Bénédicte Guettier : «Je raconte les histoires que m’a soufflées ma fille quand elle était dans mon ventre…» (juin 1997)

  • Publication publiée :6 juin 2016
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CITROUILLE (juin 1997) : Je suis frappée par l’extrême simplification de vos bébés, aux visages ronds et à la mèche de cheveux en point d’interrogation…
BÉNÉDICTE GUETTIER: Je travaille très spontanément, sans rechercher d’effet particulier. J’ai certes passé de longues années à étudier la sculpture, le dessin et la peinture, à travailler dans de nombreux domaines, mais je préfère ne pas le montrer à travers une habileté “technique”. Je veux préserver l’émotion et la fraîcheur, l’innocence des idées qui me viennent quand je m’adresse aux enfants. Lorsque je dessine un bébé, un objet, un animal, je ne réfléchis pas à la façon dont je vais le faire. Je le fais. Le plus dur, c’est de l’accepter et de ne pas le recommencer cent fois, comme à mes débuts. Dans mes dessins de commandes, il y a plus de contraintes, mais j’essaie toutefois de garder la même spontanéité.

CITROUILLE (juin 1997) : Et votre recours aux couleurs vives, cernées par ce trait épais et noir ?
BÉNÉDICTE GUETTIER: J’aime l’encre de chine. Je l’utilise pour ce contour noir depuis longtemps, cela me laisse une grande liberté. Cependant, cela ne me gêne pas de l’abandonner, comme pour Lola, que j’ai réalisé avec un bic et du typex de couleur, c’est-à-dire avec ce qui m’est tombé sous la main dans un moment d’émotion pure. Pour ce qui est des couleurs, je n’ai pas de préjugés. Elles naissent en fonction des histoires. J’ai fait des livres très sobres, à l’aquarelle, ou très doux, aux tons pastels. J’utilise souvent des couleurs assez vives et variées pour des livres très simples, dans leur histoire et dans leur forme, comme Pour qui ce petit bisou ? C’est comme un rayon de soleil qui doit jaillir du livre. Pour qui ce petit bisou ? est d’ailleurs à peine un livre. C’est un petit câlin à deux, qui se conclut par un baiser bien réel. Cette histoire est née comme les petits riens qu’on dit à son enfant, pour lui marquer sa tendresse et le faire rire… Quand on joue ainsi, il n’y a pas d’intention particulière… juste un petit échange dans le plus grand bonheur
CITROUILLE (juin 1997) : “Bébé, Bobo, Bonbon”… Ainsi commence votre Bébécédaire !
BÉNÉDICTE GUETTIER: “Bébé, Bobo, Bonbon”, c’est presque une histoire en soi ; comme ce livre, plutôt qu’un dictionnaire, est la réunion des petites et grandes choses qui constituent la vie d’un tout jeune enfant. La succession de ces mots, dont le point commun est le redoublement d’une syllabe, sonne comme une comptine. Je trouve qu’il y a un grand pouvoir évocateur dans ces mots. Ils disent bien ce qu’ils veulent dire ! Ils sont apaisants, rassurants, comme “dodo” ou “bobo”. Mais la plupart des mots que j’ai utilisés appartiennent également au langage des adultes, qui les reprennent parfois en référence à l’univers des enfants. La citation liée au mot “Lolo” est de Beckett…
CITROUILLE (juin 1997) : Quel rôle jouent, dans vos créations, les histoires entendues dans votre enfance, ou celles inventées par votre fille ?
BÉNÉDICTE GUETTIER: Mon premier livre, Amandine et le lion, est une histoire que racontait ma mère… même si mes frères et sœurs ont hurlé “ce n’était pas du tout comme ça !” quand il est paru… Trognon et pépin est ma première “réelle” histoire. Depuis, je ne raconte plus que celles qui me passent par la tête, ou celles que m’a soufflées ma fille quand elle était dans mon ventre…
CITROUILLE (juin 1997) : Le papa qui avait dix enfants, dévoré par sa progéniture, mais incapable de vivre sans elle, c’est vous ? C’est nous ? C’est un hommage aux “papas poules” ?
BÉNÉDICTE GUETTIER: Je ne sais pas… Mais ça doit me toucher de près cette histoire, car je suis toujours incapable d’en dire un mot… Ce qui me plaît, c’est le voyage : le demi-tour n’est pas un retour à la case départ !
CITROUILLE (juin 1997) : Pourrait-on vous définir par : tendresse souvent, cruauté parfois, humour toujours ?…
BÉNÉDICTE GUETTIER: On dirait une recette ! Je me laisse guider par ma fantaisie. Peut-être est-elle composée par ces trois ingrédients. Maintenant, c’est vrai que ce sont le plus souvent les histoires qui me font rire que j’ai envie d’illustrer. J’aime bien les petits décalages. Récemment, je jouais avec une toute petite fille qui couchait sa poupée. Pendant qu’elle ne me regardait pas, j’ai tourné la poupée, les pieds sous l’oreiller et la tête sous la couette. Quand elle s’en est aperçue, elle m’a dit “non !”, très sérieusement et très fâchée. J’ai recommencé en disant “regarde, ce n’est pas possible, on ne couche pas sa poupée comme ça !”. Une fois, deux fois… Alors elle a éclaté de rire et elle a continué ce jeu elle-même. J’ai aimé l’étincelle qui a illuminé ses yeux quand elle a perçu le jeu. Je crois que c’est quelque chose comme cela que j’essaie de provoquer avec mes livres.