Les p’tits loups du jazz, Mon p’tit doigt m’a dit, A l’eau ; ces titres ne vous sont peut-être pas inconnus. Et pour cause, on les doit aux artistes du label Enfance et Musique, éditeur de référence en matière de musique pour enfants [une interview menée par la librairie Larcelet et publiée dans la revue Citrouille en 2008].
Au commencement de l’aventure : Marc Caillard. Musicien, professeur à l’école nationale de musique de Romainville et psychologue, il travaille au service de Protection Maternelle et Infantile de Seine Saint-Denis avant d’être contacté par une crèche du département, qui lui propose de tenter l’expérience d’un éveil musical dans ces lieux d’accueil de jeunes enfants. Suite à ses interventions, Marc Caillard prend conscience que « le rapport vivant à la musique se développe dans la prime enfance ». Il apparaît dès lors nécessaire de créer un outil permettant à la musique d’exister au quotidien dans la vie sociale de l’enfant et de sa famille. C’est ainsi que l’association Enfance et Musique voit le jour et oeuvre depuis 1981 pour que l’éveil musical du jeune enfant soit intégré à un projet culturel global regroupant tous les acteurs de sa vie quotidienne. Les activités de l’association sont multiples. Formations en direction des professionnels de la petite enfance (conte, théâtre, marionnettes), créations de spectacles, publication de documents pédagogiques et de deux revues – les Cahiers de l’éveil, qui sont « une invitation à partager réflexions et interrogations sur le sens de ces actions culturelles ou artistiques à partir de points de vue de philosophes, artistes, sociologues (…) » ; et la Revue des initiatives, dont le but est de faire partager les expériences d’éveil artistique – ; ces actions sont soutenues par plusieurs ministères, organisations publiques et privées 1. En parallèle de l’association, Marc Caillard a créé en 1986, le label Enfance et Musique, structure de production et d’édition d’oeuvres phonographiques et pédagogiques. Actuellement, son catalogue compte plus d’une soixantaine de références – fruits du travail des artistes qui oeuvrent au sein de l’association -, mais aussi une nouvelle collection intitulée Un livre, un cd. J’ai contacté Marc Caillard et Katy Couprie qui est, avec Antonin Louchard, directrice de la collection, afin qu’ils nous parlent de leurs ouvrages.
– Qu’est ce qui a motivé la décision développer une collection de livres-disques?
M. C. : Si on se replace dans l’histoire du label, les éditions Enfance et Musique ont commencé avec des livres-cassettes. 75 chansons et comptines, A tire d’ailes, Rondes de nuit et Noël : chacun de ces titres était accompagné d’un livre. Nous avons associé la musique et le livre précisément parce que nous avons toujours considéré que la rêverie devant l’image est une manière de renforcer l’existence de la musique. Le livre signifie la musique, une matière abstraite, comme une enveloppe sonore, difficile à saisir. Notre orientation vers les tout-petits a renforcé l’idée que soutenir l’attention du jeune enfant par l’évocation artistique d’une illustration est quelque chose de positif. Les livres-cassettes ont existé entre 1986 et 1992. Comme nous sommes d’abord des éditeurs phonographiques, nous nous sommes concentrés sur la musique. Même si nous avons toujours essayé de créer de beaux livrets pour accompagner les disques, ils n’ont jamais eu la force d’un livre.
– Qu’attendez-vous du support « livre »?
M. C. : Dans la mesure où le marché du disque périclite, les disquaires disparaissent, donc le seul réseau de diffusion culturelle encore existant est celui des libraires. Revenir à l’édition de livres est une façon de nous intégrer dans ce réseau. Nous sommes conscients du caratère « noble » du livre. Avec ce support, on touche de nouveau le public qui nous avait déjà soutenu en achetant nos livres-cassettes, et on revient aux sources de quelque chose qui nous semble, en tous les cas pour la petite enfance, faire partie de ce qui soutient la perception et la prise de conscience de la musique. Le livre et son contenu s’apparentent à un petit théâtre de la musique. Si on chante des comptines ou des chansons à gestes face au bébé, c’est bien pour soutenir sa perception de la musique. Le visage du père ou de la mère est un véritable théâtre où s’expriment les sentiments, auquel le bébé s’accroche pour fixer ses perceptions. On attend du livre qu’il intervienne comme complément à ce théâtre, à la musique, aux gestes.
« un univers d’images
pour accompagner l’écoute »
(Katy Couprie)
– L’association agit pour le développement des activités d’éveil musical auprès des jeunes enfants. Est-ce pour cette raison que vous avez fait appel à Katy Couprie et Antonin Louchard, auteurs d’imagiers, livres d’éveil par excellence ? Quelle mission leur avez-vous confié?
M. C. : Etre, s’inscrire dans une perspective d’éveil culturel nécessite de travailler avec les artistes engagés dans cette voie. Nous avons proposé à Katy Couprie et Antonin Louchard la direction de la collection et la création des premiers titres parce qu’ils sont des artistes, et qu’en tant que tels, ils ont un engagement moderne et créatif. Nous connaissions leur travail, notamment Tout un Louvre 2. Il s’agissait pour nous de leur proposer une démarche similaire à celle qu’ils ont entrepris pour cet ouvrage, à savoir s’approprier le catalogue Enfance et Musique et le réinterpéter. Il n’était pas question de leur demander simplement d’illustrer nos chansons. Parce que nous sommes engagés avec l’association dans l’éducation et l’éveil des jeunes enfants, qui sont un public sensible, il nous fallait réfléchir à une collection et à des artistes capables de transmettre justement. Les musiciens du label ont une connaissance intégrée de ce public. Ils ont l’intuition de ce qui convient au tout-petit, ils n’essaient pas de sonner « bébé », au contraire, leur musique permet une rencontre intelligente avec le bébé. Katy et Antonin ont également trouvé cette alchimie, ils possèdent le langage et l’intuition qui conviennent pour parler aux tout-petits.
– Katy, qu’est-ce qui vous a intéressé dans la démarche d’Enfance et Musique?
K. C. : Leur parti pris : mettre en avant une véritable démarche de création musicale pour les petits…. Avec des exigences, des performances musicales qui ne sont pas revues « à la baisse », sous prétexte qu’on s’adresse aux enfants.. La première fois que j’ai écouté « A l’eau » par exemple, j’ai été étonnée de l’énergie et de l’esprit musical du disque. La façon dont ils mêlent aussi travail de « pros » et voix d’enfants apporte une qualité bien particulière aux disques, les rend très vivants.
– Avec Antonin Louchard,, vous avez en charge la direction de la collection Un livre, un cd. Pouvez-vous nous parler du développement de cette collection, de votre démarche de création?
K.C. : Il s’agit d’offrir une nouvelle vie et une ouverture supplémentaires à leurs productions, existantes ou à venir, avec ce que l’image et le livre peuvent apporter à l’écoute : un univers, une concentration, un plaisir, un accompagnement… Peut-être une autonomie différente aussi pour l’enfant, avec son objet entre les mains. C’est en tout cas dans ce sens que nous avons fait nos choix, format, cartonné…
– Comment naît un livre-disque ? Y a-t-il une interaction entre la musique et l’illustrateur ?
K. C. : Oui, il y a interactions… C’est l’illustrateur in fine qui choisi les morceaux, l’ordre des chansons, les rapports textes – images, les volumes de texte à conserver, les coupes… Personnellement, je les écoute beaucoup en travaillant, il faut penser image + musique…
– La musique est un langage, l’image aussi. Comment créez-vous un univers dans lequel langage musical et langage visuel interagissent?
K. C. : J’imagine une promenade du regard pendant l’écoute, je crois que la double-page est plus un champ d’attention, de déambulation visuelle associé à un temps d’écoute. La notion de narration est différente me semble-t-il de celle de l’album. L’image cependant s’appuie toujours sur tous les éléments de la chanson ou de la comptine , mais elle lui répond autrement. Il s’agit plus de séquences qui se suivent, d’épisodes dans le livre.
– Pourquoi vous avez choisi de publier sous forme de livres-disques des titres publiés auparavant dans le catalogue « disque »?
M. C. : Les livres-disques sont de véritables créations, dans le sens où les artistes composent un univers visuel pour accompagner l’écoute. Les titres qui font l’objet d’une adaptation en livre sont les classiques de notre catalogue, ceux qui ont le plus d’écho auprès du public. Dans la mesure où le marché du disuqe connaît de véritables difficultés, il nous semble logique de vouloir maintenir en vie nos classiques qui, s’ils restent uniquement sous forme audio, n’auront pas vraiment de chance d’exister encore longtemps. Nos disques sont liés aux valeurs d’Enfance et Musique, ils font partie d’un patrimoine collectif. Passer ce patrimoine en livres-disques nous permet de les recréer, en faire quelque chose de nouveau, afin de leur offrir la possibilité de rencontrer un nouveau public et de continuer à exister autrement.
Quels sont les projets à venir?
M. C. : En 2008, l’objectif est de continuer à installer la collection. Nous sortirons deux titres : en avril Pirouettes, illustré par Antonin Louchard, et en septembre Noël, illustré par Katy Couprie. Par la suite, nous projetons de publier cinq ou six titres par an et de travailler avec d’autres illustrateurs. L’idée, pour les projets à venir, est de créer à la fois la musique et les images. Nous continuerons à publier des disques, car conserver ce support, c’est défendre notre identité d’éditeur phonographique, mais aussi l’idée que la musique ne doit pas être considérée comme ne pouvant plus être écoutée sans l’accompagnement d’un autre support.
En attendant les prochaines parutions du label, vous pouvez d’ores et déjà écouter et lire en grand format Les trois papas et Ti’zozios, et en petit format cartonné Mon petit doigt m’a dit, A l’eau, Les p’tits loups du jazz et Cocodi-Cocoda. Pour en savoir plus sur l’association Enfance et Musique, rendez-vous sur le site internet www.enfancemusique.asso.fr, où vous pourrez découvrir le programme des formations, les spectacles mais aussi les archives des Cahiers de l’éveil et de la Revue des initiatives. Bonne écoute et bonne lecture!
1 Le ministère de la Culture et de la communication, le ministère des Solidarités, de la Santé et de la Famille, le ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative, la CNAF, la DIV, l’ARH ; la Fondation de France, la SACEM, Au Merle Moqueur.
2 Tout un Louvre de Katy Couprie et Antonin Louchard, co-édition Thierry Magnier et Musée du Louvre