Entretien avec Crusciform – Il était une forme, un album farfelu et universel

Il était une forme est évidemment un des albums incontournables de cette fin d’année (2021), Cruschiform nous livre les clés de la construction de ce fantastique livre hors-normes, composé en duo avec Gazhole et avec le soutien inconditionnel de Maison Georges

— Propos recueillis par Nathalie Mysliwiec, librairie Le Préau à Metz, entretien publié dans Citrouille 90 (décembre 2021).

Comment vous est venue l’idée de revisiter le thème et la forme du conte ?
L’histoire a commencé à s’écrire au creux des pages du magazine Georges, sous la forme d’épisodes reposant sur des gags visuels avec des personnages géométriques. Autour d’une première proposition très libre mais un brin macabre, nous avons ensuite convenu, avec Gazhole à l’écriture et Anne-Bénédicte Schwebel, l’éditrice de Maison Georges, de puiser dans l’univers des contes de fées. Cela nous permettait plus d’accessibilité et d’universalité, tout en déployant nos idées farfelues. Après ces épisodes et des ateliers d’écriture qui ont confirmé l’intérêt et l’appropriation immédiate des plus jeunes, les éditrices nous ont encouragé·e·s à poursuivre le projet à travers un album plus ambitieux, un défi que seule Maison Georges semblait prête à relever.

Combien de temps avez-vous mis pour développer ce projet ? Avez-vous rencontré des obstacles ?
Nous avons pu obtenir une aide du CNL*, nous avions ensuite deux ans pour le réaliser. La crise sanitaire et les confinements ont ralenti notre travail, au total, nous avons finalement travaillé trois ans à la création de l’album, et quatre années ont été nécessaires avant que l’album ne sorte. Maison Georges nous a toujours soutenu·e·s, nous a fait confiance et nous a laissé une grande autonomie.On peut qualifier votre duo créatif de complémentaire…La force de notre duo, c’est la rigueur graphique et esthétique d’un côté, et l’humour et le sens de l’absurde, de l’autre. Nous avons une très bonne alchimie dans laquelle se mêle la force conceptuelle à l’autodérision. L’idée étant de rendre un album exigeant, mais qui ne soit pas ennuyeux et dans lequel on puisse rire et s’autoriser une grande liberté de ton.

On constate une adéquation totale entre le texte et l’image – ce qui n’est pas toujours le cas dans tous les albums – à quoi attribuez-vous cette réussite et ce parfait équilibre entre les deux ?
C’était un jeu permanent de ping-pong entre nous deux, l’histoire s’est construite à deux, l’un alimentait l’autre. Nous avons la chance de pouvoir travailler étroitement ensemble et notre complicité enrichit notre créativité.Il était une forme contient différents niveaux de lecture, il s’adresse évidemment aux enfants, mais peut également plaire par de nombreux aspects aux adultes. Est-ce une volonté de votre part ?Nous voulions que cet album parle aux enfants bien sûr, mais aussi aux adultes qui percevront différemment certains traits d’humour. Nous pensons qu’il n’y a pas d’âge pour s’étonner et s’émerveiller.C’est donc un album qui, je pense, mérite plusieurs lectures tant il fourmille d’idées !

Il devait être encore plus dense au départ ?
Effectivement, à l’origine, le projet était encore plus ambitieux. Il devait compter quatre histoires, comporter beaucoup plus de pages… Nous avons dû nous limiter pour pouvoir toucher le jeune public et conserver un certain sens du rythme.

À propos des différentes références, on relève de nombreux clins d’œil au cours de la lecture de l’album. Quels sont-ils ?
Nous nous sommes inspiré·e·s des premières bandes dessinées – Mickey, Bécassine… – car on souhaitait un système de narration posé. De même, l’insertion des cartouches noirs fait référence au cinéma muet – Charlie Chaplin, Méliès… On retrouve également notre intérêt pour les formes élémentaires et les couleurs primaires.

L’album tient sa force dans sa capacité à déjouer tous les codes et finit par délivrer un message très fort de liberté et de droit à la différence qui s’exprime tant par le fond que par la forme. Est-ce votre volonté de départ ?
L’idée de déjouer les stéréotypes est venue naturellement, la morale de fin s’est révélée à nous sans qu’on l’ait vraiment décidé. Nous ne voulions pas écrire un conte moralisateur et créer un album à message, nos idées se sont exprimées d’elles-mêmes et le principe originel de l’album est de sortir d’un carcan défini – par d’autres.

Pour terminer, parlons du magnifique objet qu’est ce livre. Comment avez-vous pensé la maquette, défini la couverture ?
La couverture a beaucoup changé au cours des essais, elle ne s’est pas imposée d’elle-même. Il nous fallait rendre compte de la richesse et de l’originalité de l’univers du livre sans être trop élitiste. Maison Georges nous a accompagné·e·s dans nos envies de bel objet empruntant aux reliures traditionnelles – avec dos toilé, gaufrage à chaud, papier marbré… – et nous sommes très heureux de cette collaboration !