Françoise Cruz est l’auteure de Comme les autres, un roman pour la jeunesse qui évoque la souffrance d’un enfant «surdoué», et d’un roman pour adultes Eaux lentes sur Venise, tous deux publiés chez Naïve Livres, dont elle est la directrice. Elle nous répond ici à propos de sa collection Grands destins de femmes. (Interview publiée en 2015 – la collection n’existe plus à ce jour))
ARIANE TAPINOS: Comment vous est venue l’idée de cette collection, et plus particulièrement de sa forme: la bande dessinée?
FRANÇOISE CRUZ: L’idée s’est imposée à moi un jour où je pensais à des femmes qui avaient été des pionnières dans leurs domaines et dont on parle finalement peu. Je suis très admirative de femmes telles que Alexandra David-Néel, l’exploratrice écrivain, ou Angela Davis, qui consacra sa vie à défendre la communauté noire aux États-Unis – elles et tant d’autres, comme Hannah Arendt. Ce serait pour le moins dommage que les nouvelles générations ignorent ou oublient ces femmes! Ma volonté de combattre cette impasse des mémoires est la principale raison pour laquelle j’ai très vite imaginé la collection sous forme de BD. C’est un langage à la fois créatif et abordable par tout un chacun: il permet au plus grand nombre de se plonger dans des sujets de prime abord rébarbatifs ou intimidants.
ARIANE TAPINOS: À la lecture des sept volumes déjà parus, il me semble que ces «grands destins de femmes» sont toujours racontés au plus près de leur histoire personnelle. Est-ce un choix délibéré de la collection?
FRANÇOISE CRUZ: Oui, en effet, il s’agit d’être au plus près de leurs histoires personnelles, et notamment de raconter quelles furent leurs enfances: d’où viennent-elles, de quel milieu social, qu’est-ce qui les a construites ou déconstruites? On s’aperçoit, invariablement, qu’elles ont dû se battre pour devenir ce qu’elles étaient…
ARIANE TAPINOS: Est-ce vous qui, sur la base d’une liste de femmes dont vous estimez qu’elles ont leur place dans ces récits, contactez des auteurs et des illustrateurs? Quels autres «grands destins » aimeriez voir entrer dans votre collection?
FRANÇOISE CRUZ: À chaque destin de femme son histoire! Parfois ce sont des auteurs et des illustrateurs qui me contactent pour un projet qui est le leur… Parfois c’est une volonté de ma part, comme pour Hannah Arendt et Françoise Dolto, ainsi que pour la Pasionaria, cette femme politique qui s’opposa à Franco pendant la guerre civile espagnole et qui est à l’origine, entre autres, du slogan «No Pasaran!» Le volume qui lui est consacré sort en septembre, en même temps qu’un magnifique Marie Curie. Puis ce sera le tour de Louise Bourgeois, Rosa Luxembourg et Flora Tristan – des titres actuellement «en chantier».
ARIANE TAPINOS: Pour l’ouvrage sur Hannah Arendt, comment ont collaboré Béatrice Fontanel, une auteure très connue en littérature et documentaire jeunesse, mais qui n’avait jamais écrit de bande dessinée, et une illustratrice, Lindsay Grime, pour qui cette forme est également une première?
FRANÇOISE CRUZ: Pour ce titre, auquel je tenais depuis longtemps, j’ai vite pensé à Béatrice, qui est aussi une intellectuelle, une femme réellement éprise de culture, d’idées. Elle est également auteure de romans, et j’ai toujours été admirative de son écriture. Elle a immédiatement réagi comme je l’espérais: ce fut un grand OUI! Elle s’est plongée dans les archives de toutes sortes, vivant avec Hannah vingt-quatre heures sur vingt-quatre… Le reste fut quasiment magique: sur notre stand au salon jeunesse de Montreuil, une jeune femme me montre ses planches, et c’est Lindsay. Certes, elle n’avait jamais fait de BD auparavant, mais les artistes connaissent leurs limites, et quand elle a accepté ma proposition, j’ai eu de suite confiance en elle – et puis il faut bien une première fois! Je l’ai ensuite mise en contact avec Béatrice et le résultat est là, dans votre sélection!
Propos recueillis par Ariane Tapinos, librairie Comptines à Bordeaux