Insa Sané, du plomb dans le crâne – par la librairie À Pleine page de Lyon (itw)


Je me suis retrouvée (presque) obligée à écrire un article sur la collection Exprim’ alors que je n’y connaissais (presque) rien. Bon… J’ai fouiné dans les rayons de la librairie, j’ai mis les romans dans un sac, et je les ai ramenés chez moi pour le week-end. Je les ai lus. Et je n’ai pas été déçue. J’ai même été carrément le contraire. Alors j’ai appelé le directeur de la collection, Tibo Bérard, et j’ai rencontré un de ses principaux auteurs, Insa Sané. Et là non plus je n’ai pas été déçue, et même carrément le contraire! Par Gaëlle Barbosa, librairie À Pleine Page, Lyon. Intégralité de l’interview parue en extrait dans le n°67 de Citrouille – Making of de l’interview ici, sur le blog de L’ouvre-livres – Interview de Tibo Bérard ici.


Slameur, leader du groupe le Soul Slam Band, comédien, Insa Sané est également un des écrivains majeurs de la collection Exprim’. Il y a publié Tu seras partout chez toi, et sa Comédie Urbaine composée de 4 volets: Sarcelles- Dakar, Du plomb dans le crâne, Gueule de bois et Daddy est mort. Du plomb dans la crâne est également le titre d’un album CD.

Gaëlle Barbosa : Dans le Télérama du 04/12/10, Michel Abescat vante la musicalité de ton roman Daddy est mort : « Et l’on admire, une fois de plus, la beauté de la langue, son rythme, sa musique, cette  manière si fertile de bousculer le français sous les coups de boutoir du vocabulaire des  cités. On en sort comme d’une averse d’orage : lessivé et à neuf ». Que Télérama, qui est l’un des rares magazines à parler un peu de littérature jeunesse, parle de toi ainsi, ça doit te faire plaisir, non ? 
Insa Sané : J’étais très flatté et surpris. J’ai rarement des articles dans les journaux et de sa part ça me fait vraiment plaisir car tu sens qu’il a vraiment lu mes livres, y a pas de doutes. Je l’ai d’ailleurs rencontré à un festival à Saint-Malo et je suis allé le remercier. Je ne prétend pas avoir une écriture facile, je ne traite pas de thèmes faciles à aborder. Un livre comme 1984, je l’ai repris plusieurs fois. Dedans il y a tout ce que j’adore et tout ce que je déteste. La phobie des rats mais aussi tous mes doutes et craintes sur la société. C’est vrai que pour Sarcelles-Dakar, j’ai eu la même démarche. Pour moi les 50 premières pages sont éliminatoires, je ne veux pas de lecteurs paresseux !

Gaëlle Barbosa : Les liens entre les divers médias sont omniprésents dans la collection eXprim. Les références à la musique, aux séries télé, aux films sont nombreuses. Ce constat est  poussé à son paroxysme avec ton roman et ton album avec le Soul slam band intitulés Du plomb dans le crâne. Peux-tu me dire ce qui t’a amené à développer cette complémentarité entre les deux et de quelle manière celle-ci se manifeste ?
Insa Sané : Je ne suis pas l’homme d’une étiquette ni d’un endroit. Je prends la matière où elle se trouve. Je veux la restituer et partager ces moments avec mes lecteurs. On vit en 2014 ! Avec Internet tout est possible. Les livres doivent être le reflet des divers médias. Les gamins regardent combien de pages il y a dans un livre mais ils ne regardent pas la durée d’un film ! Les livres doivent être comme une porte ouverte. D’après moi le monde de l’édition a un temps de retard sur la société. La crise de l’édition est différente de celle qui touche la musique. Pour moi elle est structurelle, elle ne correspond pas aux attentes du public. Il n’y a qu’à voir la répartition des éditeurs où des studios d’enregistrement pro. Tout est à Paris, ils vivent en huis clos ! C’est même pas Paris et sa couronne, ça devient une culture parisienne intra-muros. Ils font la pluie et le beau temps. Mais les gamins doivent s’oublier, oublier qui ils sont  pur rentrer dans les bouquins ! Au contraire, il faut faire rêver les gens en les incluant. L’avantage de la musique c’est qu’elle est extrêmement populaire. C’est le rap qui vend le plus en France et l’ironie c’est que la seule radio rap s’appelle Skyrock ! On oublie qu’à l’étranger la culture française s’exporte grâce au rap.


Gaëlle Barbosa : Dans ton album Du plomb dans le crâne, il y a une chanson qui s’appelle Immigrés, est-ce un hommage à la chanson de Youssou N’Dour qui porte le même titre et que le père de Djiraël aime ? Insa Sané : Oui ! Mon père écoutait ça ! C’est donc un hommage à mon père mais aussi à Youssou N’Dour avec qui je devais collaborer mais on a eu un léger problème d’emploi du temps… Cette chanson c’est une manière de contester la vision des frontières.


Gaëlle Barbosa : La première partie de Sarcelles-Dakar  nous laisse à peine le temps de réfléchir. Tout commence très vite par une sonnerie de téléphone. « 10h20. Putain ! la sonnerie du téléphone. J’ai bondi de mon lit comme si j’avais reçu une décharge électrique. » Ce premier chapitre met à l’honneur un langage urbain. A l’inverse, dès que la famille de Djiraël arrive en Afrique, on change non seulement de registre de langue mais aussi de rythme. Tout y est plus calme. Comme une pause dans le roman pour que le lecteur reprenne son souffle. Ton deuxième chapitre débute par un très beau texte en italique que tu as intitulé J’attendrai ton retour.  Lorsque l’on ne connaît pas ta littérature on peut-être surpris de ce passage poétique qui surgit alors après tant de « tchatche ». Tes romans me donnent la sensation de changer de rythme comme change de CD, non ?

Insa Sané : Exactement ! Je m’ennuie très vite. Faut que je bouge, faut que ça aille vite. Et après… j’admire ! Ça peut durer un moment. Quand j’étais gamin, un jour en classe je regardais les particules de poussières qui volaient dans la lumière. Et puis en soufflant dans cette poussière pour la faire bouger, j’ai postillonné sur une fille de ma classe. Cette fille s’est plainte “Madame, Insa, il m’a craché dessus !”. Je n’ai pas su, pas pu expliquer ce que je faisais alors. Alors j’ai dit oui… J’ai eu la chance de vivre à Sarcelles, il y a tellement de cultures. Ça m’a donné envie de ne jamais servir le même plat à mes invités.

Gaëlle Barbosa :Tu es passé par le rap, le slam, le théâtre puis le cinéma  avant d’arriver à la littérature. Peux-tu me dire en quoi ces expériences servent tes écrits ? J’ai noté par exemple que tu cites beaucoup de poèmes ou encore que tu utilises le terme « interlude » lorsque tu fais un focus sur un personnage secondaire. L’un peut-il vivre sans l’autre ? 

Insa Sané : “Interlude” c’est un terme que les autres auteurs utilisent aussi, c’est Tibo qui y a pensé. On se lit tous beaucoup chez eXprim. Ce terme existe également dans le cinéma notamment espagnol. Mon métier, c’est artiste. Toutes mes activités me nourrissent, je n’écrirais pas ce que j’écris si je ne faisais pas de théâtre ou de ciné par exemple. Dans mon interprétation il y a de la musique ! Je déteste vraiment m’ennuyer. En même temps on interdit l’ennui. Mais c’est fondateur de s’ennuyer !

Gaëlle Barbosa : Les playlists que tu as choisies sont-elles celles des personnages ou celles d’Insa Sané ? Est-ce censé refléter l’univers musical qui t’entoure ou moment de l’écriture ou bien les chansons que le personnage pourrait écouter ?




Sarcelles-Dakar lu par Insa Sané from Tibo Bérard on Myspace.

Insa Sané : : Et bien ça dépend des romans ! Dans Sarcelles-Dakar, c’est ce que j’ai écouté pendant l’écriture du roman. Dans Daddy est mort, c’est chaque chapitre qui est accompagné d’une chanson.
Et dans Gueule de bois, c’est la musique des personnages. La musique c’est hyper important. Les livres sont empreints de musique, même dans les poèmes de Victor Hugo. Je ne sais pas s’il écoutait quelque chose en écrivant mais je te jure que quand tu les lis tu peux battre la mesure avec tes doigts en même temps !

Gaëlle Barbosa et Insa Sané, 2 février 2014.