CLOTILDE GALLAND: Comment choisissez-vous les histoires que vous illustrez?
CHARLES DUTERTRE: Il y a deux possibilités quand je suis amené à illustrer un livre: soit je suis à l’initiative de l’histoire avec l’auteur, soit c’est une commande d’un éditeur. Dans ce second cas, le format du livre est déjà choisi, parce qu’il s’inscrit souvent dans une collection; et l’éditeur, parce qu’il connaît au moins une partie de mon travail, me demande alors souvent de partir sur un de mes styles d’illustration. Le travail de commande est donc assez contraignant. Aussi, comme j’aime m’amuser en travaillant, il faut que le texte me plaise à la première lecture. Et surtout, qu’il soit drôle!
Quand je travaille directement avec un auteur, Alex Cousseau, par exemple, on se met d’accord sur l’histoire, sur la façon dont les personnages évoluent. Pour l’album Les frères Moustaches, au départ je pensais à une biographie sur la troupe de théâtre «Les frères Moustache». Alex a élargi le propos aux résistants, à ceux qui disent non. Ensuite, pour cet album comme pour nos autres, Alex a écrit l’histoire et moi j’ai cherché un nouveau style d’illustration qui corresponde au mieux à cette histoire que l’on veut raconter ensemble. Faire un livre avec Alex, c’est jouer au ping-pong, tout peut évoluer et changer tant que le livre n’est pas imprimé!
Papa qui lit est une histoire qui se déroule autour d’un canapé. Cela n’empêche pas l’illustration d’être drôle et dynamique! Y a-t-il des histoires plus difficiles que d’autres à illustrer?
J’ai l’impression que l’histoire Papa qui lit a été écrite pour moi. Ce papa à la Pierre Richard, qui se décide à coucher ses enfants en leur lisant des poèmes de Victor Hugo, et tout ça traîne… c’est tout moi! Heureusement que la maman est là! La seule difficulté pour illustrer ce livre a effectivement été le fait que l’histoire se passe sur un canapé, et qu’il fallait trouver des astuces pour éviter de toujours répéter les mêmes images.
Vos divers registres d’illustration vont du dépouillé au très orné, de Louison mignon au Roi qui n’avait rien…
C’est toujours l’histoire qui dicte ce choix. Dans Le chat qui est chien, notre tout dernier livre avec Alex, qui vient de paraître au Rouergue, le chat se regarde dans la rivière et voit son reflet dans l’eau. Il se voit chat et voudrait être chien. J’ai construit l’image en symétrie. Et j’ai décidé d’illustrer tout le livre avec cette contrainte, la symétrie, pour la composition de l’image, les personnages, etc.
Quelles sont vos maîtres, si vous en avez?
J’en ai plein: Tomi Ungerer, Georges Lemoine, Quentin Blake… Mais je veux surtout parler de celui qui est mon maître depuis deux jours: Richard Thompson et son Cul de sac. Il raconte des histoires courtes de gamins dans une banlieue américaine. Fragile, beau et drôle à la fois…
Une dernière question un peu intéressée: l’album Pirouette va-t-il enfin être réédité?
J’aimerais bien que Pirouette soit réédité, parce que c’est sans doute mon livre le plus personnel… En attendant, je travaille avec Alex sur un projet d’album, avec des oiseaux, des chats et aussi Churchill. On est en train de faire l’histoire, avec une seule idée: qu’elle soit drôle!
Propos recueillis par Clotilde Galland, librairie Les Enfants Terribles à Nantes
Ce soir c’est papa qui lit. Un peu pour impressionner maman et parce que, oui, il est capable de coucher ses quatre enfants, leur brosser les dents, enfiler les pyjamas, leur lire une histoire. Et non seulement il en est capable mais avec lui, ça va vite, c’est simple et efficace! Ça y est… chacun est prêt, sur le canapé. Si Papa donne le ton, chaque protagoniste prend rapidement sa place et s’impose dans le récit: il y a Loup et Charlotte, les jumeaux plein d’énergie et jamais d’accord, la grande Sarah qui connaît déjà la fin des histoires, et la petite Lune qui distribue les coussins. La lecture promet d’être mouvementée! Théâtrale et hilarante, cette petite scène quotidienne ne met pas longtemps à dégénérer et, malgré la présence solennelle de Victor Hugo, va rapidement virer à l’épopée. Doué pour illustrer les premières «longues» histoires, Charles Dutertre anime le récit de détails croustillants, s’amusant à croquer une bataille de polochon, papa qui panique et les oreilles distraites de ses quatre adorables et intenables enfants. «Si à 12, le livre n’est pas choisi, c’est tout le monde au lit ! 8, 9, 10…» Une histoire à devenir chèvre, ou à dormir debout, à lire et relire pour rire de cette famille comme les autres, où tout va de travers au grand bonheur du lecteur!
– Librairie Les Enfants Terribles