Coup de coeur éditeur des éditions Actes Sud Junior : La Sublime Communauté – Interview de Emmanuelle Han + Extrait du roman

  • Publication publiée :18 février 2018
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C’est la fin de notre ère… Aux quatre coins d’une planète surpeuplée et en pleine dévastation, six mystérieuses Portes apparaissent, ouvrant des brèches vers des mondes inconnus. Tupà, Ekian et Ashoka ne savent rien les uns des autres et vivent à des milliers de kilomètres de distance. Pourtant, de leur union dépendra le sort de la Sublime Communauté… Entretien avec l’auteure, Emmanuelle Han, et son éditeur, François Martin.

François Martin : Réalisatrice de documentaires pour la télévision, vous signez avec La Sublime Communauté votre premier roman. Comment s’est effectué pour vous ce passage de l’image à l’écrit ?
Emmanuelle Han : Il n’y a pas vraiment eu de “passage”. J’ai toujours écrit, pendant les tournages, entre deux voyages, et l’image est une forme d’écriture. J’ai souvent l’impression d’être dans un entre-deux : quand je fais des images, j’entends des mots, et quand j’écris, je vois des images ! Mais l’écriture me donne indéniablement un sentiment de très grande liberté par rapport à l’image.

Pourquoi avoir choisi d’écrire un roman dystopique ? Êtes-vous une lectrice de ce genre littéraire ?
Je n’ai pas choisi d’écrire un roman dystopique. Une histoire est venue me rendre visite, des souvenirs, des lieux, des personnages, des préoccupations se sont assemblés et j’ai suivi le mouvement. Ce n’était pas prémédité. Mais je n’ai pas non plus été étonnée, j’ai toujours été fascinée par l’exploration de mondes alternatifs, par les histoires qui projettent des extensions possibles de notre réalité, la révélant par là même. J’aime la dimension critique, préventive, visionnaire, de la dystopie.

Les questions environnementales sont largement évoquées dans votre roman, est-ce une préoccupation qui vous tient à cœur ?
J’ai eu la chance en voyageant de mesurer combien la Terre est magnifique, vivante, parlante, et aussi en danger. Elle a autant besoin de nous que nous d’elle. Cela va bien au-delà de la “question environnementale”, c’est tout notre rapport au monde, au vivant, à notre manière de vivre, de nous relier les uns aux autres et à nous-mêmes qui est en jeu.

Pourquoi faites-vous appel autant aux contes et aux mythes du passé dans un roman qui nous projette dans le futur ?
Précisément parce qu’ils sont intemporels, ils constituent un pont entre le passé et l’avenir, une transmission, dont il me semble fondamental de préserver la continuité. Tous les peuples ont accumulé beaucoup de sagesse au fil du temps, et cette sagesse bien souvent est contenue, intacte, dans les contes et les mythes. Ils sont un véritable réservoir d’une partie de notre humanité.

Le tome 2 sortira en octobre 2018. Le mystère des Six Mondes sera-t-il dévoilé ?
Les trajectoires des trois héros ont bougé et s’apprêtent à converger. Ils vont prendre les commandes de la résistance – la Sublime Communauté est nommée et formée – et tenter des offensives pour forcer le passage des Six Mondes.
Surtout, ils vont découvrir l’ampleur de la stratégie des Guetteurs et leur nouvelle base, construite en pleine banquise, à Point Hope, près du détroit de Béring où ils se livrent à d’étranges expériences sur les Affamés…

Propos recueillis par Actes Sud junior

Extrait de La Sublime Communauté 

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—Tupà

Tupà arriva de l’autre côté [du pont] à bout de souffle, dans un sprint effréné. La pluie s’était raréfiée et quelques rayons de soleil perçaient, victorieux, au travers des nuages encore lourds. […]

La foule était compacte de ce côté aussi, mais la confusion était ici en grande partie due
à la présence d’imposants véhicules noirs
– des cars blindés, aux vitres teintées –
garés un peu partout et n’importe comment, gênant sans aucun scrupule la circulation des autres automobilistes, qui klaxonnaient à tout va. Aux abords de ces bunkers roulants de luxe, des militaires dégageaient tant bien que mal le passage afin que les étranges
visiteurs puissent s’extraire de leurs abris. Les Guetteurs – car c’est le nom qu’on avait pris l’habitude de leur donner – remontaient alors sur leur bouche et leur nez les masques couleur chair qui pendaient à leur cou et commençaient à fureter. Ce qu’ils cherchaient précisément, personne ne le savait. On s’était seulement habitué, avec le temps, à voir débarquer sans crier gare ces hommes en costume noir, froids et nerveux, aux aguets.

Tupà sortit de son blouson un bob vert et des lunettes de soleil en verre miroir. Il se fondit dans la foule, parmi les casquettes et les parapluies multicolores des accompagnateurs officiels, qui tentaient désespérément de rassembler les Guetteurs pour les emmener en balade. 

—Ekian


Une voix avait retenti, diffusée par plusieurs haut-parleurs déglingués.

– Le Passage aura lieu demain. Vous paierez votre dernier dû aux Passeurs qui, lorsque la Porte s’ouvrira, vous prendront en charge. Suivez la ligne rouge marquée au sol jusqu’à la zone de sas.

Ekian se mêla à la foule qui se rassemblait le long de la ligne sur la route goudronnée.

La sombre procession avançait. Coûte que coûte, les Affamés marchaient. Les bouts de dents grinçaient, les têtes déplumées étaient rivées au sol, les pas brisés et pourtant déterminés à attendre cette Porte, pour se ruer au hasard dans l’un des Six Mondes, dont on ignorait tout. Absolument tout.

Malgré tous ses efforts pour ne pas penser, une rage lancinante s’était emparée d’Ekian. Elle aurait voulu les prendre par la peau du cou et les secouer. Elle leur en voulait, elle les haïssait de se laisser si facilement berner. Et elle se détestait, elle, de ne pas être en mesure de les libérer.

—Ashoka


L’homme rasé commença à tourner autour du bûcher. Ashoka s’approcha alors de ce dernier, momentanément seul et perdu dans ses pensées, et tenta le tout pour le tout. Le plus simplement du monde, avec un geste doux à travers lequel il tenta de témoigner au mieux de son respect et de sa compassion, l’enfant tendit la main vers l’homme.

L’homme se retourna, regarda pour la première fois l’enfant dans les yeux et, comme s’il avait entendu une suggestion divine, il lui passa la torche dans un élan d’abandon. Ashoka la prit lentement, précautionneusement, veillant à ne pas compromettre la victoire en laissant jaillir sa jubilation et puis, dès que l’homme eut replongé son regard dans le brasier, il fit quelques pas à reculons et partit en courant.

Ashoka venait de voler la Flamme sacrée.
Inconscient de son acte, voulant bien faire et toujours heureux de pouvoir rendre un service, l’enfant n’était que joie. De toute l’histoire de l’Inde, on n’avait jamais vu ça.


(…)

La Sublime Communauté

Actes Sud Junior

Dans un monde dévasté par l’épuisement des ressources naturelles et les violences, des hordes d’hommes et de femmes affamés, rongés par un mal mystérieux, tentent de rejoindre l’une des six Portes qui ouvrent vers des mondes inconnus, promesse de paix et d’abondance. Dans une atmosphère terrifiante, trois enfants au destin hors du commun essaient de trouver un sens à leur existence et comprendre leur histoire. Déracinés dans leur plus jeune âge, ils ont chacun grandi dans des régions très différentes, des contreforts de l’Himalaya à la jungle amazonienne, au plus près de traditions ancestrales. Forts d’un enseignement issu des croyances et des rites primitifs, ils vont transgresser les règles d’un monde en proie à la folie et partir à l’assaut de ces Portes et de ces mondes inconnus… Ce premier roman d’Emmanuelle Han pose les bases de la Sublime Communauté formée par ces trois personnages très attachants. Au-delà du roman apocalyptique, elle invite le lecteur à une découverte des croyances et traditions ancestrales et questionne ainsi le rapport au monde, au libre arbitre et à la liberté. Un premier tome prometteur qui donne très envie de découvrir la suite. – Librairie Sorcière Nemo à Montpellier