Gerda Muller © Vincent Tessier |
Elle a illustré Marlaguette, Les bons amis et de nombreux autres classiques de la littérature jeunesse parus au Père castor – ou plus près de nous les magnifiques Devine qui fait quoi et Les musiciens de la ville de Brême à L’école des loisirs. Le trait fin, le souci du détail, la fraîcheur, la grâce et la simplicité font de ses livres des oeuvres intemporelles. Toujours à hauteur d’enfants, les thématiques abordées sont résolument tournées vers la nature. J’ai eu le grand bonheur de la rencontrer, de lui poser quelques questions et de découvrir son prochain livre mais… chut, je ne dévoilerai rien! Seulement vous dire que si, à quatre-vingt treize ans, il lui faut un peu plus de temps aujourd’hui, Gerda Muller n’a, oh non, rien perdu de son talent. – Une interview réalisée par Patricia Matsakis, Librairie Le Bateau Livre.
PATRICIA MATSAKIS: Tous vos personnages évoluent dans la nature, et quand on balaye votre carrière artistique on prend conscience de son importance dans votre oeuvre. Dans vos premiers livres elle est très présente, et quand on ouvre vos derniers – La fête des fruits ou Ça pousse comment? pour ne citer que ces deux-là – on constate qu’elle y a pris toute la place, elle en est carrément devenue l’héroïne à chaque page. Le message est devenu plus fort, plus explicite! D’où vous vient cette intention? Est-il pour vous question de transmission?
GERDA MULLER: À la fois transmission et désir de faire revivre les souvenirs de mes promenades solitaires dans mon pays natal et plus tard en France, leur redonner vie sur le papier! J’ai eu la chance d’avoir grandi près d’Amsterdam dans un environnement où la nature était très présente et variée: bois, prés, marais n’étaient pas loin. Et derrière la maison un grand jardin à moitié sauvage… Sans doute est-ce pour cela que j’ai toujours aimé me promener dans la nature avec les enfants en leur racontant des anecdotes autour des insectes, des fleurs et des arbres rencontrés en chemin.
PATRICIA MATSAKIS: La place des animaux est tout aussi prépondérante dans votre travail, le trait est précis. En dehors des livres documentaires peu d’ouvrages de fiction sont fidèles à la flore et la faune qui nous entourent. Le choix d’un dessin réaliste et naturaliste a toujours été votre préoccupation? Un parti pris depuis toujours?
GERDA MULLER: Oui… Je me considère comme une imagière naturaliste – mais pas toujours réaliste, loin de là! Pour composer un paysage qui va être le décor d’une action, j’introduis des montagnes, des chemins, des champs de blé selon les nécessités, en toute liberté. Si j’ai besoin pour l’équilibre d’une composition d’un accent sombre, je plante un sapin ou deux. Pour un léger rideau d’arbres je plante des peupliers… Même dans les contes je reste naturaliste. Je pense à la série des Turlutins où dans chaque titre je tiens compte des saisons. Dans Les Turlutins et la rivière, c’est l’automne et ses couleurs. Je ne suis pas une scientifique, mais j’ai un côté pédagogue – j’essaie toutefois de bannir tout ce qui ressemble à une approche trop didactique. J’espère surtout rendre les enfants plus curieux!
PATRICIA MATSAKIS: Je vis dans une région rurale. Ce n’est pas pour autant que les jeunes parents que j’ai l’occasion de côtoyer dans ma librairie sont conscients de l’importance, dès le plus jeune âge, de nommer la mésange plutôt que de simplement désigner l’oiseau ou l’églantine plutôt que simplement la fleur. Pourtant les jeunes enfants sont curieux d’apprendre des mots nouveaux et, plus ils sont compliqués à prononcer, plus ils les trouvent ludiques. Lorsque vous dessinez un oiseau, un insecte ou un végétal, il est identifiable. Nous sommes en mesure de lui donner son nom. N’y a-t-il pas, sous-jacente, l’idée que d’aller plus avant dans la connaissance du monde végétal et animal contribue au plaisir de la découverte de la nature qui nous entoure?
GERDA MULLER: Il n’y a pas d’idée sous-jacente dans le fait que je précise l’apparence d’un animal ou d’un végétal. C’est juste peut-être une question de respect pour ceux que je souhaite représenter. Pourquoi introduire une vague silhouette d’oiseau quand on peux faire le portrait d’une mésange, d’un geai ou d’un rouge-gorge? Je ne pourrais pas inventer de plus belles silhouettes que les leurs! En leur donnant un nom, j’ai l’impression qu’ils resteront plus facilement présents dans la mémoire des enfants.
PATRICIA MATSAKIS: Et donc d’apprendre à les aimer mieux d’une certaine façon?
GERDA MULLER: Oui! Même à la campagne, les enfants savent de moins en moins nommer ce qu’ils voient autour d’eux. Ils ne fréquentent guère que les supermarchés aujourd’hui, la plupart ne savent donc pas comment sont cultivés les légumes et les fruits. C’est de ce constat que sont nés mes deux livres Ça pousse comment? et La fête des fruits. Mais pour peu que les adultes les emmènent à ces découvertes, les enfants sont curieux de la vie qui les entourent. Espérons qu’ils sauront encore, une fois adultes, s’émerveiller de tout ce qui pousse autour de nous.
Propos recueillis par Patricia Matsakis, Librairie Sorcière Le Bateau Livre à Montauban