Jean Molla : «Je respecte trop mes lecteurs pour leur servir une bouillie vide de sens.»

  • Publication publiée :8 juillet 2018
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Circuler dans des univers parallèles grâce à un gant magique, l’Attrape-Mondes… Y affronter un peuple de dragons, une princesse jalouse, un sorcier diabolique… C’est une mission pour héroïne de jeux vidéo, pas pour une adolescente de quatorze ans! Depuis qu’elle a rencontré le beau William, la vie de Nina a basculé. Et si, sans le savoir, elle avait quitté la réalité pour un voyage sans retour dans le monde virtuel? C’est ce que lui révèle William : elle n’est que le personnage d’un jeu informatique dont il est l’utilisateur. Créature virtuelle, elle est destinée à disparaître avec la fin du jeu. A moins que la réalité ne soit pas celle que l’on croit… (résumé éditeur)


En 2003, une Librairie Sorcière avait été déçue par le roman L’Attrape-mondes de Jean Molla  et l’avait écrit sur le site de Citrouille. L’auteur lui a répondu quelques jours plus tard.

La critique 
L’Attrape-mondes de Jean Molla : Quelle déception! La qualité de l’écriture est toujours là et le choix d’une fille comme héroine d’un texte fondé sur les jeux vidéo, une bonne initiative. Mais l’idée du dérapage dans l’utilisation du jeu finit par être banale.Le rythme de l’histoire est lent, les aventures semblant se succéder par simple empilage. Quant à la chute, elle ne surprendra que ceux qui n’ont jamais lu un texte de ce genre. Reprendre, par exemple, Prisonniers d »Harmonia de Pierre Grimbert aux Editions du cadran bleu, moins prétentieux et plus efficace.Heureusement la plupart des autres de texte de Jean Molla sont à recommander fortement!

La réponse de Jean Molla
«Bonjour,
J’ai lu votre critique de L’Attrape-Mondes sur le site de Citrouille et je me permets de vous écrire. Non pas par pure acrimonie, rassurez-vous, je comprends qu’on puisse ne pas aimer un livre, mais pour rebondir sur une remarque que vous avez faite sur ce roman qui serait « un simple empilement d’aventures… »

J’espère que vous aurez la patience et la gentillesse de lire ma lettre et mes explications jusqu’au bout et qu’elle ne vous sembleront ni trop didactique ni trop « prétentieuses ».

Dans le dernier numéro de Citrouille, j’ai lu l’interview de Gudule qui écrit qu’elle «ne fabrique pas ses livres.» Moi, précisément, je les fabrique. De toutes pièces. C’est à dire qu’avant de commencer à écrire, j’essaie de réfléchir sur la structure de ce que je « fabrique », sur les idées que je souhaite exprimer et sur les moyens de les exprimer. J’ajoute que j’essaie de faire mienne cette phrase de Voltaire que je cite de mémoire : «Un bon livre, c’est celui dont le lecteur fait la moitié».

J’ai également la prétention, et je l’assume, d’écrire des livres qui souffrent la relecture, c’est à dire que l’on puisse y découvrir quelque chose qui nous avait échappé à la première rencontre.

Quand j’ai commencé à travailler sur L’Attrape-mondes, j’ai voulu réfléchir sur les mondes imaginaires propres à l’univers de certains jeux vidéo inspirés de l’heroïc fantasy. Or précisément, ces jeux reposent sur un simple empilement d’aventures. J’ai donc décidé de reprendre cette structure en la subvertissant et en lui assignant une dimension psychologique.

L’Attrape-mondes peut être lu avec plaisir comme un simple roman d’aventure qui fonctionne sur des stéréotypes. Mais il contient aussi un roman en creux qui est laissé à la sagacité du lecteur. Ce n’est pas de la prétention, c’est du jeu. C’est la certitude que le livre est une machine à produire du sens et à réveiller.

Je m’explique : si l’on lit attentivement mon texte, quand Nina demande à William comment fonctionne son jeu, celui-ci explique : «En fait, le programme du jeu se nourrit de ton propre inconscient et élabore les aventures et les personnages en fonction de tes préoccupations, de tes désirs, de tes dégoûts, de ce que tu es profondément.»

Si l’on repère cette clé, répétée trois fois, chacune des aventures de Nina n’est pas à prendre au sens littéral, mais de manière symbolique. En fait, chacune de ses aventures reflète ses préoccupations profondes.

Dans le prologue, je présente une jeune fille et sa famille : Nina Lidenbrock est amoureuse d’un garçon, Guillaume, et sa rivale Yasmine la préoccupe. Elle déteste les crustacés, les calamars et a peur des reptiles…

Son papa, Eric, s’abrutit au travail et vit dans un état de fatigue permanente. En outre, il paraît bien distant de sa femme et semble se préoccuper davantage de la jolie propriétaire du gîte.

La maman de Nina, Irène, est ce qu’on appelle familièrement (et de manière fort machiste) un  « dragon  » qui manifeste le désir de faire un bébé (pour raccrocher ce mari qui s’éloigne ?). Cette perspective ne ravit guère Nina…

Quand Nina bascule dans le jeu, outre les monstres qu’elle affronte – rats crustacés, poulpe géant et lézards/dragons) – elle se retrouve face à un garçon terriblement séduisant William (Guillaume) avec qui elle vit des aventures qui la ravissent.

Première aventure : une histoire familiale. Un roi : Elric (Eric ?) a été privé de son énergie vitale par une reine des dragons (sic) nommée Neïrè (Irène ?) qui lui a volé son épée magique (son phallus ?). La fonction essentielle de cette reine est de pondre des bébé, ce qui a le don de dégoûter Nina. Elle rencontre à ce propos une insupportable rivale qui séduit William/Guillaume, Ysméïna (Yasmine). Et qui rend sa force à Elric ? Nina.

Seconde aventure : une histoire personnelle. Nina, affronte un sorcier, Orckann Leibnid (anagramme de Nina Lidenbrock). Cette seconde aventure la met donc face à elle-même. Nina ne tue pas son ombre, cette part sombre d’elle-même (voir la description de l’ombre, lourde comme la Nina réelle : une jeune fille un peu boulotte, mal dans sa peau, qui perçoit le malaise entre ses parents), elle doit apprendre à l’accepter.

Et c’est à cette condition qu’elle peut revenir à la réalité. Sauf que Nina, n’a pas tout à fait appris à la fin de l’histoire car on comprend rarement du premier coup. Ce que les derniers mots du livre indiquent : il faut replonger dans l’aventure pour pouvoir la comprendre, donc relire le livre et trouver les clés – il y en a plein d’autres, et je peux vous assure que les enfants guidés par un prof dans la lecture de ce livre s’amusent énormément à les relever et à les suivre.

Ce livre n’est donc pas un empilement d’aventures, il est une aventure intérieure, un roman initiatique (j’y tiens ! Nina affronte les quatre éléments, se métamorphose pour être capable d’assumer son humanité) avec une réelle progression.

Voilà. J’espère ne pas vous avoir trop cassé la tête mais je respecte trop mes lecteurs pour leur servir une bouillie vide de sens.

Très cordialement.

Jean Molla »

Bonus 2018 :

Portrait de l’écrivain Jean Molla, Prix du livre en Poitou-Charentes,
réalisé par les Yeux d’IZO.
© Centre du livre et de la lecture en Poitou-Charentes – 2011