Françoise Henry : la vie intérieure de la petite fille d’ailleurs – par la librairie Apostrophes de Chaumont


A l’occasion de leur passage dans sa librairie (Apostrophes, à Chaumont), Maïté Hugueny propose aux auteurs de littérature adulte de se souvenir de leurs lectures d’enfance, ou de parler de littérature jeunesse – un article publié dans Citrouille en 2007. Comédienne et auteur de pièces radiophoniques, Françoise Henry est née en 1959. Elle a publié Eclatements (poésies), Journée d’anniversaire (Calmann-Lévy, 1998), Le Postier (Calmann-Lévy, 1999), Un Amour malheureux (Pauvert, 2000), Mémoires d’un oiseau, La Lampe (Gallimard, 2003), Le rêve de Martin (Grasset, 2007, lire le premier chapitre).


MAÏTÉ HUGUENY : Le livre était-il présent dans votre environnement immédiat lorsque vous étiez enfant ? 
FRANÇOISE HENRY :  Très présent ! J’ai eu la chance d’avoir des parents qui lisaient beaucoup, sensibles autant à la poésie qu’au roman, aux livres de voyage… La bibliothèque tenait (et tient toujours !)  tout un pan de mur du salon. Également ma marraine, grande lectrice (et présente dans un de mes prochains livres) me « nourrissait » en me donnant souvent une petite pièce, « pour t’acheter un livre » précisait-elle. Je lisais aussi tous les livres conservés dans son grenier par ma grand-mère, livres d’une autre époque fleurant bon le vieux papier, bibliothèque rose aux lettres dorées et grands livres d’images tels que les Bécassines…  Je lisais énormément, l’été à la campagne j’allais au bout du champ avec un siège pliant, pour ne pas être dérangée car j’étais assez solitaire, et je lisais.

– De quelles lectures vous souvenez-vous plus particulièrement ?
 


– De très nombreuses, je ne pourrais pas les détailler !  Il y a eu les Oui-Oui, puis très vite les Suzy, les Lili, les Alice, les collections Roses et Verte d’alors, les collections Rouge et Or. Disons que certains livres m’ont laissé une impression très forte, dont un vieux livre d’images de ma grand-mère qui s’appelait Reine Ortie, l’histoire d’une petite fille pas très sage à laquelle il arrivait des choses incroyables. Je le lisais et le relisais dans le même état de doute et de terreur mêlés… Et puis un livre en collection Rouge et Or, que j’ai toujours, qui s’intitule La petite fille d’ailleurs, un livre assez mystérieux, écrit par une allemande, et qui m’a fait longtemps rêver puisque je m’identifiais complètement à son héroïne. Il y a eu aussi La roche aux Mouettes, qui racontait l’histoire d’enfants échoués sur cette roche lors d’un naufrage je crois – tout ce qui concerne la mer, les bateaux, les ports, m’a toujours attirée. Et tant d’autres ! C’est étrange, je m’aperçois de plus en plus que je ne retiens pas forcément l’histoire elle-même, mais davantage l’impression que me laisse ma lecture.

– Ces lectures d’enfance vous ont-elles influencée ?
– Oui, forcément. Il est toujours très difficile de dire soi-même de quelle façon exactement les rencontres, lectures ou autres, de votre vie, ont joué un rôle dans ce que vous êtes – ou faites – aujourd’hui. Je sais une chose cependant : il me semblait bien que peu à peu, je vivais presque autant dans les livres que dans ma vie. Du moins, j’avais cette conscience que ma « vie intérieure » grossissait sans cesse, et qu’elle allait déborder… Ce que j’ai résolu, je crois, ou tenté de résoudre – car je ne cesse d’essayer d’y parvenir ! – en prenant moi-même le stylo.
– Vos enfants sont-ils également nourris de livres ? Y a-t-il un ou des titres que vous leur avez lu(s) et relu(s) inlassablement ?
– Oui, bien sûr, il y a toujours des « périodes » ou des « phases » avec les enfants, et nous, les parents, nous suivons… ! Je trouve qu’il y a énormément d’inventivité et de créativité dans les livres pour enfants, autant dans les mots que dans les illustrations. Certains me font rêver à l’égal de livres d’adultes, ou même plus. Cela me fait beaucoup de bien, à moi aussi, de leur lire un livre le soir ! Un livre d’enfant qui me calme… Un livre qui les a enchantés – et que j’ai dû lire une cinquantaine de fois ! – c’est Plouf, de Philippe Corentin, écrit avec un humour qui se poursuit à chaque page, comme tous les livres de cet auteur. Les enfants sont très sensibles à l’humour, c’est, dans l’écriture, une distance qui les porte à se sentir plus grands… Et puis les livres de Tomi Ungerer L’ours bleu et d’autres de lui, que j’aime énormément… Ou encore, pour rester dans le bleu, La vie en bleu, de Carl Norac, un de ces livres qui voyage entre rêve et réalité… J’ai beaucoup lu, bien sûr, Ernest et Célestine dont la minutie et la tendresse des illustrations me ravit, et Petit ours brun.
– Allez-vous en famille en librairie ?
– Quand on vit à Paris avec trois enfants on fait très peu de choses en famille, on est toujours à courir ! Je suis toutefois allée avec eux à des petits goûters dans des librairies, pour des signatures de livres pour enfants, auxquelles nous étions invités. Sinon mes filles sont grandes maintenant, elles ont douze et quatorze ans,  et vont seules s’acheter leurs livres. Mais avec le plus jeune,  je passe souvent à la librairie voisine. J’aime bien quand il y a des sièges, un coin enfant où on peut feuilleter tranquillement les ouvrages. Cela fait un temps de repos, c’est ça aussi que doit apporter le livre – et la librairie qui est, heureusement, un lieu « à part », loin de la course quotidienne
– Vos enfants ont-ils des préférences d’auteurs ou de genres ?
– L’aînée de mes filles aime les aventures, les récits un peu fantastiques, les romans à épisodes. La seconde aime les mystères, les énigmes, mais aussi les récits très quotidiens dans lesquels elle se retrouve, reconnaît son univers, même si ce sont des histoires assez dures, sans concession, comme il s’en écrit de plus en plus pour les adolescents. Le troisième, qui a huit ans, aime les contes – je lui en lis un chaque soir – mais aussi les ouvrages « découverte » sur les sciences, le ciel… Sans oublier les livres-jeux ! Tous les trois lisent beaucoup; ils se passent souvent leurs livres et échangent leurs avis… 
Propos recueillis par Maïté Hugueny, librairie Apostrophes de Chaumont