et je vais quitter le livre qui m’a accompagné tout le mois, qui n’a pas bougé de mon sac, que je n’ai pas lu chaque jour mais que je savais là. Une bibliothèque de nuages est édité chez Lettres Vives et les pages ne sont pas toutes coupées. Et comme il n’y a rien de plus précieux que cela, comme une robe à défaire, je lisais en écartant les pages et en penchant la tête. Une bibliothèque de nuages n’est pas un livre pour enfant, mais j’en parle quand même. C’est un livre pour tout le monde, pour les mois de décembre, pour les heures sombres, les crépuscules. 
Et je ne couperai pas dedans, même pour dire bonne année. 

05 janvier 2007
De tous les voeux reçus, c’est la tentative la plus belle. Moi je rêve trop petit ou trop grand, même si je pense encore que les remords pèsent moins lourd que les regrets. Pour 2007 je voudrais des colères, des batailles. Hier soir, je marchais vite pour attraper le bus et le soleil en se couchant avait fait les nuages roses. Je pensais au temps que je n’ai pas pour mettre sur les livres que j’ai lus et aimés des mots pour dire aux autres lisez-moi. Et je doutais. Moi aussi. Le temps que je passe à ça, à défendre les livres que j’aime, je ne le passe pas en colères sur les autres. En mars ou avril sortira chez Gallimard jeunesse un roman pour ados dont j’ai oublié le titre, basé sur un fait réel. Une jeune fille qui accouche d’un bébé mort né qu’elle enterre dans la forêt. Le représentant de Gallimard me dit oui, c’est un sujet difficile. Le livre suivant avait pour thème le génocide rwandais. Je repense au Garçon au pyjama rayé, dont j’ai encore la colère nichée quelque part, et pour lequel je n’ai eu aucun écho, contre lequel je ne me suis pas battue, ou pas assez. Comment on avance, si ce n’est pas en luttant ? Le représentant me parle d’un article de Livres Hebdo, que je n’ai pas lu, qui met en cause dans la littérature adulte française le recours quasi systématique aujourd’hui à l’affectif, à l’émotion, au détriment des idées. Et bien l’affectif, lorsqu’il utilise la littérature pour faire pleurer sur des bébés morts nés que l’on enterre, non merci. 
Peu de jours avant Noël, j’ai passé du temps avec une petite dame pour trouver des livres à ses petits-enfants, des jumeaux de sept ans pour lesquels elle ne voulait pas la même chose mais quand même, que ça se ressemble. La petite dame est revenue à peine une heure plus tard, elle m’a demandé si on trouvait en livre le poème de Kipling, Si. Depuis que je suis libraire, je crois que c’est la deuxième fois que l’on me demande ce texte que j’adore. J’ai demandé à la petite dame si c’était pour l’un de ses petits-fils. Non, c’était pour son fils. Trente-neuf ans. Alors pour 2007, tant pis si c’est trop grand, je voudrais passer plus de temps à me battre. Et que la littérature jeunesse, tout autant que les poèmes, construise des hommes. 

12 janvier 2007
C’est la rangée de gauche, une trentaine de livres peut-être, regroupés sous une étiquette « coups de cœur ». D’ailleurs je n’aime pas cette expression. Je voudrais mettre autre chose, nourritures, trèfles à quatre feuilles, mains tendues, îles désertes, étoiles. Je ne suis pas sûre que les gens comprendraient. 
Je veille à ce que ces livres tournent. Parce que j’ai bien sûr plus d’une trentaine d’étoiles. Et ces livres là, quand je les regarde, me disent incroyablement plus sur ma vie que n’importe quel miroir. Quelquefois je me dis que c’est même beaucoup donner de moi, cette sélection, c’est m’avouer, c’est me dire. Lorsque je regarde les gens s’y arrêter un moment, feuilleter, tourner doucement les pages, je me dis je leur raconte quelque chose de moi, dans un livre qui leur raconte quelque chose d’eux. Je peux rencontrer des gens sans leur parler, dans ce petit espace où ils vont piocher mes étoiles. 

20 janvier 2007
Je n’avais pas encore ouvert la porte de la librairie que déjà je la voyais, dehors. Plus grande que les autres, plus vieille, les cheveux tirés en arrière, les traits durs qu’on se fabrique. Elle a refusé de s’assoir. Elle parlait avec violence. D’une voix forte. Elle serrait les dents. Mais elle ne me regardait pas dans les yeux. Elle regardait au sol. J’ai présenté les livres. Répondu aux questions. Ils ont ensuite choisi un roman. Elle ne bougeait pas. Je lui ai dit prends celui-là. Aurélien Malte. Elle n’en voulait pas. J’ai ouvert le livre. Je l’ai à peine feuilleté, je l’ai tellement feuilleté. Page 26. Je lui ai lu. « Dans certaines régions du monde, en Afrique je crois, ou en Amérique du Sud, il existe une espèce de crapaud qui s’enterre dans la boue, à la saison sèche. Il y reste sans boire, sans manger, pendant des mois (…). Il se ratatine, il se déshydrate et se racornit, mais il ne meurt pas. Il attend juste son heure, celle où l’eau reviendra. Et quand les pluies arrivent, que la boue durcie se dissout, notre crapaud revit, et regonfle, et danse (…). Le crapaud de la violence. De la haine pure. Vous le lui enfoncez dans le corps. Le crapaud s’installe dans le ventre de l’enfant, et il est là pour toujours. » Elle regardait toujours au sol. Elle a pris le livre. La documentaliste m’a dit l’autre jour que le livre n’avait pas touché les étagères du CDI. Il circule. Elle l’a lu. Et elle en a parlé.

27 janvier 2007
Vous avez un livre avec un personnage qui s’appelle Louis ? Un livre pour un garçon qui va avoir une petite soeur ? Et là, si je montre un album où un petit garçon va avoir un petit frère, ah non, ça ne va pas. L’enfant ne pourra pas s’identifier. Lorsque je me surprends à demander si c’est pour une fille ou un garçon, je me dis toujours, pourquoi je demande ça ? Et c’est moi, ensuite, qui me désole des catégories ? Je me surprends aussi à chercher un livre sur une petite qui a eu un accident de voiture, c’est-à-dire un livre où la mort survient par accident. Mais pourquoi faudrait-il chercher à ce point la même situation ? Est-ce que ce n’est pas terrible de proposer justement un livre comme un médicament, comme en réponse à des symptômes précis, avec une posologie, une marche à suivre ? Je vais prendre un exemple très bête, mais il me semble que le texte du vilain petit canard a touché… des hommes, non ? Je crois de plus en plus que notre regard d’adulte enferme les enfants, et qu’une partie de la littérature jeunesse qui est diffusée aujourd’hui, conçue pour toucher, comment dit-on, un « public cible », vient de ces dérives là. Ça m’embêterait de participer à ça…
Dimanche dernier, Paris, enfin Montreuil, quand on vient du Sud je suppose qu’on aime dire Paris. Dans le train, le dernier livre de Murakami, Le passage de la nuit. Pourtant je ne suis pas une japonaise de 19 ans qui étudie le chinois. Réunion des libraires de l’association. Tout parait un chantier insurmontable et tout arrive néanmoins. A Beaubourg, Klein, Hergé, Loustal, Mattoti. Lundi soir, tard, sur un pont d’Avignon, s’embrassaient sous la pluie qui battait la mesure deux amoureux. Dimanche prochain, je déballerai les livres des cartons de Saint-Paul. J’oublierai, au milieu du monde, ces journées froides de janvier où se dressent dans la réserve les piles de retours, entre lesquelles on passe la tête à la recherche de clients… Les nouveautés n’arrivent plus, à l’heure où l’on manque enfin de quelque chose de neuf pour balayer les tables de décembre, Romain n’a même plus assez de cartons vides pour les retours, et je lis des livres adultes, avant que tout ce qu’on m’a promis pour mars n’arrive. C’est un drôle de mois.

05 février 2007
Ce soir s’est terminée, pour nous libraires, la fête du livre de jeunesse de Saint-Paul-Trois-Châteaux. Avec le même goût triste que laisse aux enfants la fin des colos. Vite, écrire les images qu’on en garde. L’instit qui chante Un grand cerf. Une autre qui raconte à des gamins hilares Prout de Mammouth. Les mots d’Arnaud Cathrine : « les ados portent leurs différences comme des croix, alors que plus tard, ce sont ces différences qui les tiendront debout ». Kitty Crowther qui danse. Anne Brouillard qui dessine. L’incroyable patience de Michel Van Zeveren lorsqu’il dédicace. Nicole Claveloux. Les mômes qui lisent sous les tables. Sébastien Joanniez qui lit son texte. Demain, je retourne à L’eau vive avec une fatigue toute mêlée d’impatience.

09 février 2007
J’en ai déjà parlé, j’en parlerai encore, de ces gens qui me demandent un livre comme s’ils me confiaient un secret. Je me souviens, au tout début de moi ici, cette jeune fille qui a feuilleté Elle, ce petit bonheur d’Esperluete. Et qui est venue me le payer. Je crois qu’à sa place, je n’aurais jamais osé. Ce petit bout de rien du tout dans la poussette et une maman toute solide et toute forte qui cherchait pour lui un texte sur la séparation. Une grand-mère qui recueillait dans les rides au coin de ses yeux les presque larmes et les secrets de sa petite fille, et qui est repartie avec Le Coeur de Violette.
Au salon de St Paul, lorsque les allées se vidaient, j’allais piocher dans les premières lectures des petits textes à lire vite vite. J’y ai découvert Oreille d’homme, et j’ai adoré. Kurt et le poisson. Les chats volants. Et puis le plus beau, Spinoza et moi, dans lequel un petit bonhomme se débrouille comme il peut entre un père qu’il n’a jamais connu et une mère qu’il croise à peine. A un moment, il dit qu’il essaie de remettre sa bulle au milieu. Comme dans les niveaux. Les choses sont droites lorsque la bulle est au milieu. J’ai eu cette image dans la tête pour le restant de mon grand jour. Et je continue d’y penser.
Xavier est passé nous présenter les nouveautés de Pollen. Chez L’édune doit sortir un petit carré illustré par Lejonc, L’oiseau et la bille. L’histoire d’un petit garçon malade. Xavier parlait et je lisais et puis il s’est arrêté de parler et m’a dit excuse-moi, lis. J’étais à la caisse et Xavier attendait que je finisse de lire et peut-être que les clients attendaient que je finisse de lire mais je voulais savoir. Je voulais lire. 
Ce matin, les mots de Geneviève Brisac, « je ne fais pas de livres pour enfants, j’élève des tigres » et puis le regret que puisque ce sont des textes pour les enfants, on se soucie plus du sujet que de littérature. Hier soir, La main de l’aviateur, un nouveau do à do noir. Aucun ne sera jamais aussi fort que le texte de Guéraud. Quand j’en ai marre des livres de partout, qui s’entassent avant que j’ai le temps de les ranger, je pense qu’il faudrait peut-être avoir une toute petite librairie et ne garder que quelques titres à peine. les indispensables, ceux qui disent quelque chose. Un jour je ferai la liste.

14 février 2007
Elle voulait un livre pour sa fille de dix ans. Elle m’a d’abord dit sur le mensonge, enfin les choses qu’on arrive pas à dire. Je lui ai montré Mon Je-me-parle. Non, c’est pas ça, plutôt un guide, un truc philo, vous voyez. Oui, d’accord. On change de rayon. Je ne trouve pas. Elle voudrait quelque chose comme Comment survivre en famille. Je change de rayon à nouveau. J’ouvre Je fais ce que je peux. Je relis vite quelques mots. Je lui tends. Lui explique. Le meilleur guide qui soit. 
Elle en lit des passages à son tour. Et me dit alors là génial, c’est exactement ça. Vous ne pouviez pas mieux trouver.
Donc il peut pleuvoir des grenouilles, on peut refaire trois fois l’inventaire, je crois que ça m’est bien égal. Elle a pris Je fais ce que je peux à la place de Comment survivre en famille. Wouah. 

17 février 2007
Y’avait un soleil de dingue. On avait dit 10 heures mais ils attendaient déjà derrière la porte. J’ai poussé les tables. Jean-François a parlé de la librairie. J’ai présenté des livres. J’étais émue de parler de certains textes. Je me rendais compte que je disais souvent  « c’est un texte très fort ». Je piochais alors volontiers des petits textes courts, d’aventure. Pour souffler un peu. Lorsque j’ai terminé ils se sont levés pour choisir les livres, alors qu’on leur avait dit de rester assis. Ils levaient la main comme j’avais oublié qu’on pouvait le faire. Haut, très haut. Ils se disputaient pour avoir le même livre. Une fille disait à une autre « prends c’lui là s’te plait, prends c’lui là ».
La professeure de français, à côté de moi, m’a chuchoté « c’est Noël ». Ça y ressemblait.
Marie-Georges a trouvé Poucette, illustré par Claveloux, aux éditions des Femmes. Quand papa était loin, de Sendak. Et Reviens sapin, d’Anne Brouillard. Christian est passé hier. Il s’en va, après trente-deux ans. Je voulais de la colère, j’étais juste triste. Hier soir j’ai terminé Naufragée, de Sylvain Estibal. Et commencé Adieu la chair, de Julia Kino. L’autre jour une dame m’a demandé un livre drôle pour un ado. La colle.

23 février 2007
Jeudi. De ces jours qui semblent en durer trois, qui s’étirent et que l’on traîne comme une fatigue. Lorsque je suis arrivée Micheline était déjà là. Elle est partie un peu avant 13 heures, après avoir rempli douze cartons pour la médiathèque. Francis était là vers onze heures, pour les nouveautés d’avril. Et Anne à quatorze heures. J’ai ouvert les nouveautés d’Harmonia, trouvé encore quelques livres pour les retours, fait des petits mots sur quelques livres, passé une grosse commande de réassort. Une maman est partie avec les Secrets de Faith Green, Kurt et le poisson et Spinoza et moi. Chouette. La veille, une autre avait dit à sa fille « t’auras pas de hula-hoop si t’as pas choisi un livre ».
Lorsqu’au soir j’ai quitté la librairie, c’était pour une réunion de Grain de Lire. Elles ont dû refaire le dossier de subvention, pour y faire figurer les termes « social », « prévention de l’illetrisme » et « publics en difficulté ». Il y a des mots magiques. Culture n’en était pas un. Marie-Georges avait amené les livres de Hélène Riff. Hélène a parlé de L’agenda. Peut-être que je devrais aller plus loin que les quelques pages du début. Et puis Laurence a sorti de son joli panier des trésors à paraître, et j’ai serré contre moi L’étincelle, de Jean-François Chabas. Il y a des livres comme des personnes, que l’on embrasse, que l’on serre. Il était plus de minuit quand j’ai lu les premières pages, abandonné au pied du lit les quelques livres ouverts. Lorsque Noé s’est réveillé, c’était deux heures, et je venais de rêver d’un terrible incendie, qui ressemblait sans doute à celui qu’avait allumé Angie.

01 mars 2007
Entendu hier : « Le papa de Paul, maintenant, c’est une maman ». Heureusement, ce papa pédagogue ne m’a pas demandé un livre sur le sujet.
C’est une belle période. C’est bientôt le printemps. Yvette a fait une vitrine poésie, avec plein de petits poèmes accrochés aux branches des arbres. Marie a recopié un bout de Liberté. J’ai de nouveau des piles de livres qui s’entassent et vascillent, plusieurs ouverts et commencés, d’autres sur lesquels je cherche encore mes mots. Ma soeur m’a dit c’est très bizarre que tu écrives « on » dans tes critiques. Ma maman journaliste lui a dit qu’on ne disait pas « je ». Mais ma soeur a peut-être raison. J’ai écrit tout à l’heure une critique avec des « je ». Oui, c’est bizarre. Lorsque j’étais étudiante en métiers du livre, je pensais – espérais – travailler dans l’édition. Et j’affirmais que vendre des livres, c’était quand même vendre, que ce soit des livres, ou des savons. On dit n’importe quoi, parfois. Je lis. Je parle. J’écris. Il y a un album qui m’embête, sur les tables. Murmure. J’attends de lire ce qu’en pense Marie, de Nemo, qui l’a réservé. Il faudrait que je reprenne la lecture de Adieu la chair, qui me bousculait pas mal, aussi. En attendant je lis Comme un poison dans l’eau, et ça me plait. Les livres écologiques, voilà la nouvelle mode. Et celui-ci est l’un des rares qui ne soit pas préfacé par Hulot. J’ai envie de dire des mots aussi sur La maman du photomaton, mais je ne veux pas dire de bêtises. c’est encore un album sur la mort, en attendant celui d’Erlbruch qui doit sortir bientôt. Ah, et puis aujourd’hui, on a reçu ce fameux texte qui m’avait tant plu, L’oiseau et la bille. C’était un beau jour. Comme si lire des choses sur la mort vous rapprochait de la vie.

19 mars 2007
J’avais dit à Marie, sur la photo, il a l’air gentil. Yvette est allée chercher des chaises au snack d’à côté. Lorsque Rachid Koraïchi a commencé à parler, toute la librairie s’est tue, et c’est comme si soudain, toute la ville se taisait, la terre entière. J’avais un méchant rhume qui m’obligeait à respirer la bouche grande ouverte, alors j’ai pu avaler tout entier ses mots. La bouche grande ouverte, je l’ai écouté raconter son enfance en Algérie, l’école coranique dès le lever du jour, la glace qu’il fallait briser pour recueillir l’eau des ablutions, les versets à recopier et réciter, les longues, longues journées jusqu’au soir où les femmes venaient raconter des histoires aux enfants qui dormaient, serrés les uns contre les autres.
La bouche grande ouverte, je l’ai écouté raconter, ses échanges avec Nancy Houston, sa rencontre avec Chavez, la naissance des livres publiés avec Héliane et Alexandre. En Algérie, on ne les trouve pas. Ils coûteraient un mois de salaire. Rachid Koraïchi a parlé des ses dessins, bien sûr, et a dit, là où nous ne voyons rien, tout a pourtant un sens, le moindre trait une signification. La bouche grande ouverte, j’ai englouti l’histoire des moines de Tibhirine, assassinés en 1996. Lorsqu’il a voulu faire un livre de cette histoire, c’est un monument qui est né. Un monument qui ne pouvait exister alors même que le village n’avait pas de mosquée. Et une fois la mosquée construite, c’est l’eau nécessaire au monument qu’il a fallu amener. Rachid Koraïchi a dit sans doute que les artistes font des livres, mais bien plus encore. Et moi je pensais aux livres qui sont, à eux seuls, des monuments. Le soir, j’ai enfin terminé Adieu la chair, de Julia Kino, chez Sarbacane, et ouvert Dol, de Philippe Squarzoni, aux Requins Marteaux. Lorsque je suis sortie sur la terrasse, la grande ourse devant moi faisait comme un point d’interrogation. Sans doute que les artistes font des livres, et répondent aux questions. 

28 mars 2007
Je suis très heureuse que le livre de Guéraud ait eu le prix sorcières. Et lorsqu’on me dira « c’est trop violent », je pourrai répondre « tu as lu Quand les trains passent ? »
J’attendais beaucoup de cette nouvelle collection, D’une seule voix. Peut-être parce que Jeanne Benameur la dirige. J’ai commencé par Kaïna-Marseille, et c’est un texte magnifique, bouleversant, superbement écrit. J’ai terminé par Quand les trains passent. Et depuis deux jours, je me demande bien ce que je vais dire sur ce livre, si je vais me tromper ou non.
Fabrice Colin en a parlé. Son article était posé depuis plusieurs jours sur le bureau mais je n’y touchais pas, j’attendais de lire le livre d’abord. Mes yeux de temps en temps attrapaient des mots. Johnny. Baise.
Les représentants d’Hachette et d’Albin Michel m’ont tous deux dit dernièrement qu’ils allaient sans doute devoir trouver un autocollant ou quelque chose pour avertir les lecteurs que les livres de Meg Cabot comportaient des scènes… délicates. Mais aussi délicates que soient ces scènes, je ne sais pas quel autocollant j’aurais imaginé pour Quand les trains passent. Fragiles s’abstenir ? L’idée de la collection est de présenter des monologues intérieurs, des textes qui se lisent d’un souffle, sans répit. « C’est une histoire pénible », dit la narratrice. La seule à avoir le droit de parler. Parce qu’elle regrette ce qui s’est passé. Et Suzy P., elle ne parle pas. On ne lui donne rien, et surtout pas le droit de parler. Pas même le statut de victime, puisqu’elle perd le procès.
Je sais que mes doutes, mes questions, reviennent à chacun de ces livres qui « posent problème » et l’on aura beau débattre, on en revient toujours au même. Est-ce qu’il faut dire les choses de cette manière-là ?
Samedi Elisabeth est venue à la librairie trouver des nouveautés pour le CDI. Je tournais autour de la table des ados. Du fantastique, de ces gros livres interchangeables, et des histoires terribles d’ados qui vont mal. Entre les deux ? Je change de rayon, je regarde les romans pour les plus jeunes. Un souffle. Dans le dernier roman de Valérie Zenatti, Adieu mes neuf ans !, Tamara s’inquiète à l’idée de basculer, avec ses dix ans, dans le monde des adultes. Qui n’ont jamais réponse à ses questions, qui ne semblent même pas s’en soucier. Son petit copain lui demande si « c’est la journée internationale des questions compliquées ». On voulait lui dire, à Tamara. Profite, profite encore un peu. Bientôt, ce sera pire.
Moi, j’ai trouvé un compromis. Qui vaut ce qui vaut. Un livre triste pour deux livres légers. Pas drôles, hein, juste légers. Hier, Le cadavre et le sofa, BD sordide au dessin superbe (Tony Sandoval, chez Paquet) et Quatre ?, le dernier volume de la tétralogie de Bilal, auquel je ne comprends toujours rien mais dont le dessin me fascine. Et du coup, Adieu mes neuf ans !, Mona Lisa et moi, Le géant de Sable (Agnès de Lestrade, dont j’aime beaucoup l’écriture), et L’heure du bisou, l’un des derniers albums de Guilloppé, qui est un petit bonheur de tendresse. Deux livres pas drôles du tout contre quatre petits nuages. Recette à appliquer quelques semaines, néanmoins, pour observer des résultats.

06 avril 2007
Samedi dernier, une jeune fille qui prépare le concours de l’Iufm et qui vient chaque semaine prendre des livres m’a fait lire une page de Visions d’un jardin ordinaire, et les rôles se sont soudainement inversés, tout naturellement. Je n’ai pas su lui dire, mais j’ai énormément apprécié ce moment.
Dans l’après-midi, une maman s’agenouille aux côtés de sa petite fille pour lui raconter La chèvre de monsieur Seguin. La petite fille lui demande « pourquoi elle est dans le loup ? » et la mère lui répond « parce que c’est de sa faute, elle a désobéi ». Et moi je passe à côté à ce moment précis et je dis « oh non », toute désolée de cette version des faits. La mère n’apprécie visiblement pas, et me fait des gros yeux.
Mardi. J’ai noté sur les feuilles de réassort les titres à commander et ceux à remettre en rayon. J’ai accueilli une représentante pour travailler les programmes de mai et juin. A midi et quart, j’ai filé m’acheter un sandwich que j’ai grignoté en vitesse jusqu’au parking. A une heure, j’étais assise aux côtés d’une vingtaine d’élèves de la 4e C du collège Paul Giera. Les mêmes que j’avais rencontrés il y a quelques mois pour leur présenter des livres, et qui m’en parlaient, à leur tour, aujourd’hui.
Je suis revenue à la librairie vers 14 h 30, je crois. J’ai trié assez vite le retour d’office d’une bibliothèque et rangé, en rayon et en réserve, certains titres que je voulais garder. J’ai rangé, rangé, rangé. Vers dix-sept heures, j’avais normalement terminé ma journée, mais je me suis réfugiée dans le petit bureau du fond pour rédiger des critiques pour le prochain numéro de Citrouille. A dix-huit heures trente, j’ai couru jusqu’au Cddp pour la réunion de Grain de lire.

Lorsque je suis rentrée, très tard, j’ai décidé que pour un moment, j’arrêtai. Je fais une pause. Pas dans le travail, mais dans le regard que ces chroniques portent dessus. J’ai peur de l’habitude, j’ai peur de la lassitude aussi, sans doute. Je m’en vais avant d’être trop fatiguée. A l’idée même de me relire. Mais je reviendrai… !

Madeline Roth