Ce petit livre alimente depuis quelques semaines plusieurs discussions animées, et c’est déjà beaucoup, non?

  • Publication publiée :8 juillet 2018
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Des avis divergents postés sur le site de Citrouille en 2003, à propos du roman Il faut sauver Saïd  de Brigitte Smadja (éd. école des loisirs). Le livre sera lauréat du Prix Sorcières l’année suivante.

Contre – J’aime beaucoup les romans de Brigitte Smadja, leur vivacité et leur sensibilité, leur écriture. J’ai regretté ici même assez souvent que l’école ne soit, dans la plupart des romans de jeunesse, qu’un arrière-plan, conservatoire de la mémoire de l’enfance des auteurs, avec ses problèmes de robinets et ses dictées. Je me suis donc réjouie d’avoir entre les mains ce roman. Ma colère et ma déception sont à la hauteur de cette attente.

Le héros de l’histoire, Saïd, entre en 6e. Le bon élève qu’il est attend avec impatience cette entrée en collège. Las, il découvrira l’absence de travail, le chahut, les exactions contre les enseignants, le racket, la délinquance dans laquelle s’enfoncent son frère aîné et son cousin… Saïd s’enfonce silencieusement dans le désespoir. Seul son enseignant d’histoire, à qui il remettra le journal tenu pendant cette année de 6ème, pourra l’aider. Cette histoire d’un enfant qui s’enfonce dans le désespoir est bien racontée, avec la finesse et le talent d’écriture habituels chez Brigitte Smadja.

Alors pourquoi ma réaction? Parce que ce roman regroupe tous les stéréotypes sur le malheur des collèges de banlieue: le père immigré dépassé, le grand frère qui empêche sa grande sœur de mener la vie qu’elle veut au nom de l’islam, la jeune prof bordélisée, les autres, tous les autres, qui ne pensent qu’à faire le chahut et qui ne s’intéressent pas à l’école, les trafics de drogue, les cités sans espoirs…, une vraie enquête sensationnaliste de TF1! Il n’est pas question ici de nier les réels problèmes des collèges. Mais trop, c’est trop! Qu’est-il arrivé à cet auteur qui décrivait si bien les milieux populaires des années 60, ces rapatriés d’Algérie perdus dans leurs cités parisiennes? La situation s’est certes dégradée depuis. Mais on tenait à l’époque le même genre de discours sur les cités que ceux qu’elle reprend maintenant, et l’auteur devrait savoir d’expérience que les milieux populaires ne sont pas les classes dangereuses que l’on dépeint si complaisamment. Alors, pourquoi reprendre ces stéréotypes? Mais ce n’est pas le plus grave dans ce roman. On peut effectivement centrer un roman sur les souffrances – réelles, je le répéte – d’un enfant marginalisé dans son milieu, dans sa famille; on peut reprendre des informations journalistiques pour camper le décor d’un roman. Mais ce qui fait réagir, dans le contexte actuel, ce sont les solutions proposées implicitement par l’auteur à la souffrance de Saïd. Une seule solution court, tout le long du roman: il faut sortir Said de son milieu, de son collège, pour le mettre avec d’autres bons élèves.

Reprenons la présentation des problèmes scolaires de Saïd: Saïd n’a pas de problème dans le primaire, grâce à l’autorité efficace des instits. Le collège est par contre un lieu de perdition, aux mains des caïds, où les adultes laissent tout faire, désarmés. Dès la première minute de la classe de 6ème, c’est le cauchemar: tous les autres enfants, à l’exception d’un seul, enfant de classe moyenne du quartier, refusent l’école, font du bruit, chahutent les enseignants. On ne connaîtra ces enfants que par leur prénom et leurs  » conneries « . Brigitte Smadja, si habile d’habitude à camper les enfants, les personnages secondaires, les peint en bloc, masse agressive et paresseuse. La jeune enseignante de français qui raconte pourtant si bien les pièges de la grammaire et qui accepte d’emmener les enfants au musée d’Orsay, est victime des provocations et agressions des autres élèves, en particulier de la bande menée par le grand cousin de Saïd (cousin trop grand, trop vieux, qui n’a rien à faire au collège). Le seul adulte capable de tenir sa classe est l’enseignant d’histoire, grand de deux mètres, ressemblant à un acteur de cinéma, qui transmet du vrai savoir, c’est-à-dire les dates d’histoire et les localisations des villes… C’est cet enseignant qui, au cours de la fameuse sortie au musée, emmène Saïd et son ami visiter le lycée Charlemagne, en pestant contre la politique de secteur qui empêche Saïd d’accéder à ce vrai paradis des bons élèves. La situation va se dégrader toute l’année; le cousin de Saïd sera enfin puni comme il le mérite, parce qu’il a ses 18 ans et que, du jour au lendemain, il peut aller en prison (comme si on n’emprisonnait pas les mineurs en France!); l’ami de Saïd déménagera pour changer de collège et échapper enfin à la cohorte de ces mauvais élèves, si nombreux, et pour lesquels il n’y a d’autres solutions que les laisser enfermés dans leur ghetto, de manière à ce qu’ils ne polluent pas les classes de bons élèves.

A l’heure où le débat politique porte sur les collèges, où les tentations sont fortes de sélectionner les élèves en abandonnant à leur sort ceux des milieux populaires, de revenir à la situation d’il y a 30 ans, ce roman est un mauvais coup porté à tous ceux qui croient encore que tous les enfants sont éducables, et ce d’autant plus que l’on connaît (cf. les travaux de P. Bruno) le lectorat de l’Ecole des loisirs: filles des classes moyennes, celles-là même qui réclament le plus fortement maintenant l’exclusion de l’école des enfants des milieux populaires, surtout quand ce sont des jeunes garçons maghrébins. Brigitte Smadja pense-t-elle vraiment que c’est en retournant à un savoir factuel caricatural (celui dispensé par l’enseignant d’histoire-géo, le seul enseignant décrit comme bon enseignant!), en abandonnant à leur sort les Agnès, Bogdan, etc…, codisciples de Saïd dont on ne connaît rien, et surtout pas leur souffrance (croit-on réellement qu’il y a des enfants qui prennent avec indifférence leur échec scolaire?), en refusant toute politique de secteur pour regrouper les bons élèves entre eux et leur proposer le modèle des lycées du 5e arrondissement comme modèle pédagogique, que l’on règlera le problème de l’insertion et de la réussite scolaires des adolescents de maintenant, quels qu’ils soient? – D. C.

Réaction à ce contre –  Des stéréotypes, dans le roman de Smadja? J’aurais préféré, moi, que ce soit effectivement des stéréotypes, des clichés, que la romancière accumule. Mais ce n’est, je crois, que la triste réalité. Cela fait longtemps que j’ai quitté l’école mais mon collège, en banlieue, ressemblait déjà furieusement à celui qui est décrit ici. Et je ne prétends pas répondre à la place de Brigitte Smadja, mais à mon sens, écrire un roman ne signifie pas pour autant donner (chercher) des solutions. Ce petit livre alimente depuis quelques semaines plusieurs discussions animées, et c’est déjà beaucoup, non? Quel livre avant lui avait le mérite de cela? – Madeline Roth, librairie L’Eau Vive, Avignon

Pour – «La tour où j’habite n’a aucun avenir et ceux qui y habitent non plus, voilà ce que j’ai compris». Pour sauver Saïd, il faudrait l’extirper de cette cité qui le confine à fréquenter le collège Camille Claudel. Pourtant, il aime les mots, il a de bonnes aptitudes scolaires et il pourrait très bien réussir. Le problème c’est qu’il n’a pas choisi de fréquenter cette meute de sbires racketeurs qui n’en ont rien à faire de l’école. Pour sauver Saïd, il faudrait le délivrer des griffes de l’inéluctible violence qui l’assiège et le déchire. Celle du cousin Tarek qui, en tant que chef de meute, en porte fièrement l’étendard et suscite la terreur au cœur des plus tendres tels Saïd, son copain Antoine, ou encore Madame Beaulieu, la jeune et nouvelle enseignante. Celle du grand frère qui veut tuer tout ce qui est beau et rejette avec rage son appartenance à la culture française, et celle des parents, parce que fermer les yeux, c’est aussi contribuer à la prolifération de la souffrance…

L’écriture de Brigitte Smadja, puissante, et juste, va encore plus loin et dénonce les absurdités sociales qui engendrent cette violence. « Je resterai dans ce collège parce que c’est mon secteur, parce que même si je travaille bien, je n’ai pas le droit d’aller ailleurs ». Non il n’est «pas besoin d’être sculpteur pour devenir fou», voilà pourquoi il faut sauver Saïd !

Ce roman, troublant de justesse, n’en est pas vraiment un ; c’est la voix de tête du petit Saïd qui écrit juste pour lui, penché sur son cahier. Mais lorsqu’il en a norcit toutes les pages, il l’offre à Monsieur Théophile, son professeur d’histoire-géo. Je soupconne Brigitte Smadja d’avoir lu par-dessus son épaule (à moins que ce professeur d’histoire-géo, ce soit elle ?), car ce cahier, voilà qu’elle nous le tend à son tour afin que nous puissions dire aussi: «Je ne te lâcherai pas, Saïd. Tu peux compter sur moi». – Sophie, librairie L’oiseau Lire, Evreux.