Didier Cornille, ou l’esthétique marquée par les jeux de l’enfance

Didier Cornille vient de recevoir la Pépite du Livre d’art 2014 du Salon du Livre et de la Presse jeunesse pour son ouvrage Tous les Ponts sont dans la nature. En 2013, Citrouille l’avait rencontré pour ses deux précédents albums: Toutes les maisons sont dans la nature et Tous les gratte-ciels sont dans la nature.

Didier Cornille porte une casquette. Et c’est un homme charmant. Plongé dans la conception d’un nouvel ouvrage à paraître, il a toutefois pris le temps de nous parler de son travail pour la jeunesse, et de son précédent livre Toutes les maisons sont dans la nature (nominé pour les Prix Sorcières 2013). Il s’est entretenu avec nous avec grande passion et incroyable modestie.

En guise de présentation, Didier Cornille évoque son parcours artistique qui l’oriente vers le design plutôt que l’architecture, deux disciplines très liées dans le travail des deux maîtres qui ont marqué sa formation: Claude Courtecuisse, dont il a été élève aux Beaux-Arts de Lille, et le grand Ettore Sottsass qu’il rencontre en Italie. Aujourd’hui Didier Cornille enseigne aux Beaux-Arts du Mans, en marge de son activité de designer dans la création de mobilier, de lampes, qu’il exerce à Paris.

Il évoque sa rencontre avec l’équipe des éditions Hélium comme l’ultime rebond d’un ricochet marqué par un hasard heureux: les éditions des Trois Ourses, Gérard Lo Monaco, Hélium… Les deux premiers projets présenté à l’éditeur qui sera celui de Toutes les maisons sont dans la nature étaient des prototypes de livres objets inspirés de Munari. Et son écoute sensible pour ce travail que Didier Cornille ne destinait pas nécessairement aux enfants ne put que l’enchanter… On retrouve dans Mini Maxi et Bon voyage, les deux premiers livres qui en découleront, le même jeu sur les contraires, l’idée du «livre dans le livre» et le goût pour les sons. La naïveté vintage de ces deux objets charmants laisse deviner le grand lecteur qu’est aussi l’auteur, marqué par les «leçons de choses» du XIXe.

Didier Cornille trouve aujourd’hui chez Hélium un terrain d’expérimentation et de découvertes et se plaît à observer les contraintes liées à la création complexe d’un livre qu’il présente avant tout comme un travail collectif. Pour lui la qualité de l’objet final, indéniable, résulte de la chance de pouvoir créer avec cet éditeur… et des limites de ses propres compétences. Créer un beau livre suppose en effet qu’on sache déléguer avec un niveau d’exigence réciproque. Et il faut voir tous les détails des trois livres publiés pour le comprendre: du soin accordé aux couvertures, au choix des polices, aux subtilités de mise en page, jusqu’aux jolies tranches colorées…

La réalisation de Toutes les maisons sont dans la nature est le résultat d’un long travail dont le livre ne laisse cependant voir ou deviner qu’une partie. Elle témoigne en tout cas d’une histoire personnelle. On y trouve la fascination intacte de l’enfant visitant la cathédrale de Coutances ou le Mont-Saint-Michel mais aussi le père voyageant avec ses deux fils et leur faisant partager son goût pour l’aventure architecturale. Toutes les maisons sont dans la nature est un ouvrage étonnant de maîtrise, mais qui sait rester touchant, notamment au travers de son esthétique marquée par les jeux de l’enfance. C’est d’ailleurs ici que Didier Cornille justifie le choix du dessin plutôt que celui de la photographie. Selon lui, en architecture, la photographie donne à voir mais n’explique rien. Le dessin et la maquette offrent en tout cas plus de latitude et permettent de comprendre des qualités spatiales intraduisibles dans le langage photographique.

Comme son beau titre trouvé par Sophie Giraud l’indique, le livre se veut comme un résumé de l’architecture moderne: les maisons sont de toutes natures et varient selon les époques. Il est à sa façon un outil pour comprendre le monde dans lequel nous vivons, pour expliciter notre rapport aux objets, pour solliciter notre perception des échelles. Il est aussi l’expression d’un engagement fort de l’auteur contre les réticences vis-à-vis de la modernité. Toutes les maisons sont dans la nature est moderne et ce n’est pas rien.

Gwendal Oulès, librairie Récréalivres

Photo : hélium