Force est de le constater: la diversité ne va pas de soi!

  • Publication publiée :14 mars 2016
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L’initiative #1000blackgirlbooks, initiée par une jeune lectrice de 11 ans, Marley Dias (lire l’article d’ActuaLitté Trois jeunes filles noires contre l’impérialisme blanc dans les livres) a poussé Soizic Épinay (librairie Pages d’Encre à Amiens) a interrogé quelques auteurs jeunesse français sur cette question de la représentativité de la diversité dans leurs pages . Et plusieurs de leurs réponses l’ont laissée coite…

Depuis très longtemps je déplore une constante dans la littérature jeunesse: il n’y a quasiment jamais de personnage (principal) de couleur dans les albums.

Il y en a dans les contes du monde (donc ailleurs qu’en France et dans d’autres temps, comme si les gens de couleur venaient forcément d’ailleurs), il y en a dans les histoires qui parlent de racisme et/ou de différence, et il y en a dans les documentaires. Mais quasiment jamais dans les albums qui ne traitent que de «simples» contes ou histoires du quotidien d’ici.

Quand un héros est de couleur, c’est que l’on va justement parler de sa couleur de peau. C’est qu’il est différent. Ou qu’il vit loin là-bas dans un pays exotique. A part quelques très rares exceptions, les héros de couleur hors ces contextes n’existent pas.

Alors quand un enfant de couleur veut une histoire, on ne peut lui proposer que des histoires avec des enfants blancs, ou alors des histoires qui se passent à l’autre bout du monde, ou des histoires qui parlent de la différence et du racisme. Ou avec des animaux. C’est pratique les animaux.

Et j’avoue que cela me gêne. Plus que ça même. Cela me fait honte.

Il y a quelques temps, j’ai eu l’occasion d’échanger sur ce sujet avec des auteurs de littérature jeunesse, et j’ai posé cette question: pourquoi n’y a-t-il pas plus de personnages de couleurs dans les livres pour la jeunesse ? Pourquoi, quand il y en a, c’est forcément pour parler de racisme ou de différence ?

Les réponses que j’ai obtenues m’ont énormément surprise, voire choquée, voire énervée.

«Je ne vais pas créer des personnages de couleur juste pour faire le jeu de la diversité»,
«Peut-être que c’est à cause d’un manque d’auteurs noirs?» (…)
«Dans mes livres je parle presque toujours de la différence» ( ?!!!),
«On parle de ce que l’on connaît» (re- ????),
«C’est super démago»,
«Si le fait de mettre un Noir ou un Arabe dans mon livre sert l’histoire, alors j’en mets un»,
«Oui mais on ne peut pas s’amuser à parler de toutes les minorités, on ne s’en sortirait plus» (donc gens de couleur = minorités…).

J’ai aussi noté dans leurs réponses que le terme «gens de couleur» était vite associé à «noirs».

Et puis il y a eu aussi eu les… “plaisanteries”.

«Et les Belges ? On ne pense pas assez souvent à mettre des Belges dans les histoires. Et les Juifs ? Y’a pas de raison!»,
«Et les auteurs noirs? Eux ne parlent que de Noirs dans leurs livres!»,
«Oui enfin les enfants n’ont pas forcément besoin de pouvoir s’identifier pour aimer les livres.» (certes…)
«Oui mais vous voyez le livre comme un support politique alors que moi j’en ai une vision purement artistique.»,
«Les personnages viennent à moi sans que je le décide, qu’y puis-je s’ils sont blancs ? Après tout je suis blanc moi-même.»
Etc, etc…

Et voilà comment je me suis arraché les yeux et les cheveux!…

Je réalise à quel point ce sujet est sensible même dans ce milieu, pose un vrai problème et à quel point la diversité n’est pas naturelle. J’ai été tellement choquée par ces réactions, ces moqueries ou cette indifférence, notamment de la part de gens qui pourtant se pensent «ouverts» et qui sont par ailleurs vraiment sincères dans leur démarche d’auteurs… Beaucoup n’ont vraiment pas compris où je voulais en venir et affirmaient qu’ils œuvrent pour l’ouverture d’esprit. Et ils le font. Mais cela ne me suffit pas.

La mère qui explique galérer pour trouver des albums pour ses enfants métis n’attire pas vraiment l’attention. Et personne n’entend cette bibliothécaire qui constate que les enfants noirs vont quasi systématiquement vers les livres de Kirikou…

Je ne sais pas vous, mais moi que les enfants noirs ne puissent se retrouver que dans un personnage qui vit en Afrique, pays où ce lecteur n’a jamais mis les pieds, et bien ça me révolte. Et je reste polie.

Comment ne pas se dire que si les livres parlant de la différence et des différentes cultures sont formidables pour s’ouvrir à l’autre, ils sont aussi stigmatisants si on ne voit de héros de couleur que dans ces livres là???

Quel impact cela peut-il avoir sur les enfants, qu’ils soient blancs ou de couleur?

Spontanément, mes enfants ne me parlent pas de la couleur de peau de leurs copains. En fait, ils ne la voient pas. C’est un non-sujet pour eux. Mais à force de voir dans les livres des personnages de couleur cantonnés aux histoires sur le racisme ou sur la différence quelle image cela développe-t-il dans leur inconscient? Dans notre inconscient à tous en fait?

C’est simple, cela conforte tout le monde dans l’idée que ceux qui ne sont pas blancs sont différents, étrangers, pas comme nous-les-Blancs. Ils viennent d’ailleurs. Leur pays est ailleurs. Leurs origines sont ailleurs.

Et quand on me dit qu’on écrit ce que l’on connait, qu’on ne peut pas penser un personnage noir quand on est blanc, ou alors si, mais pour parler du racisme, j’avoue que je m’étrangle un peu. Je me dis aussi qu’il y a du chemin à faire pour arrêter de penser en «blanc» (ouvert, compatissant, militant même, mais toujours blanc) et commencer à penser en « humain ».

Parce qu’un enfant, qu’il soit noir, blanc ou vert est un enfant. Pas besoin de chercher midi à 14h00.

On a tous grandi avec des héros auxquels on pouvait s’identifier ou pas. Mais les Blancs que nous sommes ont grandi avec des héros forcément blancs. Des petits, des grands, des muets, des courageux, des drôles, des malins, des filles, des garçons, mais toujours des blancs.

On peut parler du racisme, c’est indispensable et là-dessus on peut dire que l’édition jeunesse a fait de gros progrès. Mais si on pouvait aussi juste ne pas en parler de manière systématique, si on pouvait avoir des héros du quotidien ou des héros extraordinaires de toutes les couleurs et que ce ne soit pas le sujet de l’histoire, alors peut-être que nous arrêterions de penser qu’il y a les Blancs et les autres.

Quand je regarde les cours de récré de mes enfants, je ne comprends même pas qu’il y ait débat. La diversité dans les albums pour enfants devrait aller de soi. Mais force est de constater que ce n’est pas le cas…

Soizic, librairie Pages d’Encre à Amiens