«Ils étaient allés mettre le feu au Centre Culturel Français. Quelle chance pour moi !»- par Yves Pinguilly

  • Publication publiée :21 janvier 2018
  • Post category:Archives
Adrienne Yabouza

Originaire de Centrafrique, réfugiée politique, Adrienne Yabouza habite aujourd’hui les Côtes-d’Armor où elle partage son temps entre ses cinq filles et le métier d’écrivain. Elle a exercé mille petits métiers avant de devenir auteur. Quand elle parle de son écriture, Adrienne se souvient qu’elle a été coiffeuse et affirme que « l’écriture et la coiffure ont en commun le style… les mots d’un roman doivent être bien tressés ou bien défrisés ».

Adrienne Yabouza et Yves Pinguilly ont écrit quelques livres ensemble, des romans. Tous évoquent l’Afrique d’aujourd’hui et concernent plus particulièrement la situation des femmes africaines. Ces romans ont souvent été salués par la presse internationale et particulièrement la presse francophone. Pour expliquer leur manière de travailler, Yves et Adrienne disent souvent qu’ils « dansent l’écriture ». C’est vrai que leur complicité les fait être dans le même tempo au fil de leurs phrases métissées par le parler populaire africain sans cesse inventif. Leurs romans ne sont jamais un reportage, mais toujours une réinvention du réel par un langage neuf, coloré aussi par les langues nationales sango, lingala… (Librairie Le Bateau Livre à Lille)


Comment se sont-ils rencontrés? Yves Pinguilly le raconte…

«J‘attendais avant de traverser une rue trop encombrée, dans ce mille du cœur de la ville que l’on nomme si justement le Point Zéro. Près de moi, sur le trottoir, une petite fille en tressait une autre. Derrière elles, deux femmes. L’une qui m’avait entrevu la veille sur son écran de télévision me demanda ce que je faisais là. C’est vrai que Bangui, n’est pas une ville où les Blancs vont en vacances! Je lui répondis que j’étais invité pour quelques jours. Elle questionna encore. Je lui appris que j’étais écrivain et à sa demande je lui dis mon nom. Sa voisine me lança: «J’ai un livre de toi !». Je lui fis un sourire pour répondre à sa politesse qui ne pouvait être que mensongère. Comment aurait-elle eu un livre de moi? A Bangui, il n’y a aucune vraie librairie ! Je saluai les unes et les autres et je finis par traverser.

Le lendemain à la même heure je repassai au même endroit. Et là, la femme qui avait affirmé «j’ai un livre de toi !» m’attendait, avec effectivement un livre de moi, un roman publié il y a si longtemps que je le croyais oublié de tous et de toutes.

Cette femme-là, c’était Adrienne Yabouza.

Quel bon génie était sorti de l’eau de l’Oubangui ou du couvert des arbres de la grande forêt équatoriale, pour faire que nous nous rencontrions? On peut se le demander, tant il est vrai qu’à Bangui, les talimbis qui sont les terribles hommes-caïmans du fleuve ou les likundü-zotibi qui sont d’effroyables sorciers ne laissent généralement aucun espace pour le hasard.

Jamais, chez moi en Bretagne où derrière l’un des quatre horizons de la France éternelle, où je publie, cela ne m’était arrivé : rencontrer un ou une inconnue me lançant «j’ai un livre de toi!». Dans cette République Centrafricaine, si cassée, si pillée, si éloignée du monde moderne j’étais pour le coup ému, comme on l’est quelques rares fois dans sa vie.

Le livre – Le cœur qui pique les yeux -, qu’Adrienne tenait à la main, avait une histoire. Elle l’avait acheté à l’une de ces « librairies par terre » qui sont des espaces que de petits vendeurs s’aménagent sur le trottoir pour vendre des vieilleries qui sont le plus souvent des classiques scolaires.

Si mon roman s’était trouvé là, en vente, c’est parce qu’il avait été volé au Centre Culturel Français, quand il avait été pillé et brûlé. Le pays allait mal, la foule voulait marcher jusqu’à la présidence où un dictateur régnait. L’armée française, toujours prête à défendre une dictature (et les intérêts de la France) avait empêché les manifestants d’approcher du palais. Alors, la manifestation avait fait demi tour en criant «les français nous emmerdent, on va les emmerder».

D’un bon pas ils étaient allés mettre le feu au Centre Culturel Français. Quelle chance pour moi! Sans cet événement sans doute ne serais-je jamais devenu ami avec Adrienne…. »

Yves Pinguilly

Lire l’intégralité de ce récit sur le site d’Yves Pinguilly. Lire l’interview d’Yves Pinguilly par la librairie La Courte Échelle sur ce site. Lire la présentation du dernier roman d’Adrienne Yabouza, La Maltraite des veuves, par Le Journal de Bangui. Le FB d’Adrienne Yabouza ici. 

La défaite des mères
Bangui allowi
Le bleu du ciel biani biani

Yves Pinguilly, Adrienne Yabouza 
Éd. Oslo – coll. Le temps qui passe


L’Histoire Du Chasseur
De Adrienne Yabouza
Illustrations de Antoine Guillopé
éd. Elan vert


Comme Des Oiseaux
Adrienne Yabouza
Illustrations de Lili La Baleine
éd. Bilboquet