F comme Fifi, G comme Gudule – Une interview de Gudule publiée en 1999 dans Citrouille.

  • Publication publiée :3 septembre 2018
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J‘étais allé passer la nuit chez elle, et Gudule avait accepté d’enfermer le rat cavaleur de sa fille. J’avais cependant dormi sur une seule oreille. Et quand au très petit matin j’entendis tap tap tap tap… je me levai en sursaut, persuadé que le rongeur s’était enfui et allait me bouffer les orteils. Mais le bruit n’était que celui des doigts de Gudule qui couraient déjà sur le clavier. J’allai donc lui faire la bise, tout en gardant un œil sur le roquet menaçant qui veillait sur l’écrivaine au travail. Gudule se méfie des adultes mais adore les animaux…

CITROUILLE: Romans pour la jeunesse, romans pour adultes, novellisation de la série télévisée “L’instit”… Le rythme de tes parutions est impressionnant!

Depuis deux ans et demi, je me lève vers six heures, et mis à part le temps que je consacre à quelques courses, au repas et à la vaisselle, j’écris dix ou douze heures d’affilée…

CITROUILLE: Tous les jours?

Quasiment, oui.

CITROUILLE: Tu ne te mets jamais en vacances d’écriture, au moins pour bâtir tes futurs récits?
Non, je commence à penser et construire un roman tandis que j’écris le précédent. D’ailleurs, quand j’arrive à la moitié d’un récit, j’ai hâte de le terminer, pour pouvoir entamer l’écriture du suivant. Je laisse juste un jour entre les deux, histoire d’amener à l’éditeur le manuscrit que je viens d’achever…

CITROUILLE: En jeunesse, on peut regrouper tes romans selon deux genres: réalisme et fantastique. Passes-tu indifféremment d’un genre à l’autre?
J’ai les deux désirs en permanence. Le genre “réaliste”, c’est parce que je suis, qu’on le veuille ou non, une vieille moralisatrice. Les choses qui ne vont pas bien dans la société me mettent dans un état de colère continue. Mais le fantastique m’habite aussi. En jeunesse, il me permet d’ailleurs de me reposer de l’écriture d’un livre réaliste, qui me plonge souvent dans une réalité très pénible, comme celle de L’Envers du décor. J’ai fait, pour ce roman, une enquête chez les sans-abris, dont je suis ressortie blessée de partout, avec des culpabilités à ne plus savoir qu’en faire… Écrire un fantastique après ça, m’a reposée.
CITROUILLE: Il y a aussi tes romans qui mélangent les deux genres, comme Le Manège de l’oubli qui évoque le travail des enfants en fournissant une “analyse” économique, mais à travers une histoire fantastique.
J’avais d’abord conçu une histoire fantastique, et puis cette référence à un drame existant s’est imposée. De toute façon, mes récits fantastiques, au final, c’est ça. Des sortes de fable… Je te le dis, je suis une vieille moralisatrice!
CITROUILLE: Une vieille moralisatrice qui ne fait pas de cadeaux aux adultes… Dans tes histoires, ce sont souvent les enfants qui dénouent les situations, et qui remettent les adultes sur les rails. Dans La sorcière est dans l’école, Zoé va même permettre à quelques personnages de passer en une poignée de secondes de leur enfance, où ils restaient bloqués, à leur vie d’adulte.
Un jour, un prof de français m’a affirmé que je caressais les enfants dans le sens du poil et que c’était démago… Tout d’abord, je n’ai jamais caressé quelqu’un dans le sens du poil, je ne vois pas pourquoi je le ferais avec les enfants sous prétexte que j’écris pour eux. Et puis la réalité, même si c’est bête à avouer, c’est que je n’ai jamais franchi la barrière, jamais été du côté des adultes. Je regarde leur monde avec méfiance et peur. Je n’ai rien à voir avec ces gens-là… Par contre, dans le monde des enfants, je me sens parfaitement bien.
CITROUILLE: C’est vrai que lorsqu’on lit les peurs ou les fantasmes d’enfants que tu décris, on a l’impression que c’est effectivement “ça”, ou du moins que les nôtres étaient bien ainsi…
Peut-être que les miens sont encore ainsi. J’ai l’impression d’avoir un fonctionnement très proche de celui des enfants. Eux et moi, on se comprend, on est d’accord.
CITROUILLE: L’univers onirique du Manège de l’oubli, ou la dimension métaphysique de La sorcière est dans l’école, font penser à Pinocchio et à Alice au Pays des Merveilles
J’adorais surtout Peter Pan… Mais le top pour moi, c’est Fifi Brindacier. Depuis qu’enfant, j’ai lu ses aventures, elle est toujours avec moi. Ma Zoé essaie d’être aussi impertinente qu’elle, de dire aussi fort aux adultes qu’elle n’est pas d’accord.

CITROUILLE: Il y a un personnage que tu gâtes particulièrement dans Zoé, et régulièrement ailleurs, c’est celui de l’instituteur/trice…
Il faut avouer que j’ai eu une très mauvaise scolarité ! (rire)
CITROUILLE: Cependant en parallèle, tu novellises la série L’instit où Gérard Klein incarne un enseignant modèle!
Ce n’est pas moi qui ai créé le personnage et je ne fais qu’écrire les livres à partir des scénarios. Mais c’est vrai que c’est un instit selon mon cœur… Une utopie vivante, cet homme-là (rire) ! Je précise tout de même que l’Instit qu’on lit dans mes livres n’est pas tout à fait le même que celui qu’on voit à la télé. Il m’arrive régulièrement, quand je regarde la série, d’être très fâchée. Je trouve l’Instit ramollo, à toujours tenter de ménager la chèvre et le chou, même dans les scènes insupportables. Je lui ai donné un autre caractère dans les livres. Je le fais mettre en colère, enguirlander les gens. Ça ne lui arrive jamais à l’écran.
CITROUILLE: Entre les enseignants irrités par tes instits-sorcières et ceux exaspérés par “ton” instit idéalisé, tu en trouves encore pour t’inviter à rencontrer leurs élèves?
(Rire) Je n’avais jamais envisagé la question sous cet angle! … La réponse est oui. Je ne peux d’ailleurs pas répondre à tous. Les rencontres, c’est intéressant, mais usant à la longue.
CITROUILLE: Tes romans pour adultes donnent, eux, dans le fantastique-frayeur. Un critique dit de toi que tu as “le don de transformer des scènes de la vie ordinaire en cauchemars”, et ajoute, à propos de Petite chanson dans la pénombre, que ce texte “tient à la fois du conte pour enfants et du roman de terreur”.
C’est aussi le cas de La petite fille aux araignées
CITROUILLE: Ce qui est frappant, c’est la similitude entre tes livres pour enfants et ces romans. Les toiles de fond sont tissées à partir des mêmes fantasmes, et le rapport de l’enfant au monde adulte y est toujours aussi conflictuel, même si tu en atténues la violence ou l’adoucis avec un happy end selon le public visé. Comment passes-tu de l’écriture d’un livre pour adultes à celle d’un livre pour enfants?
J’alterne les deux, sans difficulté.
CITROUILLE: Tu n’as pas peur de tout mélanger?
Non.
CITROUILLE: Tu n’as pas besoin d’une rupture, d’un temps qui permettrait à chaque fois de te resituer, de reposer les limites ou de les faire voler en éclats?
C’est l’ordinateur que j’ai dans la tête qui gère tout ça. Il fait ça très bien, je n’ai pas à m’en occuper…
CITROUILLE: Mais c’est troublant… Tu utilises les mêmes noms de personnage, Zoé, Rose ou Miquette, les mêmes lieux, celui de la fête foraine par exemple…
Miquette, je sais pourquoi. A cause d’une Miquette dont, enfant, j’ai lu l’histoire dans La semaine de Suzette. Encore une qui est restée en moi… Quant aux fêtes foraines, ces endroits où l’on s’amuse de manière obligée et épaisse m’ont toujours terrorisée… Tu sais, on est toujours hanté par les mêmes univers, les mêmes paysages, quoi qu’on écrive. On ne peut pas s’empêcher d’aller y puiser…
CITROUILLE: As-tu besoin d’en parler à la fois en jeunesse et en adulte, pour en parler complètement?
Oui. Ce sont peut-être deux manières complémentaires de les évoquer.
CITROUILLE: Autre similitude: l’écriture. Elle est la même pour les adultes ou pour les enfants, au registre de vocabulaire près.
C’est mon écriture à moi… Je ne cherche pas à en trouver de différentes en fonction du lectorat.
CITROUILLE: Par contre, selon l’âge des lecteurs, tu n’écris pas sous le même nom.
Quand Denoël m’a pris mon premier manuscrit pour adultes, on m’a dit : «Votre texte oui, mais pas votre nom. On a déjà du mal à vendre un nom français. Alors un nom de dessin animé…» J’ai donc pris mon prénom, Anne, et ajouté un anagramme de Gudule. Aujourd’hui, c’est un avantage. Mes livres pour adultes se trouvent ainsi démarqués de mes livres pour enfants, les parents s’y retrouvent…
CITROUILLE: « Gudule » est déjà un pseudonyme…
C’est mon nom, celui que je me suis donné et que j’aime. Je ne voulais plus du nom de mes parents, un nom aristocratique que je ne supportais plus, ni du nom de mon mari, pour la bonne raison que je ne vis plus avec lui depuis quinze ans ! Un jour, alors que j’étais scénariste de BD, j’ai écrit une comptine où toutes les rimes se terminaient en “ule”, tarentule, tubercule, vestibule, noctambule… et je l’ai signée Gudule. Ça m’est resté. J’ai même reçu ma carte d’électeur sous le nom de Gudule!
CITROUILLE: Il y a, ici et là dans tes romans adultes, quelques clins d’œil vengeurs adressés au monde de l’édition jeunesse. La littérature adulte, ça défoule?
Il y a des contraintes d’écriture très pénibles en jeunesse, et un interventionnisme du directeur de collection qui, s’il est parfois utile, est souvent pour le moins lassant, quand il ne tient pas de l’abus de pouvoir. En littérature adulte, soit le manuscrit plaît, soit il ne plaît pas. On me fiche la paix, je peux m’ébrouer…
Propos recueillis par Thierry Lenain, 1999