Béatrice Tanaka, Celle-par-qui-parlaient-les Indiens

  • Publication publiée :29 octobre 2016
  • Post category:Archives
«Enfant, nous avait confié Béatrice Tanaka, notre cerveau est comme une feuille de buvard. Mieux vaut y graver des choses importantes…» Pour ce faire, l’auteure illustratrice a écrit et illustré plus de 40 livres et albums, traduits en plusieurs langues et qui ont obtenu de nombreux prix. Brésilienne d’adoption, née en Europe centrale et mariée à un artiste brésilien né au Japon, le peintre Flavio-Shiro, Béatrice Tanaka a partagé sa vie entre Paris et Rio de Janeiro. Elle a quitté cette terre pour les contrées du Grand Esprit ce jeudi 21 avril 2016. Voici ses propos publiés dans le n°8 de Citrouille, en avril 1995.

«Enfant, notre cerveau est comme une feuille de buvard toute neuve où tout se grave. Mieux vaut y graver des choses importantes…» Forte de cette conviction, Béatrice Tanaka écrit pour les enfants, auprès desquels elle colporte surtout des contes millénaires. «Si nous y sommes encore si sensibles, c’est qu’ils nous transmettent quelque chose de très important, qu’ils nous aident à mieux comprendre la condition humaine. Il serait dommage de les oublier.» Béatrice Tanaka accompagne ses textes d’illustrations aux techniques toujours reconnaissables bien que très diverses. D’inspiration populaire, leur facture dépend du sens du récit. Elles se présentent parfois comme un mélange de documents et de papiers découpés, un mélange de réel et d’imaginaire.

«Je devais avoir dix ans, en pleine deuxième guerre mondiale, lorsque j’ai lu que les Indiens des plaines avaient un chef distinct de leur chef de guerre. Quand les jeunes gens décidaient une expédition, le sage s’y opposait avant de laisser s’exprimer leur fougue. J’avais également appris que lorsque tous les hommes étaient tués, leurs ennemis adoptaient les femmes et les enfants. Or dans les westerns, les Indiens étaient les mauvais et les Blancs les bons… Aussi l’ai décidé que les westerns mentaient. Je ne suis plus jamais allé en voir un jusqu’à “Little Big Man”. Les Indiens représentaient déjà pour moi un idéal de civilisation. Ils préconisaient une autre façon de vivre, de s’entendre avec ce qui se passe autour et avec nous.

L’Amérique d’avant Colomb est peut-être le continent sur lequel on a fait le plus d’expériences d’ordre social. Cela va de la petite bande à la théocratie, comme celle des Incas. On y a pratiqué tous les stades d’expérimentations sociales en amont de la Viile-Etat ou l’État-Nation, (comme ont dû le faire les sociétés occidentales, même si elles ne s’en souviennent pas). Ainsi, le mode de consultation populaire était bien différent du nôtre. La plupart des ethnies s’opposait à la notion de majorité, puisqu’elle signifiait que cinquante et un individus pouvaient imposer leur volonté à quarante neuf. Alors on discute, on palabre jusqu’à ce qu’on parvienne à un consensus, même si cela peut parfois être très long. Dans la constitution des Iroquois, toute décision importante devait être prise par tout le monde et devait considérer les conséquences de ce choix sur sept générations…

Je pense également à la déclaration du chef Seattle des Duwamish, que j’ai illustrée dans le livre Pour la Terre, dont elle est l’ossature. J’en avais d’abord lu la version brésilienne, et en étais tombée littéralement amoureuse. Lorsqu’un éditeur de Rio, Maura Sardinha, me dit qu’un directeur de lycée lui demandait un livre à propos de la réforme agraire, je leur ai proposé de le bâtir autour de la déclaration du chef Seattle. Le directeur objecta que c’était un texte écologique, pas économique. « Voilà une distinction que n’aurait pas faite un Indien, ai-je répondu. Redistribuez la terre d’une personne à cent personnes qui continuent de la maltraiter, et les mêmes problèmes resurgiront cinq ans plus tard … « . Le directeur finit par accepter ce point de vue, et nous avons pu faire le livre grâce à une co-édition avec l’éditeur français Vif Argent. Certains prétendent que ce texte est apocryphe, mais le fait est que les « Indiens », des Inuit jusqu’en Patagonie, en partagent l’idée et le sens. J’ai essayé, pour l’illustrer, d’utiliser une imagerie d’origine indigène, parfois même de cultures éteintes, comme celle des Mimbres. J’ai eu énormément de plaisir à faire ce livre, et j’en suis très reconnaissante à Lise Mercadé, de Vif Argent. Elle m’a permis d’avoir l’impression de faire quelque chose d’utile… même si c’est une illusion.»

Béatrice Tanaka a écrit et illustré de nombreuses histoires d’autres peuples dans diverses maisons d’édition. Elle pense qu’il est important de penser par ethnie et non par nation. Enfant elle voulait d’ailleurs être ethnologue. N’est-ce pas ce rêve qu’elle n’a jamais lâché en devenant passeuse de contes ?

Paru dans le n°8 de Citrouille, avril 1995
La bibliographie de Béatrice Tanaka: ici.