Je suis entrée dans la Belle Maison, celle d’Anaïs Brunet

  • Publication publiée :21 mai 2017
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Je suis retournée il y a peu dans une maison où je passais enfant la plupart de mes dimanches. J’avais dans mes souvenirs gardé l’image d’un petit palais plein de couleurs, de breloques et de recoins avec un grand couloir qui le traversait.

J’ai retrouvé un petit appartement HLM des plus modestes, aux pièces minuscules, saturées de santons, de bibelots et de napperons au crochet. En quatre ou cinq pas à peine le couloir se franchit, juste le temps d’embrasser du regard les photos un peu passées et les tableaux canevas accrochés au mur. C’était ça les couleurs ?
Tout est comme avant et pourtant rien n’est plus pareil, si ce n’est dans le salon la douceur arrondie du gros fauteuil qui prend toute la place, la toile cirée de la table sous laquelle j’aimais plonger quand les repas des adultes s’éternisaient, retrouvant entre les jambes des grands l’ivresse de la cachette. Tant de souvenirs que les maisons pourraient nous raconter si seulement…

Dans l’album d’Anaïs Brunet il n’est pas question de petit appartement mais comme son titre l’indique d’une belle maison, une magnifique demeure, solide, cossue, plantée en hauteur à deux pas de la mer. De souvenirs en revanche il en est tout le temps question. C’est qu’elles en ont vu passer ces vastes pièces, ils ont surpris plus d’une conversation ces hauts plafonds et ces lourdes tentures ! Sans compter ce bel escalier en bois et ce frais carrelage qui ne savent plus combien de milliers de petits pas ils ont pu entendre résonner.

C’est l’histoire d’une grande et belle maison assoupie qui garde jalousement les secrets de la famille dans la fraîcheur de la basse saison. Et puis un jour l’été est là et la maison attend, patiemment, comme elle sait si bien le faire. « Tout à coup, un son strident résonne dans mon hall et traverse mes pièces de haut en bas, vrillant ma rampe d’escalier pour aller rebondir jusque dans mes combles. Je mets quelques secondes à comprendre… C’est la sonnette de l’entrée ! Les enfants sont revenus ! »

Avec les enfants c’est la vie qui revient et la maison qui s’éveille brusquement de sa torpeur hivernale. Ils n’y vont pas de main morte les petits, trop impatients d’investir les lieux : les portes claquent, les volets s’ouvrent, les housses sont jetées au pied des meubles tandis que les rideaux laissent enfin entrer la lumière à flot.

Tout ce temps passé où elle est restée seule, la maison a pris soin de demeurer telle quelle, pour qu’on la reconnaisse, les jouets toujours au même endroit, l’escalier qui craque un peu et cette vue immuable sur le jardin avec la mer pour toile de fond. Les enfants eux ont bien grandi en un an et la maison doit se réhabituer à ces traits imperceptiblement changés, ces quelques centimètres de plus. Profiter d’eux jusqu’à plus soif, se repaître de leurs cavalcades, de leurs habitudes retrouvées au creux de ses murs, avant que l’appel du dehors soit plus fort, qu’ils s’élancent d’un bond retrouver le soleil et la mer.

Un album original et émouvant où la narratrice vous l’aurez deviné, n’est autre que la maison elle-même, comme un membre à part entière de la tribu, une aïeule indéboulonnable et bienveillante. C’est sa voix qui résonne dans l’album, douce, posée et chaleureuse, racontant à demi-mots le temps qui passe, la mémoire de la famille et la promesse d’autres jours heureux. Pas d’adultes dans cette histoire, seulement les enfants et cette maison qui apparaîtrait presque comme une figure maternelle et nourricière. Un point d’ancrage rassurant, aussi statique et immuable que les jeunes sont en mouvement, leur laissant tout loisir de découvrir le monde, d’expérimenter, de partir et de revenir aussi souvent qu’ils le souhaitent.

« Ce soir, chers petits, je vous protègerai contre l’orage et la tristesse, les courants d’air et les cauchemars. Je verrai vos songes éclore et s’envoler comme des bulles. Je devinerai vos projets, je les accompagnerai. N’ayez crainte: je vivrai assez longtemps pour vous voir grandir. Vous me quitterez un jour, mais moi, je resterai ici, inamovible. Vous saurez où me trouver ».

Tout ce qui est suggéré ou à peine esquissé dans ce joli texte lent et posé vous le découvrirez dans les illustrations vibrantes aux fins détail , aux motifs très travaillés, comme les veines du marbre de la cheminée, le dessin du carrelage, la luxuriance fleurie d’un papier peint. C’est un premier album (mazette…) et c’est beau tout plein ! Ça sent le sable chaud et l’air salé mais on peut le lire toute l’année qu’on soit petit ou déjà grand.

Véro, Librairie Sorcière La Boîte à Histoires à Marseille