Christophe Donner: «J’ai lu des livres de la collection Mouche et je me suis dit que je pouvais faire mieux»

Une interview parue en 2008 dans la revue Citrouille, remise en ligne à l’occasion des 50 ans de l’école des loisirs.

Vos parents ayant des idées engagées en politique, j’imagine un univers familial avec des livres sur des étagères, des journaux comme L’Humanité, un périodique comme Pif envahir table et fauteuils. Suis-je dans la bonne image de votre enfance?
Oui, en effet, I’Huma, Pif le Chien. Mais surtout l’Huma Dimanche qui était distribué au porte à porte. Mes grands-parents faisaient ça, avec mes oncles, et mon père aussi le faisait. C’était vraiment la messe communiste, le rite religieux par excellence. La meilleure chose, certainement que le communisme français ait inventé. Les gens se parlaient, se voyaient… Les opinions? Elles changeaient, elles étaient balayées par d’autres, mais la relation était établie, précieuse. Les livres de mes parents, je me souviens surtout de la collection de livres d’art Gauguin, Picasso, Degas, j’aimais beaucoup les danseuses de Degas, c’était de grands livres non reliés, des boîtes, j’éparpillais les feuilles sur le sol. J’ai toujours préféré les images aux textes. J’étais paresseux pour lire. Sauf évidemment certains textes dont je n’arrivais plus à décrocher, mais c’était rare. Une obligation morale. Mais les journaux, c’était surtout Hara Kiri, mensuel, puis hebdo, devenu plus tard Charlie Hebdo. J’ai commencé à lire ça vers neuf ou dix ans. Ça me plaisait beaucoup. La bande dessinée rendait la politique accessible, comme une entrée dans le monde adulte par le biais de la dérision, de la critique acerbe de cette revue, et qui m’a influencé.

Quand avez-vous découvert la littérature et quel auteur a marqué cette période?
Mon premier livre de «littérature pure», pourrait-on dire, c’est Le Roi des Embêtants de André Berge. On me le lisait quand j’avais cinq ou six ans, et je n’ai pas cessé de le lire, jusqu’à très tard, en cachette. Comme un rêve qu’on aime revivre. C’est l’histoire d’un petit garçon, Japhi, le fils de M. Petitdupont, qui part à la rencontre du roi des embêtants, un géant qui fait que son papa n’a que des ennuis: par exemple quand il cherche ses lunettes « ils » les ont mises dans sa poche. Encore aujourd’hui, quand je la lis à des enfants, je l’adore, elle me bouleverse. Sans doute que dans cette famille farouchement athée, l’existence de ce roi des embêtants était un réconfort…

Aviez-vous un lieu propice à la lecture? Fréquentiez-vous une librairie ou une bibliothèque?
Mes parents se sont rencontrés dans une bibliothèque. La légende dit que ma mère lisait Guerre et Paix (Tolstoï) et mon père Les Communistes (Aragon). Mais je ne me souviens pas d’un lieu de prédilection pour la lecture. Sinon dans le lit, évidemment. Je crois avoir lu Guerre et Paix dans la bibliothèque où mes parents se sont rencontrés, à Sceaux.

Comment est venue cette envie d’écrire pour les enfants?
C’est une commande de Geneviève Brisac qui travaillait alors chez Gallimard et fondait la collection Page blanche. J’ai écrit deux livres pour elle dans cette collection. Puis elle est allée travailler à l’École des Loisirs, je l’ai suivie, bien m’en a pris. J’ai lu des livres de la collection Mouche et je me suis dit que je pouvais faire mieux. C’est-à-dire à mon sens presque le contraire. Ou une sorte de parodie insidieuse, avec plein de petites mines personnelles à l’intérieur. Je me suis beaucoup amusé. J’ai arrêté quelque temps. Et maintenant [2008, ndlr], il y a un Mouche qui vient de sortir: Les rêves de Pauline. Très différent de ce que j’ai écrit jusqu’à présent. C’est l’histoire d’une abeille qui n’a pas d’ailes.

Propos recueillis par Maïté Hugueny, librairie Apostrophe, Chaumont