Honte à moi, jusque là je n’avais pas vraiment repéré le nom de Marion Achard sur bon nombre des ses romans que j’ai lus, et alors que je les ai tous aimés ! Échange caravane pourrie contre parents compétents, Touts seuls, Pourquoi je suis devenue une fille, Comment j’ai survécu à la sixième…. c’était bien, tout ça ! Eh ben c’était du Marion Achard… Maintenant je le saurai ! Et ce dernier titre dévoré d’une traite me convainc définitivement de son talent.
Elle s’appelle Daboka, elle vit au cœur de la forêt amazonienne avec sa petite sœur Loca, son père, sa mère et tous les membres de sa communauté. Cette tribu pacifique de chasseurs-cueilleurs habite là depuis la nuit des temps et répète les gestes transmis par les anciens, de génération en génération.
Comme à chaque fois que la lune croît, tous se préparent à rendre visite à leurs cousins, leurs frères, une tribu voisine qui habite un peu plus loin dans la forêt. On prépare le cochon d’eau boucané que l’on emportera pour le voyage, les femmes écrasent des baies et du charbon de bois pour préparer les pigments qui maquilleront corps et visages.
« Lentement, ma mère enduit mon corps de blanc, puis avec une fine baguette elle dessine des motifs géométriques. Assipi la rejoint et trace sur mon ventre de longues lignes ondulées avec la teinture rouge. De sa main habile, elle réalise des symboles d’animaux aquatiques. Le long de mes bras s’enroule la spirale d’un anaconda. Pour finir elle trace un trait incolore qui s’étire d’une oreille à l’autre, puis quadrille mon front, mes joues, mon menton. Pour l’instant le tatouage est presque invisible, mais demain ma peau se teintera de noir pour de nombreux jours ».
La dernière nuit avant le grand départ, à l’abri des arbres immenses, tous les membres de la tribu s’endorment en se serrant pour se tenir chaud. Le lendemain, tandis que Daboka chemine avec les siens dans cette forêt qu’elle connaît par cœur, une odeur âcre et suffocante leur parvient, couvrant toutes les essences sylvestres. Devant eux la forêt est coupée en deux, éventrée par un long ruban noir dont on ne voit pas la fin, des monstres aux reflets métalliques déchirent le silence des lieux, des hommes blancs s’affairent, s’interpellent et vocifèrent. Daboka et sa tribu retournent en courant à leur campement mais leur destin funeste est en marche: les hommes blancs finissent par les rattraper et faire un carnage. Seules Daboka et sa petite sœur Loca seront épargnées.
Conduites dans un village, elles sont presque une attraction pour les gens du coin qui les observent comme des bêtes de foire et les prennent en photo. On cherche à couvrir leurs corps nus, à les habituer à cette autre existence. Si sa petite sœur semble peu à peu s’acclimater à cette nouvelle donne, Daboka elle, n’oublie rien de sa vie passée, de sa forêt perdue et de son peuple assassiné:
« Je perds Loca, je le sais. Chaque jour elle apprend de nouveaux mots. Chaque joue elle s’attache à sa nouvelle famille. Elle ne dort plus par terre à mes côtés, mais dans un hamac suspendu dans la cabane. Elle retrouve son insouciance de petite fille. Elle s’adapte. Moi, je ne veux pas. J’ai noyé mes chaussures dans la rivière, une fois, deux fois, trois fois. Pour finir, Gissel a renoncé à m’en faire porter ».
Une belle écriture vibrante porte et anime ce court roman sans concession qui dépeint une triste réalité: chaque année, inexorablement, de puissants groupes financiers exploitent des gisements pétroliers en plein cœur de la forêt amazonienne. Des hectares et des hectares de jungle sont détruits, privant les natifs de leurs terres ancestrales, les obligeant sans cesse à se déplacer, quand ils ne sont pas purement et simplement éradiqués par des maladies ou des massacres.
Ce récit à la première personne nous rend plus intime et plus proche le combat de ceux qui n’ont jamais la parole. C’est très beau, et la fin, particulièrement émouvante, résonne longtemps comme une prière.
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Le peuple du chemin