La librairie Le Cheval Crayon : une affaire de femmes, d’émancipation


Les articles de Citrouille dans le rétro — C’était en 1987, un immeuble au pied de la cathédrale de Bayeux: Nadine Millet ouvrait sa librairie. Pas vraiment spécialisée jeunesse, pas vraiment générale, mais à forte tendance artistique: de l’image, du dessin, de la peinture et, pour finir, une galerie d’exposition.

Ce jour-là, Nadine a quarante ans, quatre enfants qui ont grandi, un mari qui se réalise et cette idée qui lui trotte dans la tête depuis cinq ans… C’est une question d’époque, de détermination – une détermination liée à l’époque mais pas que!

Les copines bibliothécaires aident à la mise en place, papy Henry à la menuiserie et les éditeurs au stock de départ. Quand le peintre dessine Le Cheval Crayon sur le panneau en bois, Nadine entend «N’importe quoi!». Elle en rigole encore, celle qui pensait aussi à «Crabe Tambour»…

La librairie intègre les Librairies Sorcières en 1990. Nadine, en plus d’assurer les horaires d’ouverture, va dans les classes avec ses caisses de livres; c’est le moment où les enseignants découvrent la littérature jeunesse… Le rôle de passeurs que nous revendiquons avait déjà tout son sens. Maryline est embauchée à la librairie à ce moment-là. Elle y est toujours…

En 1992 Nadine s’associe avec Christine, ancienne bibliothécaire à la BDP, et la librairie arrive à Caen, rue Froide. Chacune trouve sa place dans les quarante-cinq m² et Célia commence un contrat d’apprentissage en 1999…

Et puis un jour, au bout de quinze ans, Nadine part, quitte la forteresse qu’elle a bâtie, et c’est comme ça; elle part marcher, jardiner, lire. Quatre ans plus tard, en 2007, Célia et moi achetons la librairie où nous pouvons, avec Maryline et Elise, partager, être utiles et libres. Nous avons acheté une librairie que j’ai parfois l’impression de défendre, parce que j’ai parfois l’impression qu’elle est attaquée.

Je suis amoureuse d’un des fils de Nadine depuis dix-sept ans, mais elle et moi ne parlons que très rarement de la librairie, un mot du jargon au-dessus de l’assiette de ses petits-enfants et tout est dit. Elle sait ce que je vis, je sais ce qu’elle a vécu. Ce n’est pas une affaire de famille, mais une affaire de femmes, d’émancipation. L’histoire d’une passion qui perdure.

Nous sommes donc toujours quatre et il faut bien ça car la librairie est tellement mal rangée que jamais vous ne pourrez y entrer, pour choisir un thème et valider votre panier…

Jennifer Brezel, librairie Le Cheval Crayon à Caen