La baie d’épines, par Elzbieta (+ vidéo)

Tandis que les adultes spéculent sur les causes économiques, sociales ou politiques des guerres, tandis qu’ils en justifient ou en accusent les acteurs, qu’ils en analysent les évènements, en jugent ou dissimulent les crimes, sans pour autant jamais parvenir à en empêcher le retour, les enfants, eux, ruminent, le plus souvent secrètement, l’énigme véritable de cette malédiction.

Provisoirement libre de raisonnements idéologiques ou de nostalgies, l’enfant s’interroge sans détours trompeurs sur des vérités élémentaires : qu’est-ce que la guerre ? Quelle raison absurde, insupportable, plus forte que l’amour de leurs enfants, oblige les humains à accepter de tout perdre, y compris la vie ? Et puis, qu’est-ce que la cruauté ? Pourquoi tel groupe humain est-il choisi pour ennemi ? Pourquoi est-il décrété intrinsèquement mauvais ? Et s’il l’est, par quel miracle peut-il un jour, par sa défaite ou sa victoire, cesser de l’être ? 

Les enfants savent que les grandes personnes, pas plus qu’eux-mêmes, ne connaissent les réponses à ces questions, et ils pressentent l’arbitraire de la désignation des coupables ou des victimes même si, par loyauté, ils tentent d’ajuster leur pensée aux rationalisations ambigües des adultes en cherchant sur l’ennemi désigné les stigmates justifiant sa condamnation.
Basée sur mes propres expériences d’enfant dans la guerre, la séparation que raconte Flon-Flon et Musette ne doit pas être prise seulement pour l’expression d’une séparation purement physique et affective. La baie d’épines subitement dressée symbolise tout interdit arbitraire, tout système de tri infamant.
Elzbieta[Un texte publié dans Citrouille en 1994]