Caca par ci, caca par là…

  • Publication publiée :2 avril 2014
  • Post category:Archives

Croyez-moi ou non, j’étais partie pour faire un article très pointu en sciences politiques, une sorte d’étude socio-économique sur les pays émergents après guerre en fonction de leur PIB divisé par deux, et puis je me suis dit non Véro, le blog de La Boîte à Histoires est assez intello et professionnel comme ça, ne prends donc pas le risque d’égarer une partie de ton lectorat. (Et puis Gigi n’y comprendrait rien). Alors me ravisant, je me suis dit faisons simple, faisons donc un article sur la science du caca.

J’ai bien fait non ? Fédérateur à souhait, frais et printanier (???) ce sujet saura toucher chacun en plein cœur.

Et surtout, même si les apparences sont contre moi, qu’on n’aille pas me dire que je suis obsédée par la question ou que je ne pense qu’à ça, ce serait tout à fait déplacé.

D’ailleurs ne vous fiez pas qu’à l’humour du titre, cet album très documenté est une véritable mine d’informations sur le sujet !

Ici nous apprendrons que les excréments en tous genres, crottes de chiens, fientes d’oiseaux et autres bouses de bisons, ont servi à de multiples usages : les crottes de cachalot sont par exemple fréquemment utilisées dans la composition de parfums, de même que les excréments d’escargot sont l’ingrédient clé d’une crème de beauté congolaise. Mais il n’y a pas que la beauté dans la vie, la santé aussi c’est important: « En Afrique, de nombreux peuples nomades ont pour coutume de baigner les enfants fiévreux dans l’urine de dromadaire ».

En une vingtaine d’exemples, piochés dans différents pays au fil de l’histoire, cet album documentaire nous fait découvrir des utilisations inattendues, drôles, étranges et toujours étonnantes des excréments d’animaux.

Sous des dehors humoristiques, cet album instructif est tout ce qu’il y a de plus sérieux (si,si).

Les magnifiques illustrations pleines pages sont quant à elles de toute beauté. Sur de grands fonds colorés, Frédéric Marais croque avec malice et subtilité les extravagantes propositions du texte.

Les teintes un peu poudrées des illustrations, l’harmonie des grands aplats de couleurs et le trait stylisé font véritablement de cet album documentaire un livre d’artiste.

Frédéric Marais n’en est pas à son coup d’essai; il avait déjà été repéré, entre autres, dans l’album Ephémère aux éditions Courtes et Longues.

Curieux de tous poils, ne ratez pas ce bel ouvrage drôle et sérieux à la fois : vous serez récompensé par un magnifique marque-page fabriqué à partir de bouse d’éléphant et ça croyez-moi ce n’est pas tous les jours qu’on vous le proposera.

Ça vaut le coup non ?

La science du caca
Texte et illustrations de Frédéric Marais
Editions Gulf Stream. 16,00€

(Lire l’interview de l’éditrice ici)

Le caca est rigolo, et même esthète pour celui qui sait le regarder !


Dire que le caca est une religion dans le monde de l’édition jeunesse est à peine exagéré. Chaque éditeur jeunesse qui se respecte doit proposer à son catalogue au moins un titre sur le sujet. Toute librairie spécialisée jeunesse digne de ce nom doit être en mesure d’offrir à sa clientèle le meilleur de la chose dans toute sa diversité. De Tchoupi à Petit Ours Brun (POB pour les intimes) en passant par Crocolou pour ne citer que les plus populaires, tout le monde fait caca ou presque. La façon de faire ayant pour enjeu une forme d’exemplarité, le passage de la couche au pot est, pour l’essentiel de la production du domaine, le schéma narratif traditionnel. Une fois cela bien appris et au delà de la petite enfance (albums et cartonnés), le caca n’aura plus vraiment droit de citer. Tout juste en sera-t-il question à l’occasion du prout… Mais c’est une autre histoire!
Par Gwendal Oulès, librairie Récréalivres (article du n°65 de Citrouille, novembre 2013)

Sur un sujet aussi trivial il est naturellement difficile de garder son sérieux. Et pourtant… Les demandes régulières des parents et les réactions observées à ces occasions nous rappellent, au-delà de l’importance de l’acquisition de la propreté chez l’enfant, combien chacun de nous est différent une fois ouverte la porte des toilettes. Il serait tentant de ramener les précautions oratoires ou la liberté de ton des lecteurs à des considérations psychanalytiques… Contentons-nous cependant de constater comment les auteurs s’emparent du sujet et relevons au passage quelques constantes au fil d’une bibliographie sélective et subjective.

Le caca est rigolo… Et cela dès qu’il acquiert le statut de personnage, ce qui tout bien considéré n’arrive pas si souvent. L’histoire d’amour de Caca et pipi de Bisinski et Sanders chez Loulou & Cie, avec son final sur un tapis volant de papier toilette, en est l’exemple le plus touchant: sa nature odorante provoquant un certain ostracisme, mais armé d’un optimisme vaguement benêt, il trouve néanmoins l’âme sœur…

Le caca se cache… Avec Qu’y a-t-il dans ta couche? de Guido Van Genetchen, et grâce à différents rabats, la couche devient, dans un amusant raccourci transgressif, l’endroit de l’expérimentation de l’altérité et de la découverte de soi. Le livre joue sur une forme répétitive classique avec l’idée du caca comme variante d’un jeu normalement interdit mais nécessaire à la compréhension du monde.

Le caca est, à sa façon, un mystère à résoudre… Sa nature et sa forme nous renseignent sur son propriétaire car, à l’instar d’un indice ou d’une preuve, le caca dénonce! Cette notion de culpabilité contextualisée, dans le genre policier, est à son meilleur dans le fameux La Petite taupe qui voulait savoir qui lui avait fait sur la tête de Werner Holzwart et Wolf Erlbruch publié chez Milan (sous toutes les formes possibles et imaginables). Cette interrogation est poussée jusqu’au bout par Teupeup dans Coco? chez Thierry Magnier au travers d’une quête absurde quasi existentielle. Dans l’impayable revendication identitaire «Non. Moi pas coco. Moi caca» résonne l’idée qu’on porte souvent en soi la réponse à ses propres questions.

Enfin le caca est un esthète… Car grandir est tout un art. Le sens de la situation de Michelle Nickly doublé de la qualité du trait de Jean Claverie font de L’Art du pot publié chez Albin Michel un délice et un classique incontournable. Et c’est dans Pipi et caca au musée aux éditions Palette que le sujet acquiert définitivement ses lettres de noblesse.

Gwendal Oulès, librairie Récréalivres