Depuis la toute première publication de ses écrits, Aurélien Loncke n’a cessé de nous enchanter. Qu’il nous emmène dans un monde fantaisiste, ou dans le cœur d’enfants blessés, la magie opère, la poésie nous enveloppe, la musique des mots est toujours là, les émotions à fleur de peau. J’ai été transportée en lisant À la rencontre des Cygnes, bouleversée par Une saison parfaite pour changer, émue par L’Histoire de l’épouvantail débutant… Aussi, à l’heure où parait le deuxième opus de leurs aventures, j’ai décidé de demander aux personnages de La Bande à Grimme d’interviewer leur auteur… Par Soizic Epinay, librairie Pages d’Encre d’Amiens (paru dans Citrouille 65, sept 2013)
La Bande à Grimme se différencie des précédents romans de son auteur. Car avec leurs aventures, c’est un conte qu’Aurélien voulait nous offrir. Un vrai conte comme on n’en fait plus. Une histoire que l’on déguste avec malice, des personnages qui prennent vie dans notre imaginaire avec qui l’on rêverait de partager un bon chocolat chaud… Et c’est exactement cela. Quand Aurélien écrit, il nous invite à nous asseoir au coin du feu, peu importe la neige et le vent qui claque au dehors… Il fait bon dans ses livres, malgré les tempêtes et le ciel lourd, la porte est ouverte et l’on se sent chez soi. Un jour donc, Aurélien Loncke a rencontré les huit lascars de la bande à Grimme au bord d’un petit étang, au milieu de leur parc préféré. Ils étaient affamés. Affamés d’histoires. «Je vais vous en cuisiner une, leur promit Aurélien, et dedans j’y mettrai de bons ingrédients: un magicien pour émerveiller, un Palais-Bonbon (non recommandé par l’union internationale des dentistes) pour se régaler, une rue des Petits-Cailloux enguirlandée pour s’y promener, de la neige comme on en trouve seulement dans les contes ou à Isola 2000, une luge folle, deux méchants très méchants et trop bêtes, un soldat de plomb, une roulotte douillette, et beaucoup d’autres choses. Et vous serez aussi dedans. Ça donnera de la saveur.» Il a tenu parole, l’histoire a mijoté, assez longuement, puis enfin prête à être dévorée. Pas étonnant alors que, lorsque je le lui ai demandé, la bande à Grimme ait accepté de passer à son tour cet Aurélien Loncke à la moulinette!
GRIMME: Pourquoi avoir fait de nous des loqueteux et des voleurs? C’est humiliant!
AURÉLIEN LONCKE: Je pourrais me défiler et répondre: «C’est la faute à mon stylo, c’est lui qui décide.» Mais de peur qu’il entame une grève de l’encre, autant dire la vérité: voilà un moment que j’avais en tête le Bob Cratchit de Dickens, la petite fille aux allumettes d’Andersen, le Charlie de la chocolaterie aussi. Des personnages magnifiques et inoubliables, qui m’ont touché en tant que lecteur, et qui ont tellement frappé à ma porte que j’ai fini par leur ouvrir; c’était un matin, un peu avant de m’installer à mon bureau. Quant au côté voleur, eh bien, vous prenez aux riches pour redonner aux pauvres, c’est-à-dire vous. L’honneur est sauf, non?
SUCETTE: De toute façon le plus à plaindre ici, c’est moi. Qu’est-ce que c’est que ce fichu caractère dont je suis accablé? Je grogne, je peste, je contrarie sans arrêt.
En effet, je ne t’ai pas ménagé. Il faut me comprendre: un auteur a souvent besoin de se retrouver d’une manière ou d’une autre dans ses personnages, d’y mettre des morceaux de lui. L’ennui, c’est qu’au lieu de disperser ces morceaux, j’ai cousu le personnage de Sucette avec. Désolé si tu es celui qui me ressemble le plus. Tu es toujours à chercher un bout de chocolat à se mettre sous la dent, toujours à asticoter les autres (au fond, une simple mais maladroite démonstration d’affection), et toujours à donner ton avis trop souvent à côté de la plaque: moi tout craché! Mais bon… Être un petit poil à gratter au grand cœur, il y a pire façon d’être «écrit», tu ne crois pas?
MUFFLINE: Dans l’histoire, on dort dans une roulotte. Ça aussi, c’est un «morceau» de toi?
Oui et non. Je ne vis pas dans une roulotte, en revanche je crois qu’une roulotte habite ma cervelle. Elle est fabuleuse, cette caravane capable de faire voyager mon esprit de toutes les manières possibles. Je suis à mon bureau et je me promène dans le temps, je suis à mon bureau et je visite des pays imaginaires, je suis tout seul à mon bureau et je fais connaissance avec plein de personnages. C’est magique…
GRIOTTE: À propos de magique, d’où te vient le personnage de Nicholas Gazame?
Ah! Ce diable d’illusionniste… Bien avant que la folie Harry Potter ne bouleverse tout sur son passage, l’auteur-illustrateur américain Chris Van Allsburg a publié un magnifique livre, The garden of Abdul Gasazi. Gasazi, Gazame, tu vois la parenté? Gasazi est un magicien à la retraite, et donc a priori un «simple» prestidigitateur qui ne se donne plus en spectacle; sauf qu’il possède des pouvoirs qui semblent dépasser ceux d’un illusionniste, c’est toutefois ce que laisse supposer Van Allsburg. Alors, superbe truqueur ou personnage merveilleux, ce Gasazi? Cette question ne m’a jamais quitté tandis que je donnais forme à Hans William Nicholas Gazame.
SUCETTE: Et les bonbons? Ils existent vraiment, les Wiziwish, les Fizzyboum, les Massemélasse et les Bigfig?
Désolé, non. Pure invention. Mais je me suis servi de mes souvenirs d’enfance quand, avec les copains, on salivait sur de délirants bonbons de notre invention. On aurait aimé pouvoir les trouver en magasin; un magasin comme le Palais-Bonbon, le genre de boutique de rêve qui n’existe malheureusement que dans les livres ou les films. Roald Dahl me comprendrait. C’est en souvenir des tablettes de chocolat de son enfance, les célèbres Cadbury, qu’il a eu l’idée géniale d’inventer Willy Wonka: le magicien du cacao.
GRIOTTE: Comment est née Blizzard, la chouette des neiges?
De ma passion pour les oiseaux. J’habite à deux battements d’ailes de la baie de Somme, un asile pour bien des migrateurs. J’ai donc le loisir d’observer cygnes, canards, grues, cigognes… En revanche, point de chouettes blanches. Dommage. Cette créature de coton, avec cette face incroyable, ce vol assourdi, ce plumage immaculé, provoque un drôle d’écho en moi; écho dans le sens de «merveilleux», comme si ce rapace n’existait pas vraiment, peut-être parce qu’il vit plus au nord, en pays froids. Ou à Poudlard.
FANETTE : Moi, mon personnage me plaît car je suis futée, je ne me laisse pas marcher sur les pieds, et j’aime bien lire des romans policiers, comme toi si ça se trouve!
Pour autant que je sache, je ne suis ni particulièrement malin, ni un dur à cuire. Par contre le mystère, les énigmes, les ambiances brumeuses-neigeuses-pluvieuses, oui, tout ça j’achète. Je m’en délecte. Je m’y blottis. Dans La Bande à Grimme, j’ai aimé que la mécanique de vos vies déraille en raison d’un simple soldat de plomb volé puis perdu, et enfin retrouvé. Comme quoi on peut bâtir une intrigue avec presque rien.
SIBOTIE: Pourquoi un soldat de plomb? Pourquoi pas une clé à molette ou un râteau?
Parce que je ne suis ni bricoleur ni jardinier. En revanche j’aime les contes – les classiques et les autres – et donc voici un hommage à Andersen. Il y en a d’autres, comme l’allée du Petit-Tailleur. On peut tout mettre dans un conte, c’est sa richesse, et un immense terrain de jeux. Hans Christian Andersen, encore lui, a dit: «Le genre du conte est le royaume le plus vaste de la poésie. On doit pouvoir y introduire le tragique, le comique, la naïveté, l’ironie et l’humour.» Ce serait dommage de se priver…
MOKA: Et comment que tu fais, toi, pour écrire? Comme Machin Truc Andersen?
En quelque sorte oui, puisque je ne sais pas écrire le premier jet d’un texte à l’ordinateur; j’écris à l’ancienne, c’est-à-dire à la main, mais avec un stylo moderne quand même. J’aime beaucoup ce côté artisanal de la création littéraire. Dans une récente interview, Timothée de Fombelle explique écrire aux heures où les artisans travaillent. J’irais un peu dans le même sens, considérant mon bureau comme un atelier ayant pour outils crayons, gommes, encres, kilos de papier et plusieurs dicos.
MAKO: Il y a des artisans que tu aimes?
Tu veux dire des auteurs? Oui, plein, qu’ils soient d’ici ou d’ailleurs, d’aujourd’hui ou d’hier. Un jour, l’écrivain J.D. Salinger a déclaré: «Un auteur invité à parler de son travail devrait se lever et citer tous les noms des écrivains qu’il aime, c’est tout.» Il y en a beaucoup. Dans le secteur de la littérature dite jeunesse, citons Sendak, Berna, Van Allsburg, Dickens, Goscinny, Dahl, Gripari, Briggs, Barrie… Un bien maigre pourcentage de mes admirations.
À L’École des Loisirs : Histoire d’un épouvantail débutant, À la rencontre des cygnes, Mon violon argenté, Une saison parfaite pour changer, Le Tropique du kangourou, La Bande à Grimme, La Bande à Grimme et les magiciens du monde.