Des signes et elles : «L’essentiel est ce qu’on raconte et comment on le raconte.»

  • Publication publiée :4 juin 2017
  • Post category:Archives
Cendrine Genin et Séverine Thévenet
Entre nous – bébé signe : voilà un livre pour apprendre aux plus jeunes, malentendants ou pas,  soixante-dix-huit mots en langue des signes. Mais pour ce faire voilà aussi, bien au-delà d’un simple dictionnaire, l’oeuvre photographique de deux artistes plasticiennes qu’a eu envie de rencontrer Amandine Drajner (librairie Croquelinottes).

Quelle aventure que cet album! C’est vraiment le sentiment qui ressort de l’échange que j’ai eu avec les deux auteures, Séverine Thévenet et Cendrine Genin. Les photographes (entre autres qualités) ont certes des parcours différents, mais elles se sont retrouvées, bel et bien ensemble, autour de ce projet. Certes, ce n’est pas leur coup d’essai, nous nous souvenons du très beau Des signes et moi, il y a deux ans. Pourquoi se sont-elles ensuite lancées dans ce nouvel opus? L’accueil chaleureux du public pour leur premier ouvrage, des lecteurs insistants qui avaient envie de voir naître un nouveau projet de ces deux-là réunies, une maman arguant qu’un livre bien conçu pourrait aider un grand frère malentendant à partager son langage avec son petit frère… C’est tout cela à la fois. Une discussion avec Geneviève Maccio, éducatrice de jeunes enfants dans une crèche de Lyon, va cependant être déterminante. Les deux artistes, appuyées et encouragées par Frédérick Tamain, un éditeur conquis et passionné qui leur laissera carte blanche, se lancent alors dans une année et demi de travail acharné – à titre gracieux parce que la crèche concernée n’a pas de budget pour ce projet…
Il y a d’abord eu une recherche préalable sur la communication chez les bébés dès leurs six premiers mois, afin de pouvoir ensuite se faire accepter des enfants qu’elles allaient rencontrer. Puis une quarantaine de séances-ateliers seront nécessaires pour réussir à saisir ces précieux instants rendus dans l’album. Les éducateurs eux-aussi se lanceront en amont dans l’apprentissage de la langue des signes accessible à ce public âgé de six mois à trois ans. Des parents vont également se prêter au jeu et prendre le relais à la maison. Il faudra beaucoup de patience à Cendrine et Séverine, ainsi qu’aux enfants, pour aboutir à une sélection de photos convaincantes. Car il savent ce qu’ils veulent ces petits et, dans leurs regards parfois, Cendrine et Séverine ont pu lire «c’est nous qui t’acceptons, c’est nous qui décidons».
De la patience, donc, mais aussi de la passion. Tout au long de ma discussion avec les deux plasticiennes, je me rends compte que c’est évidemment ce qui les anime. Comme Cendrine le dit avec humilité, «nous faisons peu, mais ce peu est fait avec foi. Il s’agit d’une manière de vivre, entière, juste, pour pouvoir tout simplement regarder l’autre dans les yeux.» Alors que Séverine me rappelle à juste titre que la photographie est un outil d’illustration poétique au même titre que  le dessin, la peinture, le collage, Cendrine rétorque dans la foulée entendre trop souvent que cette expression artistique n’est pas un média vendeur aujourd’hui, à l’heure des selfies, instagram… Alors qu’il n’y a que de bons ou de mauvais projets, les éditeurs mettent souvent d’emblée leur veto à ce genre d’aventures. Mais pour les deux amies «l’essentiel est ce qu’on raconte et comment on le raconte». Pour elle deux la photo est un regard à part entière, et il convient de militer pour que la littérature jeunesse soit aussi portée par ce vecteur singulier. Et dans ce combat Frédérick Tamain peut être chaleureusement remercié du risque réel qu’il prend, et que le succès de Des signes et moi a déjà très justement récompensé
De la patience, disions-nous, de la passion… et du bonheur à travailler ensemble! Les deux femmes parlent d’une véritable alchimie, à un niveau peut-être souvent rare dans le milieu des artistes où il est difficile de mettre son ego de côté. Or ici chacune, avec son univers différent, son regard spécifique, a su se mettre au service du projet, avec pour seul et unique objectif «la rencontre et le partage, celui de la matière et des êtres». De la patience, de la passion, du bonheur… et aujourd’hui, voilà, le livre est sorti. Sa naissance et son succès probable rendront un bel hommage à toute l’énergie déployée par les enfants, et à tous ces acteurs dynamiques et militants.

Amandine Drajner, librairie Croquelinottes à Saint-Étienne

Oui, non, escargot, maison, dodo, livre… une simple et belle comptine? Peut-être bien, mais ce n’est pas tout. Entre nous ne se contente pas de nous offrir un beau dictionnaire de la langue des signes pour les plus petits, mais bel et bien un objet artistique, fruit d’une recherche poétique et d’un réel apprentissage des enfants photographiés. Ceux-ci sont tellement naturels, c’est un vrai plaisir que de feuilleter ce nouveau livre de Cendrine Genin et Séverine Thévenet après leur précédent Des signes et moi, chez le même éditeur. Pris sur le vif, ils ont à nous apprendre, comme le dit si bien Boris Cyrulnik en préambule, que «le langage des sourds, avec sa belle gestuelle nous démontre qu’il y a une pensée sans paroles qui est très rapide.» Librairie Croquelinottes à Saint-Étienne