Lacanau, en automne. Bouleversée, Nina, dix-sept ans, quitte le domicile familial et jette ses clés dans une bouche d’égout… Quelques mois plus tard, son frère Clément se lance à sa recherche et tente de découvrir les raisons de sa fuite… Quand vient la vague est un magnifique roman écrit à quatre mains par deux auteurs remarqués en littérature jeunesse, Manon Fargetton et Jean-Christophe Tixier. Il rassemble deux univers, deux voix. Deux narrations se mêlent pour créer une vague, unique. Ils ont répondu d’une seule voix aux quelques questions de leur éditrice Agnès Guérin.
Agnès Guérin : Comment est née cette histoire ?
Manon Fargetton & Jean-Christophe Tixier : Cette histoire est née d’une rencontre – de celles qui sont une évidence –, qui a débouché sur l’envie de se découvrir, de discuter, et tout naturellement de faire se rencontrer nos univers.
A. G : Votre dialogue d’auteurs s’est noué à Saint-Malo puis à Lacanau. C’est là que vos imaginaires se sont installés. Dans ce drame psychologique, les non-dits et le secret familial ont une grande part… La famille est-elle un terreau privilégié pour vous ?
M. F & J-C. T : Nos héros sont adolescents, et le cadre principal de vie des adolescents, c’est la famille. Bien sûr il y a leurs amis, le monde extérieur, leurs passions, mais leur environnement immédiat, celui qui les porte, c’est bien la famille. Parler de l’adolescence implique donc nécessairement d’évoquer cette cellule intime, et, parfois, ses dysfonctionnements. Dans ce roman, nous y sommes rentrés à plein 😉
A. G : L’océan est un personnage à part entière et des éléments naturels traversent votre récit. En quoi le nourrissent-ils ?
M. F & J-C. T : L’océan nous fascine l’un et l’autre. Le titre de notre roman, Quand vient la vague, en résume complètement l’esprit. Qui connaît l’océan sait qu’il y a les vagues que l’on voit venir et auxquelles on se prépare, et celles dont la puissance cachée nous emporte, nous bascule et nous bouscule, nous roule sur le sable. La vie est ainsi.
A. G : Vous êtes proches l’un et l’autre des adolescents, de leurs questionnements, de leur idéalisme, de leurs révoltes aussi. D’où de beaux personnages secondaires en rupture comme celui de Jules ?
M. F & J-C. T : Jules, mais aussi Romane ! Nous tenons beaucoup à ces personnages. Grandir et trouver son identité propre est difficile. C’est un combat sur soi-même, sur les autres, qui se complique d’autant quand la solidarité familiale ne peut s’exercer, quelle qu’en soit la raison. Chacun y parvient à sa manière. Il nous semblait intéressant d’explorer ces différentes facettes. Les personnages de Jules et Romane agissent aussi comme des miroirs pour nos héros Nina et Clément. Ils les ramènent à ce qu’ils sont, à ce qu’ils voudraient être et ne parviennent pas à devenir. Ils élargissent aussi leur vision du monde, les poussent à y prendre une place qu’ils choisiront, et qui n’est pas forcément celle qu’ils imaginaient jusque-là.
A. G : À travers Nina, vous semblez nous dire qu’il faut parfois commettre l’irréparable pour pouvoir continuer à vivre…
M. F & J-C. T : Irréparable ou non, c’est tout le sujet du roman. Les relations familiales sont malléables, bien plus imprévisibles qu’on l’imaginait enfant. Elles se font, se défont, se transforment au gré des événements. Seulement, grandir c’est savoir dire non, poser des actes. Mettre fin à des situations qui peuvent être toxiques, ou jugées telles. C’est sortir du « Je suis ma famille » de l’enfance pour passer à un « Je suis moi » réfléchi et assumé. Alors, quand la situation est bloquée, il n’y a pas d’autre moyen parfois que de prendre le large…
Extrait de Quand vient la vague
Prologue
«
Je claque la porte derrière moi, me laisse surprendre par la température extérieure. Il fait un froid glacial. À chaque expiration, un nuage de buée s’échappe de ma bouche, puis se dissipe comme s’il n’avait jamais existé. Je pose mon sac à mes pieds, ferme les yeux, les rouvre. Comment imaginer que je ne reverrai jamais plus cet endroit ? Alors que je remonte l’allée qui mène au portail, j’ai l’impression de traverser un décor de carton- pâte. Tout, autour de moi, est parfaitement à sa place. Les pins. La balançoire sur laquelle on jouait, mon frère et moi, il y a encore quatre ou cinq ans. Le tas de bûches sous l’appentis. Rien n’a bougé, pourtant, ça sonne faux désormais.
Sans me retourner, je quitte le jardin pour la rue déserte.
En me réveillant ce matin, j’avais peur que des larmes mouillent mes yeux au moment de partir. J’ai lu quelque part qu’un amputé peut ressentir le membre absent, voire éprouver de la douleur là où il n’y a plus que le vide. Ce n’est pas mon cas. Je laisse derrière moi le lieu où j’ai grandi, sans que cela provoque la moindre souffrance, et ça me soulage.
La maison familiale est nichée dans un creux, un peu à l’écart des autres. À cette époque de l’année, plus de la moitié des maisons sont fermées. Jusqu’à l’été prochain.
Comme cet horizon n’est plus le mien, j’évite d’y penser.
Après quelques mètres, je m’arrête au- dessus d’une bouche d’égout destinée à recueillir le trop- plein de pluie qui ruisselle des dunes alentour.
Là, je tiens un instant le trousseau de clés entre mon pouce et mon index. J’écarte mes doigts. Je le regarde tomber, voudrais que la scène se déroule au ralenti. Un étrange cliquetis plus tard, il disparaît dans un épais tapis d’aiguilles de pin. J’imagine l’eau qui l’emmènera dans les profondeurs à la prochaine averse. Comme si une bonne pluie pouvait tout laver, faire disparaître toute trace. Ce serait tellement facile. Je souris, du moins j’en ai l’impression. Les yeux fixés sur mes pieds, je me remets en marche. Aujourd’hui, j’ai dix- sept ans, et je ne sais pas encore si ma vie s’arrête, ou bien si tout commence. Peut- être les deux à la fois ?
Aujourd’hui j’ai dix-sept ans, et je ne sais pas encore si ma vie s’arrête, ou bien si tout commence. Peut-être les deux à la fois?» Sans prévenir, sans signe annonciateur, Nina quitte le cocon familial tellement rassurant jusqu’à il y a encore quelques semaines… Fugue, enlèvement ou suicide? L’enquête policière n’a pas su le dire. À deux mois des dix-huit ans de sa sœur, Clément, quinze ans, s’arrache alors à sa passion du surf, prend une autre vague tout aussi grisante et replonge dans les derniers moments passés ensemble… Par le jeu de narrations croisées de Nina et Clément, qui lève l’idée du suicide très rapidement, les révélations posent beaucoup de questions (trop de questions?). Sens de la famille, du couple, injustice de la société, sexualité, monde de l’entreprise, mensonges, hypocrisies, épargner ses proches ou mieux se protéger… Manon Fargetton et Jean-Christophe Tixier sont deux à signer ce roman qui se lit comme on lit une enquête policière ou une histoire de famille, à vous de la lire, à vous de voir! – Librairie Comme dans les Livres