La bibliothèque anti-sexiste du Centro delle Donne (chronique d’Ariane Tapinos)

  • Publication publiée :24 décembre 2015
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Depuis quelques années, quand on parle des femmes en Italie, c’est pour relater les frasques grotesques et obscènes de celui qui préside aux destinées de ce pays. C’est aussi – et ce n’est pas sans lien avec le motif précédent – pour s’affliger de l’utilisation abjecte et répétée des femmes, comme objets de décoration et de promotion, sur tous les écrans de la péninsule. Utilisation qui donne à penser que toutes les italiennes ont adopté la coupe et la couleur de Farrah Fawcett, à la grande époque des Drôles de dames, et que leur plastique sort tout droit de la BD italienne érotique, tendance Manara*. Bien sûr, l’Italie ne peut être réduite à ce désolant spectacle, pas plus que les femmes ne peuvent être réduites à des objets de consommation – à l’horizontale – comme semble le penser Il Cavaliere. Et un petit voyage à Bologne, à l’occasion de la 48e édition de la Foire du Livre Jeunesse, entrepris grâce à l’action de l’agence Écla**, et qui regroupait une vingtaine de professionnelles du livre (bibliothécaires, éditrices, libraires, auteures) nous a permis de découvrir un lieu unique en son genre (!), niché au cœur de la ville rouge…

Le Centro delle Donne, occupe depuis 1981, un ancien (et beau) couvent dont les précédentes occupantes avaient la réputation de ne pas se laisser dicter leur conduite par la gente masculine. Créé dans la foulée des mouvements féministes des années soixante-dix, par l’association Orlando (en référence au personnage de Virginia Woolf), qui est toujours aux commandes, le Centro delle Donne est à la fois une bibliothèque – la bibliothèque italienne des femmes – et un lieu d’actions en faveur des femmes. Cette double mission assurée par un financement public et piloté par une association féministe indépendante des pouvoirs publics, est assez rare pour être signalée et enviée.

La bibliothèque, spécialisée dans les études de genres, les études féministes et «la culture des femmes», possède une collection de plus de quarante mille ouvrages, parmi lesquels quelques incunables du XVIe siècle. Elle accueille les chercheuses (et chercheurs) mais aussi les lectrices (et lecteurs) qui peuvent fréquenter ses salles comme celles de n’importe quelle bibliothèque municipale. Raison pour laquelle, on y trouve un espace dédié aux enfants qui peuvent ainsi accompagner leurs parents et se plonger dans un sélection de livres, albums, romans, documentaires, 100% non sexistes! Autour de cet espace, le CdD entretien des liens avec la grande librairie spécialisée jeunesse de Bologne, la librairie Gianni Stoppani.

L’originalité du Centro delle Donne, ce sont aussi ses activités d’animations et sociales. Si comme toutes les bibliothèque, le CdD propose des rencontres avec des auteurEs, des débats – récemment avec des journalistes sur le thème du corps des femmes dans les médias –, des lectures…, il organise aussi des activités créatives, des formations (recherche d’emploi par exemple) à destination des femmes et notamment des femmes en difficultés et des femmes immigrées. Ce double rôle à la fois scientifique et social (dans le sens le plus large du mot) fait que le Centro delle Donne allie une reconnaissance internationale à une implantation locale particulière. Une visite à ne pas rater pour les amoureuses-x des cloîtres du XIIIe siècle et des livres, épris-e-s d’une justice qui implique la reconnaissance du patrimoine littéraire et scientifique légué par les femmes.

Ariane Tapinos, librairie Comptines

Pour en savoir plus :
http://www.women.it/bibliotecadelledonne/

* Il faut absolument prendre le temps (25 minutes) de regarder le documentaire de Lorella Zanardo et Marco Malfi Chindemi, Il corpo delle Donne, pour mesurer l’ampleur du phénomène :

** Écla : écrit cinéma livre audiovisuel, est, notamment, l’agence régionale pour le livre en Aquitaine.