Photo site éd. Nathan, 2017 -Pour la parution de Mon carnet de lecteur et lectrice |
Anne Helman : Vous écrivez des livres pour enfants depuis plus de dix ans. Qu’est- ce qui vous a amenée à cette création ?
Élisabeth Brami : Toute petite déjà, j’étais grosse lectrice. Je me disais «je serai Anne Franck, sinon rien»… Le processus d’écriture part souvent d’une petite phrase qui nous vient un jour, comme ça, un fil que l’on tire et qui sert de déclencheur. Et puis, par mon travail de psychologue et psychothérapeute, j’ai rencontré de nombreux enfants et adolescents qui ont forgé la matière première de mon écriture. Enfin, je suis mère de trois enfants, que j’ ai tout naturellement emmenés en bibliothèque et en librairie. En fait, il me semble n’être jamais sortie du monde de l’enfance… Mes livres s’adressent au jeune public parce que j’ai confiance dans le travail qui peut s’effectuer en amont avec un être humain. Dans Moi j’adore, maman déteste, et Moi je déteste, maman adore, je parle aux petits… qui seront grands un jour. J’essaie de leur proposer un autre son de cloche que leur propre vision nombriliste d’enfant, de leur montrer que l’enfance n’est pas un état mais une évolution constante. Je m’attache à faire résonner en eux les adultes qu’ils deviendront. Mais je parle aussi de leur propre enfance à leurs parents parfois devenus amnésiques. Je tente de réveiller l’enfant qu’ils ont été, de leur ôter leur carapace d’adulte forgée au fil du temps. Pour parvenir à cette écriture-là, il faut s’autoriser à se désinhiber, tenter de retrouver l’enfant en soi. C’est une belle aventure…
Anne Helman : Vos livres, même écrits pour les plus jeunes, s’adressent donc aux petits comme aux grands ?
Élisabeth Brami : C’est un fait : les livres pour les petits passent d’abord par les mains des grands… Si les parents se branchent dessus, alors ils sont de la fête et c’est tant mieux. D’ailleurs mes livres sont aussi offerts par des adultes à d’autres adultes… J’interviens de la halte-garderie à la maison de retraite, c’est dire!
Anne Helman : La famille est un thème qui vous est cher. Vous parlez avec humour –voire avec ironie- des relations parents/enfants, ou avec tendresse des liens forts qui unissent la petite Lou à sa grand-mère. N’y aurait t-il point de salut hors de la cellule familiale ?
Élisabeth Brami : Si, bien sûr. D’ailleurs la toute première phrase de Lili Bobo dans sa version initiale, chez Bordas en 1990, était «C’est plus beau chez ma copine». Les petits délices sont eux aussi tournés vers le monde extérieur. Cela dit, il est clair que la famille reste le fondement de l’enfant. Quant à la grand-mère de Lou, je l’ai inventée par pur plaisir, et aussi pour colmater mes propres manques. N’ayant jamais connu ma grand-mère… j’en ai crée une.
Anne Helman : Vous parliez de votre travail de psychotérapeute. Quel est sa part de contribution à cette identification immédiate que vous parvenez à obtenir chez vos lecteurs ?
Élisabeth Brami : J’ai gardé un contact de plein pied avec les 0-10 ans par mes interventions en milieu scolaire, mais surtout grâce à la technique extraordinaire du psychodrame analytique que j’utilise dans mon métier. Au même titre que les patients, j’ y joue des rôles divers, chien, objet, comme quand j’étais petite, mais en gardant mon oeil d’adulte professionnel. C’est l’illustration parfaite du jeu « On dirait que je serais », où l’inconscient se dévoile à ciel ouvert. De plus, les enfants que je rencontre dans les écoles témoignent que mes livres font écho et me renvoient la balle avec bonheur. Ça me permet de garder le fil, de vérifier que je suis bien au diapason.
Anne Helman : L’écrit adolescent révèle une connaissance également pointue des ados…
Élisabeth Brami : Sans soute parce que cela fait 25 ans que je suis psychothérapeute pour adolescents dans un hôpital de jour, où j’anime des ateliers d’écriture depuis 10 ans…
Anne Helman : Vos livres fonctionnent très bien à l’oral…
Élisabeth Brami : C’est probablement grâce au jeu des rimes, qui donne une insolence verbale, une jubilation fabuleuse. Les rimes rebondissent et amusent l’oreille, nous emmènent vers des mots et des choses imprévisibles. J’ai été formée avec des gens comme Brassens ou Trénet, avec des chansons aux empreintes sonores et aux images fortes. Du choc des mots naît l’effet d’allégresse; ainsi dans Le dico rigolo des animaux, à la lettre H, on peut lire: «Hippopotame: Un bain de boue avec sa femme, quel bonheur pour l’hippopotame». C’est joli et rigolo, et puis ça sort naturellement…
Anne Helman : Avec Et puis après on sera mort… , vous changez de registre. On vous connaissait une écriture gaie et enlevée, et voilà que l’on se trouve face à un texte grave. Quelles furent vos motivations pour écrire cet ouvrage?
Élisabeth Brami : Plusieurs de mes livres parlaient déjà de la mort. Dans Les premières fois, il y a par exemple «la première fois que quelqu’un qu’on connaissait est mort». La quête de l’être absent du personnage de Petit cœur peut également être relative à la mort, c’est en tout cas une des interprétations possibles. Enfin dans Le dico des papas et des mamans, à «M comme Mort», on lit «Les papas meurent, même les mamans; oui, c’est affreux, c’est révoltant. On reste seul, abandonné dans la vie qu’ils nous ont donnée.» . Pour ce qui est de Et puis après on sera mort, je l’ai écrit à la suite de la mort d’une de mes amies. J’avais le sentiment de quelque chose de scandaleux, d’inacceptable. Il fallait pourtant arriver à supporter ce sentiment, à pouvoir en parler de façon apaisée. J’ai voulu éviter toute analogie possible avec la propre mort de l’enfant, partant du végétal et passant progressivement à l’animal, puis au mammifère, pour arriver au « On » qui clôt l’album. Il y a des précautions à prendre avec tout ce qui touche aux croyances profondes des enfants, non pas pour endormir les consciences ou édulcorer le discours, loin de moi cette idée, mais pour éviter les bombes à retardement. Il faut arriver à parler de la mort comme du reste, sans que le jeune lecteur soit » fracassé » par la violence de la révélation… Et je trouve qu’au final, le livre est calme.
Anne Helman : Si le mot » mort » est présent jusque dans le titre de cet album, ce n’est pas le cas dans dans Couleur chagrin où il ne figure pas du tout …
Élisabeth Brami : Ce livre, illustré par Georges Lemoine, est dédié «à ceux qui s’éclipsent trop tôt, à ceux qui restent après eux». Il se veut être consolateur, autant pour les enfants que pour les adultes qui se trouvent confrontés à une disparition, à un suicide. Pour les enfants et leur univers animiste, cela peut s’apparenter à la perte du doudou, du chat, du chien… Je me souviens de cette phrase extraordinaire d’un enfant que j’ai rencontré : « La mort, c’est une catastrophe naturelle » On perd cette notion si juste en grandissant. Peut-être la retrouve-t-on à la veille de notre propre mort ?
Anne Helman : A propos de vos illustrateurs, les avez-vous vous-même choisis ?
Élisabeth Brami : Philippe Bertrand m’a été présenté par l’éditeur, j’ai repéré Tom Schamp et Anne-Sophie Tschiegg dans Télérama, et Karine Daizay par une pub de la SNCF… Dans ces cas, je me dis : « il me le faut » et je fais ma propre enquête… Mais je peux tout aussi bien simplement décider de travailler avec telle ou telle personne, connue ou non.
Anne Helman : Vous n’avez jamais été tenté par l’illustration ?
Élisabeth Brami : Il y a 20 ans, je dessinais… Mes travaux avaient d’ailleurs reçu un bon accueil chez les éditeurs, mais aucun projet n’avait finalement abouti… jeunesse oblige! Dans Rue des deux maisons j’ai réalisé moi-même les illustrations, mais sans pour autant m’autoriser à reprendre pastels et crayons. Pour ces « maisons qui rient » et ces « maisons qui pleurent », j’ai préféré le collage…
Propos recueillis par Anne Helman Librairie Sorcière Chat Perché au Puy-en-Velay – Citrouille sept. 2001