Entretien avec Thomas Lavachery – « Dans toutes mes histoires ou presque, il y a un avant auquel le narrateur fait référence. ».

 

En 2021, Thomas Lavachery publiait 3 nouveaux titres aux éditions L’école des loisirs : Un zoo à soi, Tor et le cow-boy et bien sûr, Lilly sous la mer, Prix Sorcières 2022. Une année prolifique qui avait suscité la curiosité d »une Sorcières belge, Aline Pornel, libraire au Rat Conteur à Bruxelles. L’auteur-illustrateur avait évoqué ses liens avec le temps et l’histoire, et révélé quelques-uns de ses projets pour 2022.

— Entretien publié dans Citrouille 88 (avril 2021).

 

 

Avant toute chose, Thomas, comment allez-vous ? Car si l’écriture est un travail solitaire, vous êtes aussi proche de vos lecteurs, et la crise sanitaire que nous traversons ne favorise pas les rencontres...
Personnellement, je vais bien, même si les voyages et les rencontres me manquent. Cependant, j’ai pu mettre les bouchées doubles et terminer deux romans, dont un que je n’aurais probablement pas écrit sans les circonstances actuelles. Je n’ai donc pas à me plaindre – surtout par rapport à ceux qui souffrent de l’isolement ou de la précarité. Cela dit, j’en ai marre comme tout le monde ! Lors du premier confinement, on se disait – à juste titre – qu’il y avait beaucoup à apprendre de cette existence différente. On retrouvait des joies oubliées, on avait cessé de courir et, ma foi, cela faisait réfléchir. Le deuxième confinement n’a plus grand chose d’une expérience formatrice : il se réduit à une satanée épreuve.


Outre les trois ouvrages qui paraissent cette année, vous avez la chance d’être le sujet d’un des livrets Mon écrivain préféré* de L’école des loisirs, je suppose que vous êtes un peu fier ?
Très fier, et aussi très heureux du résultat. Sylvie Dodeller a écrit un joli texte, sensible et enlevé. Quant à l’objet, il est superbe – un petit bijou qui doit beaucoup à la mise en page de Laure Chapuis.


Dans Un zoo à soi, une phrase m’a frappée : « Un grand nigaud sentimental, je le suis et je le resterai. » Alors bien sûr, vos romans sont toujours pleins de tendresse, mais vous n’hésitez pourtant pas à malmener vos personnages ! N’est-ce pas paradoxal ?

La vie est faite de contrastes que le romancier s’applique à amplifier, à exagérer. Changements de rythme, d’ambiance, de climat psychologique… rires et pleurs, danger soudain et calme précaire : c’est l’effet montagnes russes, cher à Dumas, qui est l’un de mes maîtres.

Un zoo à soi s’arrête à l’aube de vos 50 ans, était-ce pour vous un écrit de passage ? Verrons-nous un jour un tome 2 ?
Ce texte est autobiographique par la bande : le sujet principal, ce sont les animaux, ceux que nous avons élevés avec mes parents et ma sœur. Étant d’un naturel pudique, il faudrait que je trouve une idée du même ordre pour relater les années d’après, un écran derrière lequel me cacher, voyez…

La question de la rencontre avec l’autre, de l’accueil de l’étranger, de l’adoption, de la curiosité envers ce qui est différent, est centrale dans votre travail. Pourquoi ?
J’ai une petite sœur adoptive, originaire de Corée, cela a dû jouer. Mes études d’Histoire de l’art m’ont par ailleurs ouvert les yeux sur les sociétés traditionnelles. J’avais mon grand-père a été l’un des fondateurs. Les cours d’anthropologie m’ont passionné, j’ai dévoré les vieux récits de voyage, les études ethnologiques… Lorsqu’on découvre la diversité des sociétés, quand on réalise à quel point l’homme pense et vit autrement ailleurs, c’est une expérience vertigineuse. On tombe des nues, véritablement, et la curiosité pour les Dogons, les Maoris, les Bororos, les Mongols, les Inuits… ne se dément plus jamais. Ensuite, comme écrivain d’imagination, je me suis plu à créer des peuples et à décrire leurs relations, amicales ou violentes.


© Lily sous la mer, Thomas Lavachery, éd. L’école des loisirs    

Dans votre travail, je perçois aussi une importance apportée au temps. Le temps qui passe, brasse les souvenirs, mais qui est aussi un moteur pour vos personnages. Est-ce conscient ?
Oui et non… Mon père, né en 1911, avait trente ans de plus que ma mère. Mes grands-parents maternels appartenaient à la même génération que lui. Ces trois personnes merveilleuses me racontaient leurs anecdotes d’un passé révolu qui m’intéressait beaucoup. Par ailleurs, j’ai énormément travaillé sur mon grand-père paternel, Henri Lavachery, historien de l’art et archéologue qui a fait partie d’une expédition à l’île de Pâques en 1934. J’ai étudié son passé, mais aussi celui des Pascuans, les indigènes de l’île, dont le destin tragique m’a hanté pendant des années. Tout cela a fait que le temps, qu’il soit historique ou familial, est pour moi une donnée essentielle. Dans toutes mes histoires ou presque, il y a un avant auquel le narrateur fait référence. L’oubli, la perte des traditions, mais aussi l’influence positive des ancêtres, les souvenirs qui inspirent – tout cela est très présent dans mes récits.

Je pense vous l’avoir déjà dit, mais j’adooore vos dessins. Aurons-nous un jour, la chance de voir une expo de vos originaux ?
Il y en a une qui tourne en ce moment, consacrée aux dessous de Bjorn le Morphir : cartes, plans, fiches, croquis et dessins divers… Sinon j’étais en contact avec le Rouge-Cloître pour l’organisation d’une grande exposition d’originaux, mais le projet a été arrêté dans son élan en raison des circonstances.

Si 2021 est une « année Lavachery », que préparez-vous pour 2022 – vos fans sont déjà impatients ?
J’ai terminé il y a peu une robinsonnade, un vieux rêve accompli dans une grande fièvre créatrice. Le roman s’intitulera Henri dans l’île. L’histoire se situe dans un archipel hostile du Pacifique Sud, aux alentours de 1880. J’ai aussi écrit un roman destiné au public adulte, mon premier du genre, mais je n’ai pas encore trouvé l’éditeur. Enfin, j’ai entamé la rédaction d’un livre sur l’artisanat du roman, texte inspiré des cours d’écriture que je donne à l’Université de Lille depuis 2011. J’ai obtenu une bourse de la Fédération Wallonie-Bruxelles afin de réaliser ce travail de longue haleine qui me conduit à examiner la fiction au lieu de la produire. Passionnant !

* Le livret Mon écrivain préféré consacré à Thomas Lavachery est disponible chez votre libraire et en pdf sur le site de L’école des loisirs.