Květa Pacovská invitait les enfants à entrer dans ses livres

Květa Pacovská est morte lundi 6 février à l’âge de 94 ans. Née à Prague en 1928, elle avait fabriqué ses premiers livres avec sa grand-mère avant de devenir une immense artiste de la littérature jeunesse.

Kveta Pacovska, photo de Sara Blum
Květa Pacovská © Sara Blum

Nos photos sont floues, mais le souvenir est lumineux. 2019, Salon de Montreuil, sur le stand des Grandes Personnes, Květa Pacovská dédicace — elle a alors 91 ans ! — elle accueille les lecteur·rices avec gaieté, grâce et gentillesse, et pose sur chaque visage un beau regard qui sourit. « La petite dame en noir était solaire », a écrit Brigitte Morel, l’éditrice des Grandes Personnes dans son hommage à l’artiste tchèque. Solaire et libre.

Peintre, sculptrice, plasticienne — termes qu’elle préférait à « graphiste » — Květa Pacovská avait commencé à exprimer ses talents artistiques avec sa grand-mère, de la façon la plus artisanale et spontanée qui soit, avant de l’étudier à l’École des Arts Appliqués de Prague. Inspirée par les mouvements dadaïstes et constructivistes, en particulier par Kurt Schwitters, graphiste, sculpteur et typographe de la première moitié du XXème siècle, elle développe une esthétique singulière, associe formes, matières et couleurs dans une sorte d’anarchie poétique et visuelle, et invente ainsi une écriture originale à destination des enfants. Dans l’édition jeunesse francophone, Květa Pacovská trouvera des maisons audacieuses, prêtes à mettre en œuvre des fabrications complexes, exigeantes, associant des vernis sélectifs à des mats profonds, des miroirs à des découpes, des pages pop-up à des pages accordéon. Il y aura minedition, Nord-Sud, Seuil Jeunesse, et bien sûr Les Grandes Personnes.

« J’aime tous les matériaux. Ils sont irrésistibles. Ils sont inspirants.
J’aimerais travailler avec eux tous, mais ce n’est pas possible.
Lorsque je choisis un matériau, je respecte ses règles et j’essaie de ne pas les enfreindre.»

Květa Pacovská essayait tout avec joie et humilité. Affranchie des codes et des modes, elle collait ici une bande découpée dans un cahier, l’entourait d’un trait assuré, puis elle venait hachurer la page, colorier frénétiquement un rond, tracer des traits dans le corps d’une lettre. Immanquablement, il y avait le rouge vermillon, compagnon solide, auquel venaient s’adosser les autres couleurs, toujours intenses. Un alphabet surgissait et semblait vivant, un oiseau de bric et de broc s’envolait, un rhinocéros carnavalesque s’imposait.

« Créer quelque chose, c’est comme aller sur une colline.
Tu essaies de gravir la colline pour savoir ce qu’il y a derrière la colline.
Et quand tu montes là-haut, tu vois qu’il y a une autre colline que tu devras gravir. »

Květa Pacovská n’en avait jamais fini avec l’imagination. Le livre devenu objet à construire, à manipuler, était une architecture à visiter, un monde où s’attarder, une balade ludique et infinie. « Fais-toi tout petit et passe par ici », cette phrase écrite sur la première page de l’incroyable Un livre pour toi (malheureusement épuisé), résonne aujourd’hui comme une invitation à continuer à arpenter ces chemins d’enfance.

Interview de Kvĕta Pacovská pour l’exposition « Passages » dans le cadre du Salon du livre et de la presse jeunesse 2014. Réalisé par Karim Goury.