Christine Baker, directrice éditoriale de Folio Junior |
J‘ai rencontré Christine Baker ou plutôt j’ai échangé par téléphone de Londres à Montauban pour évoquer la collection Folio Junior dont elle est directrice éditoriale. Notre conversation a duré une heure avec la grande frustration de ne pas pouvoir l’écouter plus longtemps. Je ne pouvais qu’imaginer à distance ses yeux qui pétillaient dans sa voix. Comme tous les gens passionnés quand il s’agit d’évoquer un métier aussi bouillonnant que l’édition, que cette matière vivante qu’est la littérature, elle m’a emportée bien au delà de la grille de questions que j’avais concoctée en espérant ne pas être trop réductrice. Les réponses ont été foisonnantes, émaillées d’anecdotes et j’espère que j’aurais retranscrit le plus fidèlement possible ce qu’il m’a été dit. – Par Patricia Matsakis, librairie Le Bateau Livre.
PATRICIA MATSAKIS: Folio Junior a 40 ans… C’est une histoire qui était faite pour durer! Cet anniversaire c’est aussi l’occasion d’un bilan, d’un constat de réussite?
CHRISTINE BAKER: Cette histoire commence pour moi par un souvenir personnel, j’étais alors jeune libraire à Londres quand j’ai reçu en avril 1977 un paquet de Paris envoyé par Pierre Marchand, contenant les quatre tout premiers Folio Junior. J’étais très émue car j’avais le sentiment que je tenais entre les mains le début d’une histoire qui allait s’écrire et s’inscrire durablement dans le paysage de la littérature jeunesse. Trop innovateur peut-être pour que certains détracteurs assurent qu’il s’en vendrait autant que des confettis à la sortie des cimetières! Le format, la couverture souple, la reliure en faisait un objet nouveau, inédit et sans précédent. L’idée d’accoler Junior à Folio c’était aussi un coup de génie! Le ton était donné. Dans le sillage de son aînée cette collection a été créée avec les mêmes exigences pour devenir tout aussi prestigieuse. Tout ça avait du sens, car la lecture est aussi un apprentissage, un accompagnement des lecteurs en devenir vers l’âge adulte. Afin d’éveiller chez eux des comportements de lecture durable, il fallait baliser le chemin de repères forts.
PATRICIA MATSAKIS: C’était aussi l’occasion de repenser l’habillage des couvertures?
CHRISTINE BAKER: Oui, ça fait partie du plaisir d’un anniversaire, la refonte des couvertures. Le premier contact du lecteur avec le livre c’est la couverture. Elle est primordiale car c’est elle qui va attirer l’oeil et c’est vers elle que la main se tendra ou pas. L’erreur peut être fatale au meilleur des romans si la couverture est loupée. La couverture c’est le parfum du livre, elle doit exprimer beaucoup de chose, éveiller un intérêt pour le contenu. Pour celles de Roald Dahl, par exemple, nous avons choisi les couvertures anglaises toutes acidulées qui dégagent un avant-goût de lectures pétillantes et frissonnantes. Nous avons rajouté des codes graphiques pour mieux identifier la collection.
PATRICIA MATSAKIS: Elle est riche de combien de titres aujourd’hui?
CHRISTINE BAKER: Folio Junior aujourd’hui, c’est un catalogue de mille six cents titres dont huit cent cinquante titres vivants actuels. Cinq cents auteurs et cent cinquante millions d’exemplaires vendus. C’est aujourd’hui une collection qui a grandi et s’est déployée pour s’enraciner dans le paysage du livre jeunesse.
PATRICIA MATSAKIS: Est-ce pour la plupart des titres une seconde vie ou vous publiez de vraies nouveautés dans ce catalogue?
CHRISTINE BAKER: Jusqu’aux années 2000 ce n’était que des inédits; le tome 1 de Harry Potter est sorti en toute discrétion à l’époque dans ce format. Les grands formats en littérature jeunesse n’existaient pas. À partir de ces années ils se sont installés dans tous les catalogues d’édition. Aujourd’hui un titre en grand format atteindra un seuil de vente pour vivre une deuxième vie dans la collection Folio Junior.
PATRICIA MATSAKIS: Le succès des grands formats est reconnu aujourd’hui. Les collections au format poche en pâtissent-elles ou mènent-elles une vie parallèle?
CHRISTINE BAKER: Oui, la production des grands formats est pléthorique! Une péréquation qui fait qu’ils ne se vendent plus autant qu’avant. Mais le cumul des deux formats est aujourd’hui supérieur aux ventes d’alors, c’est donc un signe de vitalité pour notre catalogue.
PATRICIA MATSAKIS: L’offre de lecture est très éclectique dans le temps et dans les genres. Un lecteur qui feuillette le catalogue trouvera à coup sûr son bonheur?
CHRISTINE BAKER: C’est notre plus grand vœu. Nous n’avons aucune frontière, il est un parcours de liberté, de plaisir, de découvertes. Le livre est un espace ami, pour circuler librement, en toute confiance. Il est écrit pour rire, pleurer, réfléchir, voyager et agir. Il est écrit dans des langues poétiques, singulières, pour remonter le temps ou s’y projeter. Le passé, le présent, l’ailleurs, le futur. C’est un catalogue généreux, une forêt ou chacun pourra se perdre sur le chemin de ses envies.
PATRICIA MATSAKIS: Quels sont les plus grands succès de la collection? J’ai envie de préciser: à part Harry Potter bien sûr car nul aujourd’hui ne peut ignorer cette réussite planétaire.
CHRISTINE BAKER: Le catalogue invite des auteurs internationaux du XIXe au XXIe siècle. Tous les plus grands talents de la littérature y cohabitent pour donner cette ouverture culturelle. Ceux d’hier qui sont devenus des incontournables et ceux d’aujourd’hui qui le deviendront. Les plus populaires aujourd’hui sont Roald Dahl pour la plupart de ses titres, Saint-Exupéry pour Le petit prince, Michel Tournier avec Vendredi ou la vie sauvage, Pierre Gripari avec La sorcière de la rue Mouffetard, Marcel Aymé avec Les contes du chat perché mais aussi plus près de nous des auteurs actuels et bien vivants comme Michael Morpurgo pour beaucoup de ses titres, Daniel Pennac et ses Kamo, Jean-Philippe Arrou-Vignod et ses Enquêtes au collège, Erik l’Homme et son Livre des étoiles, Timothée de Fombelle avec Tobie Lolness et Vango. Mais encore Tolkien, Colfer, C.S. Lewis, Pullman… et quelques trésors qui attendent leur lecteur, cachés dans l’ombre de ces grands succès comme Tom et le jardin de minuit de Philippa Pearce ou Mécaniques fatales de Philip Reeves… Mais si vous me laissez faire je vous cite tout le catalogue car pour moi chaque titre édité vient parfaire ce souci de diversité des genres!
PATRICIA MATSAKIS: De nombreux auteurs de la collection sont étudiés en classes primaire et secondaire. Il est important pour un éditeur d’avoir par ce biais un accès disons plus démocratique et accessible au plus grand nombre?
CHRISTINE BAKER: Je dirais que c’est une nécessité. L’offre des auteurs classiques, de la poésie et du théâtre dans le catalogue relève de cette intention. Pour que les élèves se construisent un solide bagage culturel et deviennent des lecteurs avertis et exigeants. Toutefois les enseignants puisent aussi dans la littérature contemporaine, plus en prise avec les problématiques du monde dans lequel nous vivons: nos collections dépendent donc beaucoup de ces prescriptions. L’idéal serait que les enseignants soient de plus en plus formés à cette littérature moderne qui est vivante et féconde grâce à de vrais talents. Mais, comme le souligne Michael Morpurgo, la lecture doit rester avant tout un plaisir: il faut garder un équilibre et ne pas trop décortiquer et analyser les textes, voire les imposer, car les résultats pourraient devenir alors contre-productifs.
Propos recueillis par Patricia Matsakis, librairie Le Bateau Livre à Montauban
Retrouvez ici la sélection des Librairies Sorcières : Folio Junior, 40 ans 40 titres