Un texte de Roberto Innocenti, lu par Hedwige Pasquier (éditions Gallimard jeunesse) lors de la remise de son Prix Sorcières Album 2014 à l’album La Petite fille en rouge.
C’est bien connu, les contes de fées sont hors du temps et de l’espace, ils traversent tous les âges et toutes les contrées. “Il était une fois…” est l’expression par laquelle chaque histoire commence, sans faire de référence historique, ni même anthropologique, étant trop difficile à situer pour l’auditeur ou pour l’enfant-lecteur. Il en résulte donc clairement que chaque “mise en scène” d’illustrations est arbitraire et personnelle. Ainsi, les premières versions écrites tirées des traditions orales débutent également avec ce rituel “Il était une fois…”
J’ai décidé de situer mon histoire dans le monde actuel, dans une new-town, une banlieue, un no man’s land globalisé, puisque dans chaque partie du monde, ces “non lieux” se ressemblent et sont caractérisés par un manque de beauté, par l’absence de places et d’esthétique urbaine, sans aucune différence dans l’accoutrement des gens et avec une publicité présente de manière obsessionnelle.
Évidemment, il y aura des enfants qui trouveront beau, normal ou laid l’environnement décrit dans cette histoire, en comparaison de leur lieu d’habitation. Il s’agit ici du monde présent et j’en ai bien peur également de celui de notre futur, que nous adultes, évitons de voir. “Le bois” est le nom donné au grand centre commercial, qui représente le centre ville, la place principale, le cœur de la cité, la Cathédrale et le temple de la consommation.
À Istanbul, la population s’est soulevée avec succès contre le projet de construction d’un centre commercial, qui menaçait les arbres d’un sous-bois. Ces évènements sont arrivés bien après la sortie de mon livre. A l’inverse, dans mon histoire, le centre commercial devient le vainqueur.
“La petite fille en rouge” vit dans une société qui s’accoutume au modèle gagnant et qui ne se pose plus aucune question. En la suivant dans ses pérégrinations, telle Alice au Pays des Merveilles, elle nous fait découvrir le paysage urbain, quotidien dans lequel nous évoluons et sa dégradation inévitable si rien ne change dans nos comportements.
Les panneaux publicitaires s’acharnent à nous faire miroiter le bonheur, et le garant de ce bonheur de pacotille ne peut se reconnaître que dans son représentant politique le plus connu, le meilleur candidat à présider une obscène décadence.
La trame traditionnelle de la fable est restée intacte, démontrant que les contes sont intemporels et peuvent se retrouver dans la réalité de chaque époque. Ils aspirent à l’immortalité.
Je décris, aussi, le loup chef de meute, celui avec la queue dressée, que les autres loups, animaux grégaires, reconnaissent comme leur chef, se contentant de manger les restes de ses repas, après qu’il a dévoré les meilleurs morceaux de ses proies. Il est élu pour son arrogance, pour la crainte qu’il inspire.
Cette caractéristique “lupesque” est valable aussi pour les hommes et, malheureusement, également pour leurs choix politiques. La ville de la “petite fille rouge” privée d’aspects culturels ou d’un environnement urbain positif, peut exister dans n’importe quel recoin du monde. La référence à l’Italie et toute ressemblance avec des personnes réellement existantes est purement fortuite et dictée par mes antipathies personnelles…
Photo : Simon Roguet |