Dans l’atelier de Gaëlle Duhazé

  • Publication publiée :21 mai 2017
  • Post category:Archives

Gaëlle Duhazé vient de publier aux éditions HongFei Chaton Pâle et les insupportables petits messieurs, son premier album en tant qu’auteure et illustratrice. L’histoire de ce chaton angoissé qui va, petit à petit, s’affranchir et s’ouvrir au monde nous a touchées tant par la qualité de l’illustration que par la finesse non dénuée d’humour du récit. Gaëlle nous a reçues dans son atelier, plein d’images, de livres et de quelques délicates douceurs… Merci Gaëlle pour ton accueil, pour le thé et les macarons, c’est très agréable d’être aussi bien reçues, et rendez-vous pour ton prochain livre!  – par Lucie Charrier et Clotilde Galland, librairie Les Enfants Terribles à Nantes, à l’occasion de L’invité arrive, un partenariat d’animations ​entre les Librairies Sorcières et ​l​es éditions HongFe​i Cultures​.


LES ENFANTS TERRIBLES: Peux-tu nous parler de ton parcours? Comment es-tu devenue illustratrice pour la jeunesse?
GAËLLE DUHAZÉ: J’ai toujours aimé dessiner, et les livres ont toujours eu une place importante dans ma vie. Mais je suis venue à l’illustration un peu sur le tard –  je n’ai pas fait d’études d’arts appliqués après le bac par exemple. Je suis d’abord allée en fac, sans grande conviction je dois le dire, même si j’y ai obtenu un DEA d’histoire de l’art. Mais au fond de moi, je voulais faire un métier en rapport avec le dessin. Alors vers vingt-quatre,vingt-cinq ans j’ai décidé de sauter le pas vers la production artistique – au moins pour ne pas avoir de regrets! À partir de là, pendants quatre ans, je me suis investie à fond dans l’apprentissage du dessin, en faisant des petits boulots à côté pour vivre. Je n’étais pas très fixée au départ sur l’orientation que je souhaitais prendre, BD ou illustration – et par «illustration» je ne pensais d’ailleurs pas forcément «illustration jeunesse». Mais assez rapidement, au vu de mes travaux, on m’a dit que c’était dans ce secteur que je trouverais du travail. Comme je voulais pouvoir vivre le plus rapidement possible de mon dessin (vu mon âge!), j’ai tenu compte de ces avis et démarché les  éditeurs jeunesse dès que j’ai eu un book de niveau professionnel. C’est comme ça que j’ai commencé à répondre, fin 2008, à des commandes d’illustrations. C’est avec les éditions HongFei, qui publient aujourd’hui mon Chaton Pâle, que j’ai dessiné l’un de mes premiers albums, Mûres-Mûres, une histoire pour les plus petits.


LES ENFANTS TERRIBLES: Avec Chaton  Pâle et les insupportables petits messieurs, tu abordes un thème délicat, celui de la confiance en soi, des angoisses, et tu enrobes cette approche de finesse et humour. Est-ce important pour toi de «guider» les enfants? D’écrire des histoires qui aident et accompagnent les petits?
GAËLLE DUHAZÉ:  Cet album est mon premier livre en tant qu’auteure-illustratrice. Depuis le début de mon activité, j’ai eu l’envie de créer aussi par l’écriture, mais je n’en trouvais pas le temps. C’est à l’occasion d’une résidence au Musée de l’Illustration Jeunesse de Moulins que j’ai pu m’y atteler par le biais de ce projet d’album. Cela m’a pris du temps pour trouver le ton adéquat pour m’adresser aux petits. Peut-être parce que mon travail personnel a un pied dans l’enfance, pour ce qui est de la forme, et un pied dans le monde  adulte, pour ce qui est des thèmes que j’ai envie d’aborder.  Et puis je me suis souvenue que les livres pour la jeunesse que je préfère sont ceux qui parlent simplement de choses intimes et importantes et qui peuvent être lus à tous les âges de la vie – un livre qui peut être partagé par des lecteurs de générations différentes est toujours plus savoureux! De manière très concrète, tout a commencé par l’apparition d’un petit chat à l’air piteux dans mes carnets de croquis, et j’ai ressenti l’envie de lui inventer une histoire… Au commencement, je savais juste que le récit s’articulerait autour de la peur. Mais je ne savais pas sous quelles modalités. Je voyais ce chat solitaire, pâle et un peu souffreteux, je me suis dis que logiquement c’était parce qu’il ne sortait pas de chez lui. Restait à trouver ce qui l’en empêchait… C’est là que sont apparus les Insupportables Petits Messieurs: cette personnification des angoisses permettait de leur donner un contour précis, de pouvoir les présenter sous différents angles, tour à tour menaçantes ou ridicules, et de faire avancer la narration. Je voulais écrire une histoire qui parle, aux petits comme aux grands, d’une expérience assez universelle, celle qui consiste à devoir accepter et organiser (un peu) son propre chaos intérieur, pour ne pas se laisser submerger, et projeter à l’extérieur ce que l’on porte à l’intérieur de nous-mêmes. C’est une fois que l’on a accepté cet «autre à l’intérieur de nous-mêmes» que l’on peut plus sereinement être en bonne relation avec les autres et ne pas céder systématiquement à la peur. C’est d’ailleurs cette thématique autour de l’altérité qui a intéressé les éditions Hongfei, bien que mon album soit en marge de ce qui fait le coeur de leur catalogue, l’ouverture vers les cultures de Chine.


LES ENFANTS TERRIBLES: Pour Chaton Pâle tu utilises différentes techniques de dessins, crayons, encre… As-tu un médium privilégié? Et quelles ont été tes sources d’inspirations graphiques

GAËLLE DUHAZÉ: Je n’ai pas réellement de technique de prédilection: j’aime surtout, je crois, mélanger les outils, et je les choisis beaucoup en fonction de l’ambiance graphique que je souhaite donner à chaque projet. Pour Chaton Pâle, je voyais un album avec des images un peu à l’ancienne, avec pas mal de détails et de belles matières, pour que les enfants puissent passer du temps à les regarder, et y revenir une fois l’histoire lue. J’ai travaillé à la couleur directe, aux crayons et à l’aquarelle principalement: ça a été un grand plaisir, car pour les projets de commande, je mets mes dessins en couleur numériquement, pour des questions pratiques. Pour cet album, grâce à la résidence du MIJ, j’ai pu prendre le temps de bien travailler mes planches et renouer avec le plaisir du geste et du travail au crayon et au pinceau, sur du beau papier, ce qui permet une subtilité de trait et de matière que ne permet pas le numérique. Pour ce qui est de l’univers graphique, je suis revenue à mes fondamentaux en matière de jeunesse: Les Moomins de Tove Janson, les albums de Kitty Krowther, et les personnages issus du folklore populaire japonais, principalement les Yokaï (esprits des lieux), qui ont inspiré les Insupportables Petits Messieurs. Je voulais quelque chose de tendre avec une point d’étrangeté, puisque l’on est sur un album qui parle de choses intimes. Je trouve que le mélange de grâce et de trivialité que l’on trouve dans ces personnages convient très bien à l’expression des mondes intérieurs et des sentiments ou des pensées qui y naviguent.


LES ENFANTS TERRIBLES: Enfin, peux-tu nous parler de tes projets? Quels sont les thèmes que tu as envie d’aborder dans tes prochaines histoires?

GAËLLE DUHAZÉ: Je voudrais raconter l’histoire d’une petite raton laveur orpheline qui va à la recherche de ses origines. Cela sera aussi une histoire animalière plutôt longue, avec des éléments fantastiques, et des références au folklore japonais une fois encore, puisque mon personnage doit se rendre sur l’île d’Hokkaïdo. Je commence tout juste à écrire le projet, alors je ne sais pas encore tout de l’histoire. Patience!

Propos recueillis par Lucie Charrier et Clotilde Galland, Librairie Les Enfants Terribles à Nantes -article paru dans le n°76 de Citrouille, disponible dans les Librairies Sorcières