Albertine et Germano Zullo : la liberté en eux.

  • Publication publiée :15 octobre 2017
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Albertine et Germano Zullo
À l’occasion de leur venue à la librairie Callimages, Brigitte Renou s’est entretenue avec Albertine et Germano Zullo, les auteure et illustrateur de Les oiseaux, un album jeunesse que cette libraire tient pour un des plus beaux qu’elle connaisse.


BRIGITTE RENOU: Albertine et Germano, je vous vois tous les deux comme de grands et facétieux observateurs du genre humain, me trompé-je?
ALBERTINE ET GERMANO ZULLO: Nous sommes en effet très attentifs à nos capteurs sensoriels… L’une utilise volontiers le mot observation quand il s’agit d’expliquer le moteur de son processus créatif. Son regard sur le monde est ainsi d’abord actif et la facétie est probablement son angle de vue préféré.  L’autre est un contemplatif et son regard sur le monde est d’abord passif. Cette neutralité lui permet peut-être de mieux appréhender l’universel.


Je voudrais savoir comment naissent vos histoires, vos personnages?
Nos histoires sont avant tout le fruit de nos expériences de vie. L’un et l’autre recueillons et développons des idées de manière singulière. Certaines sont ainsi partagées et donnent lieu à nos collaborations. Nous restons très attentifs au dialogue: il s’agit avant tout d’entendre l’autre. Nous considérons ensuite les idées comme de la matière vivante. Nous faisons en sorte de les servir et évitons au maximum de les contraindre à notre volonté. Cela permet beaucoup de liberté et restons à chaque fois émerveillés par les multiples ressorts qui peuvent ainsi se révéler. Nos livres sont toujours véritablement composés à quatre mains. Les termes d’auteur et d’illustrateur nous paraissent avec le temps de moins en moins appropriés à définir notre travail en commun.


Il y a une telle poésie, une telle tendresse pour vos personnages que j’ai du mal à vous imaginer faire un livre de commande en dehors de vos contributions individuelles, mais je me trompe sûrement…
En effet, nous n’avons jamais sacralisé notre pratique artistique et restons ouverts à toutes sortes de propositions. Une commande peut se révéler passionnante à traiter, elle peut représenter un défi, être le fruit d’une belle rencontre et parfois aussi répondre à une nécessité économique. À chaque fois cependant, nous nous efforçons de rester proches de ce que nous croyons être.


Comment se passe votre collaboration avec la Joie de Lire?
Nous avons la chance de travailler avec un véritable éditeur. Dans le sens où la qualité littéraire et artistique prime toujours sur les tendances ou le marketing. Il ne s’agit donc pas ici de produire du livre, mais bien plutôt d’enrichir les imaginaires et de nourrir la pensée. Les conseils ou suggestions de notre éditrice, Francine Bouchet, sont toujours judicieux – elle s’est par ailleurs entourée d’une petite équipe formidable et aux compétences immenses –, elle nous suit dans nos libertés et nous accorde une grande confiance. Ce sont des qualités rares, nous semble-t-il. Trop d’auteurs sont contraints dans une ligne éditoriale prédéfinie ou maintenus dans un style en vogue. On en fait alors, bien malgré eux, des sortes d’employés. La Joie de lire fête cette année ses trente ans, nous sommes très fiers de figurer dans son catalogue!


Germano, dans Les oiseaux un des plus beaux albums jeunesse que je connaisse – tu écris «Les petits détails sont faits pour être découverts». Est-ce comme le bonheur qui se cache dans des petits instants?
Nous pouvons en effet parler de bonheur, mais je crois surtout que ces petits détails sont aussi nombreux qu’il existe de manières de capter le monde. Ces singularités me semblent essentielles et nous avons malheureusement tous tendance à les occulter au bénéfice d’une perception le plus souvent formatée, courte et uniforme. Les oiseaux est un appel aux libertés contenues en chacun de nous.


Dans Les robes, il y a une grande mixité dans ces portraits d’enfants, on sent que vous n’avez voulu oublier personne, les cabossés de la vie, les premiers de la classe, le monde de l’enfance n’a aucun secret pour vous.
Il nous a toujours été difficile de distinguer aussi clairement les phases de la vie: enfance, adolescence, adulte, vieillesse, quatrième âge… Ces termes sont pratiques d’un point de vue social, mais inadéquats quand on parle d’individualité. Une expérience de vie ne peut pas se cristalliser en fraction de temps. Dans Les robes, nous dressons le portrait de quelques enfants, mais ces caractères sont inspirés d’observations faites sur des individus de tous âges.


Si vous deviez les décrire, comment seraient les robes d’Albertine et Germano?
Pour Albertine, la tendance serait aux couleurs du ciel, voire de l’univers. Une robe à la française, à la fois élégante et baroque. Pour Germano, nous serions plutôt dans les tons d’automne. Une robe ample, mais néanmoins pratique et qui comporterait de nombreuses poches.


Comment travaillez-vous tous les deux: par quoi commencez-vous, le texte ou le dessin?
Nous discutons énormément de l’idée en amont de la réalisation, nous lui laissons la place et le temps qu’elle souhaite. Il est hors de question pour nous de contraindre une idée. Il s’agit avant tout de la servir. Ensuite, c’est Germano qui commence. Il écrit un scénario, très détaillé, même pour les livres ne comportant aucun texte.


Où travaillez-vous, dans un atelier, chez vous?
L’atelier d’Albertine est au rez-de-chaussée de la maison. L’écrivarium de Germano se situe juste au-dessus. Ce sont des lieux essentiels au processus créatif. La concentration que l’on y trouve est toujours bien plus intense qu’ailleurs.


Combien de temps pour faire un album?
Comme nous le disions plus haut, cela dépend de l’idée. Nous avons pu réaliser des albums en moins d’une semaine, d’autres sont en gestation depuis plusieurs années. Certaines idées sont nées il y a près de vingt ans et n’ont toujours pas atteint leur maturité. Ces idées sont par ailleurs intimement liées à notre expérience de vie et par conséquent en constante évolution. Cette évolution est un facteur important et passionnant, mais pas toujours facile à cerner, contrairement à la maturation.


L’enfance est la matière première de vos derniers albums, que l’on soit Le président du monde, ou bien un enfant qui s’apprête à affronter la nuit dans Des mots pour la nuit dont le texte a été signé par Annie Agopian. De même, Albertine, tes personnages adultes ressemblent à des enfants qui auraient grandi trop vite, un peu empêtrés dans des corps dont ils ne savent que faire. Est-ce une façon de nous rappeler que nous sommes tous des tout-petits?
Nous ne tenons pas à sacraliser l’enfance. C’est un travers dans lequel il est facile de tomber: une géographie de l’insouciance, de la sincérité et de la vérité… Nous nous souvenons de nos enfances, mais la mémoire œuvre sans discontinuer et reconstruit par strates une dimension bien différente de la réalité. Notre regard tente peut-être de percevoir cette fragilité de la conscience, cet insoluble de l’inconscience. Nous sommes tous en mouvement, en exploration, en découverte, en questionnement. Certains pensent pouvoir figer les choses, mais elle est bien vaine l’œuvre de celui qui s’arrête aux réponses.


Quels livres ont bercé votre enfance, d’abord étiez-vous lecteurs?
Germano lisait Tintin, les fumetti italiens – qui n’étaient pas vraiment destinés à la jeunesse – Blake et Mortimer, des livres de recettes de cuisine, puis ce fut Jules Verne et les collections de science-fiction et d’épouvante… Albertine lisait des contes illustrés. Elle garde notamment un souvenir mémorable de La princesse au petit pois mis en images par Edmond Dulac. Son album de chevet était Le merveilleux chef-d’œuvre de Séraphin de Philippe Fix et pour la bande dessinée, c’était Buster Brown, un conseil de lecture de son grand-père.


Et qu’est-ce qui vous a mené à l’illustration jeunesse?
La rencontre avec notre éditrice Francine Bouchet a été fondamentale. Nous avons participé à un concours pour la réalisation d’un album jeunesse. C’était la première fois que nous composions quelque chose à quatre mains. Notre projet s’est retrouvé finaliste. Francine était membre du jury…


Albertine, tes illustrations tantôt très colorées avec des teintes superbes, très vives, tantôt le dessin au trait, quelles techniques utilises-tu et qu’est-ce qui te fait choisir l’une plus que l’autre?
Je déteste me répéter. Il est essentiel pour moi de continuer d’explorer mon dessin, de faire évoluer mon trait. Pour chaque livre, j’essaie ainsi de trouver le juste langage, celui qui est le plus apte à porter l’idée.


Propos recueillis par Brigitte Renou, Librairie Sorcière Callimages à La Rochelle


Une route désertique. Sur cette route, un camion rouge s’avance. Arrivé face à un précipice, il s’arrête. Le chauffeur en descend et ouvre la porte arrière. Un oiseau s’en échappe puis une multitude… Ils retrouvent leur liberté et voguent vers d’autres horizons. Le chauffeur les regarde s’envoler, le regard triste. Mais, tout au fond du camion, reste un petit oiseau. Il semble ne pas savoir voler, peut-être n’a-t-il jamais connu cette liberté? Avec l’aide du chauffeur, l’oiseau va retrouver sa vraie nature et s’envoler à son tour. Il jette un dernier regard en arrière, laissant le chauffeur seul sur sa falaise puis, aidé des autres oiseaux, il décide de revenir le chercher pour que celui-ci puisse les accompagner et s’envoler à son tour. «Il suffit parfois d’un seul petit détail pour changer le monde…» Dans cet album, ode à la liberté, on retrouve l’essence même du duo que forme Germano Zullo et Albertine. Le texte est sobre et poétique, l’illustration épurée et sensible (ou l’inverse) et de l’ensemble se dégage un pur concentré d’émotion.
Librairie Sorcière Lune & l’Autre à Saint Étienne