Carole Trébor, interview d’une auteure Présidente de la La Charte des auteurs et des illustrateurs jeunesse

  • Publication publiée :28 septembre 2015
  • Post category:Archives
 

Union Soviétique, automne 1941. Envoyée à l’orphelinat de Karakievo parce que ses parents sont considérés comme des «ennemis du peuple», Nina Volkovitch a fait le serment de s’enfuir et de retrouver sa mère, emprisonnée dans un goulag de Sibérie. Mais comment s’enfuir d’un tel lieu quand on a quinze ans, et qu’on en paraît douze? Ce qu’elle ne sait pas, c’est que sa mère a pris soin de dissimuler de précieux indices pour l’aider à s’échapper, mais aussi pour lui révéler les dons particuliers qu’elle possède sans le savoir. Car Nina est la descendante des Volkovitch, une illustre famille qui détient des pouvoirs aussi prodigieux que terrifiants. Et c’est elle, Nina, qui représente le dernier espoir face à un ennemi plus menaçant que la dictature soviétique… Nina Volkovitch est en quête de liberté dans une Russie oppressée par son régime totalitaire. Avec cette trilogie, Carole Trébor emmène son lecteur dans une aventure haletante où se confrontent la liberté d’expression et la censure. Magnifique! – Librairie Tire-Lire à Toulouse, pour le dossier Liberté du n°71 de Citrouille Nina Volkovitch: T1, La Lignée – Carole Trébor – Gulf Stream Éditeur

Comment est né le désir d’écrire votre premier roman, et plus particulièrement un roman pour adolescent?
Après avoir écrit ma thèse d’histoire sur les relations artistiques entre la France et l’URSS, puis enseigné l’histoire de l’art à l’université pendant deux ans, je me suis lancée dans la réalisation de documentaires avec l’envie d’explorer un autre langage : l’audiovisuel.
Le passage vers la fiction s’est opéré plus tard. J’ai beaucoup travaillé dans le milieu de l’humour, et à force de filmer des coulisses, j’ai eu envie d’écrire moi aussi un spectacle : j’ai alors basculé dans l’écriture imaginaire, à travers des pièces de théâtre chantées.
Ma première série d’ouvrages pour enfants, Au cirque Fanfaron, est ainsi née à partir de l’adaptation de ma comédie musicale du même nom !
Il se trouve qu’ensuite j’ai commencé à lire les romans que dévorait mon fils ado et que je les ai adorés.
J’ai découvert une vraie littérature, à part entière, où des auteurs posent leur regard sur le monde et le questionnent avec honnêteté, sincérité, justesse…
Et ces lectures ont réveillé mon désir d’écrire un roman, que j’aurais aimé lire ado, moi qui étais dévoreuse de livres.
Pendant mes recherches dans les archives de Moscou, j’avais déjà eu l’idée d’écrire un roman historique. La découverte de cartons jamais ouverts, mes moments d’intimité avec des sources inédites, tout cela était très romanesque. Je menais mon enquête sous le regard intrigué des conservatrices qui n’avaient jamais vu de chercheuse française dans le coin.
Lorsque j’ai retracé le fil de l’histoire du musée d’art moderne occidental (où travaillerait un jour la maman de Nina, mais je ne le savais pas encore), j’ai eu l’envie d’en faire un roman.
Puis je suis passée à autre chose, et voilà, dix ans plus tard, c’est revenu!

Toute l’originalité, le souffle, de la trilogie Nina Volkovitch est de mêler avec brio l’histoire de l’URSS sous Staline (thème rarement, voire jamais évoqué dans la littérature pour adolescents) à une intrigue fantastique. Quelle a été votre envie première : écrire un roman historico-fantastique ou fantastico-historique?
Ma première envie, c’était d’écrire de l’Historico-fantastique ! C’est un élément du contexte historique qui est détonateur de l’histoire de Nina. L’enfermement de sa mère en goulag, conséquence de l’anti-cosmopolitisme et du totalitarisme, donne à l’héroïne l’objectif de la libérer, quitte à traverser toute la Russie.
J’aime tisser des liens entre grande Histoire et petite histoire, montrer comment les destins intimes de chacun peuvent être bouleversés par des systèmes politiques pervers.
J’avais aussi envie de faire connaître l’histoire russe aux collégiens, et qu’elle soit incarnée à travers une héroïne attachante, comme Nina.
Puis j’ai ajouté la dimension fantastique : la magie représente pour moi la liberté de l’imaginaire, qui permet de survivre et de trouver la lumière, dans les pires des situations. Et le fantastique insuffle une autre tonalité à la narration, il donne une nouvelle profondeur au champ.
Je le vois comme des touches de couleur inattendues, saugrenues, décalées que l’on découvrirait dans un tableau réaliste.
Dans la littérature russe, il n’est d’ailleurs pas question de séparer les genres comme en France : on peut trouver des notes de fantastique dans des romans réalistes. Il n’y a pas de cloisonnement, ni de hiérarchie des genres. Je suis finalement fidèle aux auteurs russes, aux débordements de l’âme slave !
Pour moi, ce qui est essentiel, c’est que le contexte historique soit extrêmement rigoureux ; la magie me donne des ailes, mais je dois être très cohérente. L’univers fantastique fonctionne si l’auteur a réponse à tout, peut justifier le moindre détail. Tout est possible si tout est explicable et cohérent dans le système entièrement inventé.
J’aime écrire en étant tributaire de cette dualité entre liberté et rigueur que nécessite, impose et offre l’historique-fantastique.

Et l’art ? Il est au cœur de l’intrigue, que ce soit au travers les peintres impressionnistes défendus par la mère de Nina ou l’art traditionnel religieux avec les icônes. Deux arts censurés sous Staline, grâce auxquels Nina découvre son destin particulier au moment même où elle est contrainte de peindre le portrait de Staline, une coïncidence particulièrement astucieuse pour parler de censure et de propagande. Un pari audacieux, un combat diraient certains, de vouloir parler d’art aux adolescents, non?
J’ai en effet la volonté consciente de parler d’historie de l’art aux adolescents. Et c’est un pari. Les arts plastiques sont les grands absents de la culture des ados…
Pour les intéresser à la peinture, j’ai fait de l’art l’espace de la magie et des énigmes.
Les ados aiment le fantastique. Or l’icône est pour les orthodoxes une véritable incarnation de Dieu (les saint-faiseurs d’icônes n’ont même pas le droit de signer leurs œuvres, ils sont une main de Dieu sur Terre). Dans leur essence même, les icônes ont une aura surnaturelle. Donc en imaginant ces trois icônes magiques, je fais sentir aux lecteurs la nature mystérieuse de l’œuvre et je ne m’éloigne pas tant de la réalité de l’icône. J’ai d’ailleurs eu de très belles propositions de dessins d’icônes par des lecteurs.
Je choisis aussi de décrire des œuvres grâce à l’insertion d’énigmes qui obligent les ados à visualiser les détails, à chercher les liens formels entre les œuvres pour aider Nina dans sa quête.
La boucle entre art occidental censuré et art religieux interdit se noue et se dénoue au gré des aventures de Nina, qui trouve son don, son identité et sa liberté à travers les diverses formes d’art interdit dans la dictature soviétique. Dans mon roman, l’œuvre d’art est le lieu de découverte de soi, et c’est une mise en abime du mystère de la création (il en va de même pour l’auteur quand il écrit, l’artiste quand il peint). J’opère un parallèle entre la quête initiatique de Nina et la démarche de création. A travers le geste de peindre, elle se découvre, se révolte, s’insurge, s’accepte…
D’ailleurs, pourquoi l’art est-il censuré en régime totalitaire si ce n’est parce qu’il est mystérieux, donc incontrôlable !?
Vus les retours des lecteurs, le pari semble gagné. J’ai reçu de nombreux dessins, liés aux thèmes de la Russie et de l’art (ils sont joints, si vous voulez montrer les œuvres des adolescent à partir de Nina)

Avez-vous des rituels d’écriture (un thé russe brûlant ou une vodka bien glacée, les chœurs de l’Armée Rouge en fond sonore…)?
Je voudrais vous répondre que j’écris dans une chapelle tapissée d’icônes, à la lueur vacillante de cierges, au son des mélopées orthodoxes… Mais non…
Le thé noir, oui, mais aussi le chocolat et le thé vert…
La vodka, euh, vaut mieux pas avant d’écrire ! Sinon, je ne dis pas non, hein, c’est bon pour les cordes vocales.
J’écris la nuit souvent, je suis une écrivante assez noctambule.
Parfois, souvent, je me réveille à 5h du matin avec une idée que je note dans un petit carnet pour ne pas l’oublier au réveil.

Est-ce, parce que comme nous, vous aviez du mal à quitter la lignée Volkovitch, que vous avez eu l’envie d’écrire la préquelle avec l’histoire de Vassili Volkovitch sous Ivan le terrible ? Et peut-on espérer un jour retrouver Nina, à Paris, sur les traces de son père?
Ce qui me plaît, c’est le projet d’une ballade à travers les siècles en Russie. La lignée des Volkovitch est propice à une telle aventure. L’objectif, c’est d’assumer aussi que le style des romans peut changer d’un siècle à l’autre, la tonalité aussi. Au moyen-âge, sous Ivan-le-Terrible, Dieu est omniprésent, je ne peux pas faire parler mes personnages comme sous Staline. Le lexique diffère, le rythme aussi. Le roman peut être plus polar sur un épisode, plus quête initiatique sur un autre, ou romance sur un troisième.
Enfin, remonter aux origines, révéler aux lecteurs toutes les étapes de constitution de la communauté des Trois, c’est grisant.
Dans le cas précis du roman de Vassili, l’idée est de mettre en scène un guerrier au service du jeune tsar Ivan IV, qui est lui-même un personnage secondaire du récit (contrairement à Staline qui n’est pas présent directement dans Nina). J’explore de nouveau le thème de la tyrannie, mais au moyen-âge, à un moment où le souverain a tous les droits, dont celui de vie ou de mort sur ses sujets. Tout puissant, représentant de Dieu sur Terre, il est seul juge des hommes. Ses décisions d’essence divine sont irréfutables et sacrées. Les nobles (boyards) et guerriers ont le devoir de se sacrifier pour lui. Vassili est donc prêt à utiliser la magie des Volkovitch pour le sauver : il a prêté serment de se dévouer à son frère de lait, Ivan, dès l’enfance.
Pour le jeune Souffleur, rien n’est plus important que la vie de son Tsar, jusqu’au moment où il réalise que la cruauté de ce tyran peut se retourner contre lui. En 1549, la folie du Tsar est déjà présente, et Vassili est susceptible de subir les conséquences fatales de la paranoïa de celui qui sera surnommé Ivan-le-Terrible, .
Plus l’esprit de Vassili est focalisé sur les causes de la disparition de sa bien-aimée, plus son dévouement pour le Tsar passe au second plan : ayant plus de recul, il peut alors mesurer la perversité, la méfiance et la folie de ce dernier. Et prendre la mesure de son erreur d’avoir éveillé l’Ange Dévastateur.
Par ailleurs, je voulais donner une place importante à des personnages féminins. Or à cette époque, les femmes sont considérées comme les émissaires de Satan, elles n’ont aucun droit à part celui de donner naissance et de prier ; elles sortent couvertes de fard blanc pour dissimuler leurs traits de tentatrices démoniaques ; seules les guérisseuses sont susceptibles de transmettre des savoirs et de vivre plus librement. Bien sûr, leur existence est précaire et tributaire de la première accusation d’hérésie, mais c’est le destin que j’ai choisi pour Olia et sa mère, à travers lesquelles je raconte les origines des pouvoirs des Passeurs. En ce lien entre des sorcières, personnages essentiels du moyen-âge, et des membres de la Communauté des Trois contribue à l’imbrication délicate entre les réalités historiques d’une période et la magie séculaire des Trois Anges.

Nina Volkovitch a raflé de nombreux prix, quel est le plus beau compliment qu’un lecteur vous ait fait?
J’ai eu beaucoup de retours sur la trilogie. Grâce à Nina, je me suis promenée dans toute la France, j’ai rencontré pleins de collégiens. Les rencontres, c’est toujours touchant. Les retours aussi. J’en ai des tonnes qui m’ont fait très plaisir, en voilà en vrac :
« Est-ce que vous continuez à voir Nina Volkovitch ? »
« Est-ce que vous pouvez me dédicacer mon livre et écrire que c’est le premier livre que j’ai lu en entier ? »
« C’est le premier livre que j’ai lu. »
« Je n’ai jamais lu un livre aussi vite. »
« J’adore Nina Volkovitch, j’ai adoré lire votre roman et je vous adore !!!! »
« Je veux me mettre au russe maintenant ».
« J’adore Nina, j’ai toujours rêvé d’être comme elle avec sa petite taille et tous ses objets magiques. »
« J’aurais aussi aimé pouvoir vivre dans la rue avec d’autres enfants, et apprendre à voler. »
« Je suis heureuse de connaître Nina. »
« Merci de m’avoir fait voyager en Russie. »
« Nina aura maqué mon adolescence. »
« J’aime Nina, je la trouve très belle même si elle est plus petite que son âge, ce n’est pas grave, elle va bien grandir un jour, parce qu’elle est très courageuse. »
« Il y a plein de Nina célèbre, Nina Simone, Nina Hagen, Nina Ricci, mais bientôt la plus célèbre sera Nina Volkovitch !»

Vous êtes la Présidente très active de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse. Pouvez-vous nous en dire plus sur vos engagements et vos combats au sein de cette association?
Je me suis engagée à la Charte au départ pour valoriser la littérature jeunesse que je trouve méconnue, ignorée, voire méprisée. Selon moi, la littérature jeunesse n’est pas considérée en France comme une vraie littérature. Or elle est essentielle.
Geneviève Brisac a écrit : « La littérature est un fleuve. A sa source, se trouvent les livres qu’a aimé un enfant ». Aujourd’hui, plus que jamais, lire est une aventure vitale pour les enfants et les adolescents. Par les livres, ils se façonnent leurs opinions en dehors des cadres parentaux et scolaires. Et même lorsque ces cadres n’existent pas, le livre constitue toujours cet espace de liberté unique entre l’enfant ou l’adolescent et le monde.
Puis, j’ai été témoin de tant d’injustices, que je n’ai plus voulu séparer la défense de cette littérature de la défense de ses créateurs et de leurs droits.
Comment peut-on prétendre se battre pour le respect de la littérature jeunesse, de la liberté d’expression, de la qualité de la création sans respecter les auteurs qui la fondent ? Le respect passe aussi par la rémunération : les auteurs jeunesse sont les moins bien payés de tous (6% en moyenne par livre contre 10% dans les autres domaines).
Les auteurs jeunesse, dans leur grande majorité, même ceux qui vendent des dizaines de milliers de livres, sont les seuls à ne pas vivre du livre dont ils sont la source.
Et plus j’avance, plus je suis convaincue que nous avons le droit de vivre de notre création, d’en attendre une rémunération décente et aussi une protection sociale correcte. C’est notre droit inaliénable, celui de vivre de notre travail, de notre métier.
Peu à peu, je me suis intéressée aux fonctionnements de la chaine du livre, et je me suis engagée de plus en plus, jusqu’au moment où j’ai été élue Présidente de la Charte. C’est une lourde responsabilité, mais je suis bien entourée, par un Conseil d’Administration très actif et des adhérents très attachés à leur association. Marie Desplechin parle de « compagnonnage de la charte », Marie Sellier de « la force de sa base » : ce ne sont pas de vains mots.
Je découvre chaque jour à quel point les chartistes sont motivés.
La vitalité de notre association, c’est aussi la preuve de la vitalité de notre littérature jeunesse.
Les auteurs créent en solitaire, mais n’oublient pas la force du collectif, de « l’agir ensemble ».
Nous sommes unis, et nous avons intérêt à l’être de plus en plus devant les changements du numérique, d’Internet, du droit d’auteur au niveau européen…
Des libraires, conscients de la précarité des auteurs, m’ont d’ailleurs manifesté leur solidarité, et leur désir de s’associer à nos démarches.
Merci à eux, et aux librairies Sorcière de me donner la parole aujourd’hui !

Propos recueillis par Cyril Malagnat