Je suis retournée il y a peu dans une maison où je passais enfant la plupart de mes dimanches. J’avais dans mes souvenirs gardé l’image d’un petit palais plein de couleurs, de breloques et de recoins avec un grand couloir qui le traversait.
Dans l’album d’Anaïs Brunet il n’est pas question de petit appartement mais comme son titre l’indique d’une belle maison, une magnifique demeure, solide, cossue, plantée en hauteur à deux pas de la mer. De souvenirs en revanche il en est tout le temps question. C’est qu’elles en ont vu passer ces vastes pièces, ils ont surpris plus d’une conversation ces hauts plafonds et ces lourdes tentures ! Sans compter ce bel escalier en bois et ce frais carrelage qui ne savent plus combien de milliers de petits pas ils ont pu entendre résonner.
C’est l’histoire d’une grande et belle maison assoupie qui garde jalousement les secrets de la famille dans la fraîcheur de la basse saison. Et puis un jour l’été est là et la maison attend, patiemment, comme elle sait si bien le faire. « Tout à coup, un son strident résonne dans mon hall et traverse mes pièces de haut en bas, vrillant ma rampe d’escalier pour aller rebondir jusque dans mes combles. Je mets quelques secondes à comprendre… C’est la sonnette de l’entrée ! Les enfants sont revenus ! »
Tout ce temps passé où elle est restée seule, la maison a pris soin de demeurer telle quelle, pour qu’on la reconnaisse, les jouets toujours au même endroit, l’escalier qui craque un peu et cette vue immuable sur le jardin avec la mer pour toile de fond. Les enfants eux ont bien grandi en un an et la maison doit se réhabituer à ces traits imperceptiblement changés, ces quelques centimètres de plus. Profiter d’eux jusqu’à plus soif, se repaître de leurs cavalcades, de leurs habitudes retrouvées au creux de ses murs, avant que l’appel du dehors soit plus fort, qu’ils s’élancent d’un bond retrouver le soleil et la mer.
Un album original et émouvant où la narratrice vous l’aurez deviné, n’est autre que la maison elle-même, comme un membre à part entière de la tribu, une aïeule indéboulonnable et bienveillante. C’est sa voix qui résonne dans l’album, douce, posée et chaleureuse, racontant à demi-mots le temps qui passe, la mémoire de la famille et la promesse d’autres jours heureux. Pas d’adultes dans cette histoire, seulement les enfants et cette maison qui apparaîtrait presque comme une figure maternelle et nourricière. Un point d’ancrage rassurant, aussi statique et immuable que les jeunes sont en mouvement, leur laissant tout loisir de découvrir le monde, d’expérimenter, de partir et de revenir aussi souvent qu’ils le souhaitent.
« Ce soir, chers petits, je vous protègerai contre l’orage et la tristesse, les courants d’air et les cauchemars. Je verrai vos songes éclore et s’envoler comme des bulles. Je devinerai vos projets, je les accompagnerai. N’ayez crainte: je vivrai assez longtemps pour vous voir grandir. Vous me quitterez un jour, mais moi, je resterai ici, inamovible. Vous saurez où me trouver ».
Tout ce qui est suggéré ou à peine esquissé dans ce joli texte lent et posé vous le découvrirez dans les illustrations vibrantes aux fins détail , aux motifs très travaillés, comme les veines du marbre de la cheminée, le dessin du carrelage, la luxuriance fleurie d’un papier peint. C’est un premier album (mazette…) et c’est beau tout plein ! Ça sent le sable chaud et l’air salé mais on peut le lire toute l’année qu’on soit petit ou déjà grand.