Effacée, lu par Récréalivres

Partant du principe éprouvé (et disculpant) que les « mauvais » romans sont parfois plus intéressants que les « bons » et me fiant à sa couverture très Calvin Klein, j’ai lu « Effacée » de Teri TERRY (un probable pseudo rassurez-vous). Je m’étais à l’avance fait un plaisir de railler cette nouvelle dystopie publiée dans la peu recommandable collection Fiction de La Matinière Jeunesse. La quatrième de couverture est à elle seule l’illustration pathétique d’une forme de standardisation éditoriale et pourrait avec quelques modifications minimes être échangée avec beaucoup d’autres.

« Dans un futur proche, […] Une intrigue dense et haletante pour une quête d’identité d’une intensité rare. »

Pourtant, sans pour autant s’éloigner complètement des règles d’un genre ultra codifié, « Effacée » se révèle bien plus réussi que ce qui était attendu.

L’histoire très classique suit la jeune Kyla, criminelle dont les autorités politiques d’une Angleterre fascisante ont effacé la mémoire en vue d’une réinsertion. Elle apprend à découvrir sa nouvelle famille et son environnement scolaire tout en s’accommodant de son nivo, sorte de bracelet électronique capable d’encadrer et de surveiller son comportement et ses émotions. « Effacée » brode sans grande originalité sur le motif très romanesque de l’amnésique et trousse sans faux pas notables l’éducation sentimentale et politique d’une jeune fille suffisamment ordinaire pour qu’une majorité de lectrices puissent s’identifier.

De la même manière que le premier tome de la trilogie d’Ally CONDIE (« Promise », ed. Gallimard) avait pu agréablement surprendre, « Effacée » se détache du tout venant par une forme de minimalisme bienvenu. Teri TERRY choisit notamment de ne tracer que dans les grandes lignes le contexte social et politique de cette Angleterre d’anticipation qui évoque celle d' »Auprès de moi toujours » * ainsi que la dictature argentine. Elle cantonne son roman à quelques lieux caractéristiques (une chambre, une salle de classe, un cabinet médical,…) et ménage ses effets. « Effacée » reste entièrement concentré/orienté sur son personnage principal/narratrice, archétype parfait de l’adolescente égocentrique obsédée par ses émotions. Le nivo est à ce titre une jolie trouvaille qui résume à elle seule l’emprise d’une société résolue dans un compromis schizophrénique à donner une possibilité de rachat aux criminels tout en anéantissant leur intégrité psychologique**.

En ce sens et de façon assez inattendue, « Effacée » est un roman théorique. Beaucoup de thèmes contemporains y sont traités de façon abstraite, sacrifiant au passage la plupart des personnages tous construits sur de prévisibles faux-semblants. Cette valeur symptomatique n’est pas le seul intérêt d' »Effacée » mais elle risque néanmoins de ne pas résister à l’effet de suite. Car le roman de Teri TERRY n’est qu’un premier tome…

Librairie Récréalivres, Le Mans

Effacée, Teri TERRY,  éd. La Martinière Jeunesse, coll. Fiction, 15€.

* « Auprès de moi toujours », Kazuo ISHIGURO, éd. Folio, 8.20€.

** Il y a quelque chose d’assez fascinant bien que probablement involontaire, de voir comme le lecteur est lui même mis en quelque sorte dans la peau d’un effacé : posture de celui qui doit prétendre avoir oublié (avoir lu de meilleurs romans) et qui se souvient néanmoins (ceci donnant du prix à sa lecture).