Colas Gutman: «L’idéal, c’est que je ne me reconnaisse pas quand je me relis»

Une interview parue en 2009 dans la revue Citrouille, remise en ligne à l’occasion des 50 ans de l’école des loisirs

Journal d’un garçon, de Colas Gutman, ben, c’est le journal d’un garçon, bien sûr. Il vit avec son père (le roi du jogging), sa grande sœur (Flo), sa belle mère (la reine du gratin) et son demi-frère (Cédric). Il est en seconde et il est amoureux d’une terminale, autant dire qu’il n’a aucune chance…

C’est donc son journal intime, ses états d’âme, ses observations sur sa famille, ses profs, ses potes et Lisa. La grande qualité de Paul: son humour, son sens de l’auto-dérision. C’est drôle, vraiment drôle et ça fait du bien de rire dans un roman ado, ça change. Allez, une petite citation pour vous mettre l’eau à la bouche : «12 juin – Mon père me raconte une énième fois comment il a été génial le jour de ma naissance. Avec lui, on dirait que, ce jour-là, ma mère était partie faire des courses.»

Nous sommes plusieurs chez les Sorcières à avoir franchement aimé Journal d’un garçon. C’est donc tout naturellement que nous avons souhaité le mettre en avant. Il fallait quelqu’un pour en faire l’interview, c’est tombé sur moi… Faut être honnête, j’ai repoussé l’échéance, le plus longtemps possible. Lire une interview, j’sais faire, critiquer l’interview que j’lis, j’sais faire aussi, mais en faire une… Euh… j’faisais moins la maligne… J’me suis dit que mon nouveau meilleur ami allait m’aider : mon ordinateur-Internet-ADSL-WIFI. Mais d’abord, fallait que j’appelle l’auteur, parce que je n’avais qu’un numéro de portable…

– Bonjour, je suis Leslie… blabla… Interview Citrouille… blabla… Et si on le faisait par mail ?

– Ben… Non, je préfère pas. Si j’écris, je vais essayer de dire des choses intelligentes… Par téléphone, je serai plus spontané.

– Ah… C’est que ça m’arrangeait de me relire… Ça m’aurait peut être permis d’éviter de poser des questions idiotes. Mais bon, vous avez raison, c’est bien aussi la spontanéité…
(Alors, par quoi je devais commencer ???)
Euh… Pourquoi comment, ce bouquin là?
Hum, original comme question !… Mais voilà ce que j’ai obtenu comme réponse : quand Colas Gutman écrit un livre, il a très envie de le terminer pour en commencer un autre. Il a « et » envie « et » besoin d’écrire, sinon il devient nerveux. Quand rien ne vient, il va faire un tour, rentre dans les librairies pour voir les piles de bouquins. Et là, on pourrait croire qu’à la vue de ces centaines de bouquins, il se dit « à quoi bon », ben non, un mot, une couleur de couverture l’entraînent sur une idée. Il était acteur, et depuis quelques années, il s’est mis à l’écriture quotidienne de phrases. Puis il a écrit Rex ma tortue. L’écriture pour la jeunesse est venue naturellement, peut être comme un héritage familial, avec cette idée fausse que c’était facile. Mais non, encore une fois, s’il trouve ça amusant d’écrire, ça reste difficile. D’autant que jeune, il n’aimait ni lire ni écrire, ça n’était pas son univers mais celui de ses parents. «Ça ne m’était ni réservé, ni destiné». Mais, quand même, il lisait et relisait chaque année Le petit Nicolas, Marcelin Caillou

Oui, bon d’accord, mais et le Journal d’un garçon, alors? C’est avec l’info que Desplechin avait fait un « journal de fille » -il trouvait l’idée rigolote, sans avoir lu le roman pour autant- et à la suite des Aventures de Pinpin l’extraterrestre -qui avait déjà une forme de journal- qu’il a écrit ce roman. Cette forme littéraire l’attirait, l’utilisation des ellipses le séduisait. Et pourtant, ça a été un livre difficile à écrire (comme les autres donc, si vous suivez). A part ça, si Colas Gutman se pose des questions sur son écriture, il ne se pose pas de questions sur la littérature jeunesse; il s’interdit juste de «draguer» les enfants. Avant tout, il doit se faire plaisir à l’écriture et à la lecture de ce qu’il a écrit. L’idéal pour lui, c’est lorsqu’il se relit et qu’il ne se reconnaît pas en lisant. Il pense écrire plus sur la jeunesse que pour la jeunesse.

Et le ton, d’où vient-il ce ton ? Il vient du fait qu’il n’était pas un ado noir, que cette vision qui tend vers l’humour n’empêche pas les questionnements de fond. Qu’il permet d’établir une certaine distance avec le ressenti.
Et au fait, est-ce qu’il lit maintenant qu’il est grand ? Oui, mais en prenant le temps, un roman à la fois, et s’il n’accroche pas, il n’insiste pas. Et pour la littérature jeunesse, c’est toujours avec une curiosité « professionnelle ».
Bon, ben merci pour l’interview, Colas Gutman… j’crois avoir fait le tour… Ah si, un dernier truc, j’ai vraiment aimé votre roman, et j’me disais que votre garçon du journal, c’était peut être Le petit Nicolas devenu ado aujourd’hui, non ?

Leslie Vega, librairie Rêv’en Pages à Limoges