Et demain ? – La tribune des auteurs et artistes, grands absents du dispositif d’aide à la culture

645 autrices et auteurs ont signé la tribune « Les auteurs et autrices restent les grands absents du dispositif d’aide à la culture », parue en ligne le 15 mai dans Le Monde, puis en Une dans l’édition du 24 mai.
Une tribune qui apporte un éclairage concret sur le statut et la situation de l’auteur, -trice de livre, dans le contexte actuel mais aussi en général.

Le monde de la littérature jeunesse est très représenté. Jean-Philippe Arrou-Vignod,Gilles Bachelet, Ramona Badescu, Clémentine Beauvais, Julien Billaudeau, Stephanie Blake, Anne-Laure Bondoux, Evelyne Brisou-Pellen, Marion Brunet, Loren Capelli, Marine Carteron, Janik Coat, Christelle Dabos, Gaëtan Dorémus, Mathias Friman, Judith Gueyfier, Antoine Guillopé, Emmanuelle Houdart, Régis Lejonc, Jessie Magana, Matthieu Maudet, Susie Morgenstern, Jean-Claude Mourlevat, Marie-Aude Murail, Marie Pavlenko, Delphine Perret, Claude Ponti, Thomas Scotto, Grégoire Solotareff, Anaïs Vaugelade, Flore Vesco, Jo Witek, – pour ne citer qu’eux -, sont aux côtés de Lola Lafon, Annie Ernaux, Tardi, Catherine Meurisse, Enki Bilal, Delphine de Vigan,Valentine Goby, Sorj Chalandon, Ian Maook, Etienne Davodeau, Gérard Mordillt, Edmond Baudoin, Delphine de Vigan, Marie Desplechin…

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« Les auteurs et autrices restent les grands absents du dispositif d’aide à la culture »

« En Allemagne, les artistes-auteurs ont tous touché une « prime coronavirus » de plusieurs milliers d’euros. Au Canada, ils ont droit à 500 dollars (328 euros) par semaine, jusqu’à seize semaines.

En France, le gouvernement ne pense l’impact de la crise qu’en termes de chiffre d’affaires des entreprises, qu’il s’agisse des libraires ou des éditeurs. Bien sûr, nous sommes tous rudoyés par ces longues semaines d’inactivité. Il n’existe pas une autrice, pas un auteur (écrivains, scénaristes, illustrateurs, dessinateurs BD) qui ne se réjouisse de la réouverture des librairies.

Mais qu’en est-il de ceux qui alimentent, par leur travail solitaire, toute l’économie du livre : les autrices et les auteurs ? Ils restent oubliés des mesures gouvernementales, qui sont inadaptées à leur situation.

Les auteurs du livre n’ont pas le statut des intermittents du spectacle et n’ont pas droit au chômage. Le dispositif d’aide mis en place par le gouvernement ne prend en compte ni les spécificités de leur rémunération, ni la durée de la crise. Le modus operandi actuel est adapté aux entreprises qui engrangent des revenus mensuels. Ce n’est pas le cas des auteurs.

Ainsi, nombre d’entre eux, privés de manifestations littéraires, de conférences, de rencontres rémunérées à partir du mois de mars, ont sollicité leurs éditeurs afin de toucher leurs droits par anticipation (reçus d’habitude entre avril et juin, une fois l’an). C’était pour beaucoup le seul moyen de maintenir la tête hors de l’eau. Ils ont reçu en mars, en avril, le fruit d’un an de ventes… Ces paiements anticipés rendent dès lors souvent irrecevable toute demande d’aide pour cette même période.

Exonérer les artistes-auteurs de quatre mois de cotisations ne répond en aucun cas à la gravité de la situation.

Rembourser les loyers d’ateliers, de bureaux ? Mais seuls de rares auteurs du livre disposent d’un « atelier » ! Promettre des « commandes d’Etat » aux moins de 30 ans ? Il y a bien peu d’auteurs de moins de 30 ans. Et puis quoi, à 31 ans, à 46 ans, à 53 ans, on n’est plus fragile ? On n’a plus le droit d’être aidé ?

Quant aux indemnités pour garde d’enfant, c’est pour les auteurs du livre un parcours du combattant, coups de téléphone, courriels, courriers, demandes de pièces justificatives inappropriées, il faut réclamer encore et encore pour prouver qu’écrire est un travail comme un autre, et impossible à entreprendre avec des enfants à la maison. Les démarches durent des mois et aboutissent à une indemnisation ridicule.

Et qu’on ne vienne pas prétendre que les autrices et les auteurs ont déjà bien de la chance d’être publiés, d’être lus. Qu’ils n’exercent pas un « vrai » métier. Leurs textes font vivre des milliers de gens et de territoires et la première industrie culturelle de France ; ils nourrissent l’économie des éditeurs, des imprimeurs, des diffuseurs, des distributeurs, des libraires, des bibliothécaires, des bouquinistes, de la presse littéraire… et sont des appuis fondamentaux pour l’enseignement.

Pourtant, quand vient le temps de reconnaître leur rôle et d’agir en solidarité avec les créateurs, quand il s’agit de soutenir les femmes et les hommes qui ont offert aux confinés leurs histoires, leurs personnages, leurs univers, personne ne répond.

Les répercussions de la crise sur les autrices et auteurs ne se cantonneront pas aux quelques semaines d’arrêt du monde. Publications repoussées, droits d’auteur amoindris par la fermeture des librairies, rencontres publiques annulées pour de longs mois encore… Les écueils auxquels ils feront face sont légion : ils s’inscriront dans la durée. Avec, comme risque majeur, la paupérisation criante pour bon nombre d’entre eux.

Serait-il possible que « la culture » soit envisagée dans sa globalité, en incluant les autrices et auteurs de tous sexes, de tous âges ?

« Lisez ! », a conseillé le président de la République dans son allocution du 16 mars. Certes, mais pour cela il faut des livres, et donc des gens pour les écrire. « 
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⤷ Retrouvez le texte et la liste des signataires sur le site de Marie Pavlenko.