Un entretien avec François Bégaudeau, publié en 2009 dans Citrouille, à l’occasion de la première parution de son roman L’invention du jeu. |
— T’as fait quoi aujourd’hui maman ?
— J’ai écrit à François Bégaudeau pour lui demander une interview.
— …
— L’auteur de Entre les murs.
— Ah…
— Il écrit dans So Foot.
— Wahouhh trop classe ! C’est comme Onze Mondial mais avec des articles à la place des pubs !
Corinne Chiaradia : En librairie jeunesse, on trouve une multitude de documentaires pour tous les âges sur le foot, des albums, des romans, des séries entières consacrées au foot. Votre avis sur cette profusion ?
François Bégaudeau : Je ne pensais pas que c’était à ce point. Je suppose que les éditeurs parient sur la prédilection très répandue et surtout très précoce (3-4 ans, dans mon cas) des enfants, et notamment des garçons, pour ce sport. Pas très original. Ça deviendrait plus intéressant si des petites filles se laissaient attirer par ce magma. C’est peut-être le cas. Je l’espère.
Corinne Chiaradia : L’invention du jeu n’appartient à aucune de ces catégories… Mythe fondateur en sept chapitres, fable animalière à 24 personnages (deux fois douze apôtres ?) et un ballon, exercice de style qui réinvente le plaisir du jeu collectif… Comment le définissez-vous et à qui est-il destiné ?
François Bégaudeau : Difficile pour moi d’identifier un objet que j’ai voulu non-identifiable. Disons que c’est un conte fantaisiste. J’y ai développé un goût pour le récit qui s’aperçoit dans mes travaux « adultes ». Je l’ai écrit pour tout le monde. Pour moi livre jeunesse ne veut pas dire livre exclusivement destiné aux jeunes ; cela veut dire livre pour tous, y compris les jeunes.
Corinne Chiaradia : À quel moment avez-vous décidé d’adopter ce style si particulier d’écriture, mêlant sagesse (les petites maximes en fin de chapitre) et loufoquerie, langage fleuri et précision de l’intention ?
François Bégaudeau : C’est venu en cours d’écriture. Écrivant ce texte je me suis senti très libre, très disponible à ce que suggéraient les phrases en tombant sur la page. Par exemple une première maxime en a appelé d’autres. Et puis la mouche s’est mise à zozoter, etc. Quant au mixage entre loufoquerie et précision, c’est celui que j’essaie de développer en permanence. J’ai deux pentes quand j’écris : la captation du réel, et le glissement fantaisiste. En pariant sur le fait que le second sera d’autant plus efficace et jouissif que la première sera juste.
Corinne Chiaradia : Chaque chapitre est construit sur la « découverte » d’un geste et de fondamentaux du foot – le toucher, la frappe, le dribble, le but, le partenaire, l’échange, le face à face, l’invention de l’équipe et de la passe… Qu’est-ce qui a motivé votre désir de retour aux sources, aux premiers gestes ?
François Bégaudeau : Pour moi l’écriture jeunesse – et peut-être la littérature tout court, ou plus précisément la poésie – a quelque chose à voir avec le primitif. On remet les choses à plat, on gomme le vernis d’époque ou les complications pseudo-psychologiques, et on revient aux problématiques fondamentales de l’existence. Une créature est seule, puis elle en rencontre une autre, puis une troisième. Comment vivent-ils ensemble ? Comment se parlent-ils ? Appliqué au foot, cela revient à reprendre ce sport par le plus simple : le ballon, l’herbe, le pied.
Corinne Chiaradia : Que s’est-il passé le 3 mai 1876 ?
François Bégaudeau : C’est le genre d’entourloupe dont je suis un coupable récidiviste : cette date a la couleur de la précision encyclopédique, elle est crédible comme date fondatrice du foot, et pourtant elle est complètement loufoque. Si ce n’est que c’est ma date de naissance à deux ans près.
Corinne Chiaradia : Vous ne donnez pas le résultat du match, vos personnages n’inventent pas la compétition… Le désir de gagner, le plaisir de la victoire ça compte beaucoup pourtant dans le jeu entre enfants… Est-ce le 8e chapitre où tout se gâte que vous ne vouliez pas écrire ?
François Bégaudeau : Cette question est tellement pertinente que je me demande si la problématique de la compétition ne va pas impulser une sorte de suite. Par exemple les personnages s’engueulent et donc en viennent à réfléchir à comment détourner le conflit en grâce. Ressurgira ce qui est pour moi une question centrale : comment négocier avec nos affects négatifs, avec nos passions tristes (envie, jalousie, ressentiment, etc)
Corinne Chiaradia : Vos personnages sont de tous genres et de tous sexes – mammifères, insectes, mollusques, oiseaux et même une ampoule électrique. Le jeu de ballon c’est un langage universel ? Un antidote contre le racisme ? Ce n’est pourtant pas ce que l’on voit aujourd’hui dans les stades (du district à la première ligue) où les insultes fusent…
François Bégaudeau : Vous savez, je suis intarissable sur ces sujets, dans So foot ou dans ma chronique hebdomadaire pour Le Monde. Mais là je ne voulais que retrouver la jouissance élémentaire du foot, et plus généralement, comme le titre l’indique, celle du jeu. Les phénomènes que vous évoquez ne sont pas créés par le jeu appelé football, ils en sont un dévoiement. Le foot ne charrie toute cette saloperie que parce qu’il est ultra-populaire et devient comme la doublure du réel social.
Corinne Chiaradia : Pourquoi le vert-rouge-noir de la couverture ? Jean-Luc le chat gaucher est-il italien ? N’est-ce pas aujourd’hui du côté de l’Espagne et du Barça qu’on trouve le plus beau jeu collectif de la planète ?
François Bégaudeau : Je vois que madame est parfaitement renseignée, et je suis un grand admirateur du Barça actuel. Mais les couleurs de l’Italie, ça ne se refuse pas. Peut-être parce que c’est par excellence le pays du jeu (de la comédie en tout cas). [Suite de l’interview sur le site de la Librairie Comptines]
Propos recueillis par Corinne Chiaradia, août 2009.