Écrire au futur est donc possible, puisqu’il y a un après: Samedi 14 novembre, de Vincent Villeminot

Samedi 14 novembre est un roman qui m’a prise aux tripes et profondément dérangée. J’ai dû plusieurs fois refermer le livre pour reprendre mon souffle avant de replonger dans cette tornade d’émotions violentes. Le narrateur me filait entre les doigts, m’échappait au fur et à mesure que sa folie prenait une ampleur considérable. Ce texte m’a fait mal, il m’a bousculée, révoltée, mais profondément touchée. – par Solène, Librairie M’Lire à Laval (un  article de janvier 2017)

Vendredi 13 novembre, B. et son frère Pierre sont attablés à la terrasse d’un café quand surviennent les tirs. B. est touché par une balle, tandis que Pierre git à terre, sans vie. À l’hôpital, sous le choc, B. s’enfuit sans se retourner et s’enfonce dans une nuit noire.

« B. marchait comme un somnambule. Il se sentait comme un funambule, plutôt : en équilibre fragile au-dessus d’une douleur sans fond. »

Dans le métro, parmi les visages hagards, B. capte le regard d’un homme et le reconnaît. Dans la voiture pendant que les autres tiraient, il était resté à contempler la scène à travers la vitre de la portière, sans bouger. Alors B. va suivre l’inconnu, guidé par son instinct. Il va suivre « son » assassin. Très vite, j’ai senti que les rôles allaient s’inverser. La victime qui devenait bourreau, et le bourreau, victime.

Vincent Villeminot signe ici un roman extrêmement fort, un de ceux qui ne peuvent laisser indifférent. Un roman déroutant sur un sujet où la parole a du mal à se libérer, déstabilisant par la violence de B., ce déchaînement d’agressivité incontrôlable, qui s’éveille brusquement au contact de la haine. Je me souviens du rire de B., effrayant et malsain, ce « grand rire sauvage ». Et ses mots qui claquent, ses injures cinglantes. Puis la peur qui s’insinue dans ce petit appartement, qui suinte et oppresse. Que va-t-il faire ? Jusqu’où va-t-il aller dans sa folie ?

Au centre du drame, Layla est la figure apaisante dans cette atmosphère étouffante et saturée. Puis B. devient Benjamin, ou redevient Benjamin. J’ai bien senti que le rire au fond de son ventre pouvait ressurgir à tout moment, mais il semblait avoir repris corps dans le jeune homme de vingt ans qu’il était, sans armes, sans son poing écorché à vif, sans cette démence insoupçonnée qui l’avait cueillie dans le hall de l’immeuble. Il retrouve son humanité, volée par la vengeance, la volonté de faire mal à celui qui brise.

« À ce moment, à ce moment précis, Benjamin ne savait plus qui était l’ennemi. Ni ce qui le soulagerait – d’en finir avec l’autre ou avec lui-même. »

Quand B. est Benjamin, Layla prend soin de lui, panse ses blessures. C’est comme s’ils n’étaient plus que deux, alors, dans l’appartement. Deux corps qui s’apprivoisent après la violence, deux esprits qui échangent, se confrontent. Qui se pardonnent peut-être.

Écrire au futur est donc possible, puisqu’il y a un après, un avenir.

« Comment tu la regardes, la mer ? La vie qui vient et reflue, nous traverse, puis se retire ? Comment tu la regardes ? Et vers où ? Vers quel horizon – quelle ligne de fuite ? »

Prenez le temps de lire ce livre, puis de le digérer à votre manière. Parlez-en autour de vous, car il soulève un flot de questions sur un sujet douloureux où les mots ont du mal à se frayer un passage.

Solène, Librairie M’Lire à Laval


SAMEDI 14 NOVEMBRE
de Vincent Villeminot
Sarbacane, collection eXprim’