Entre choix audacieux et rééditions de classiques, Grasset-Jeunesse, «une maison dans la maison Grasset», allie la valorisation de son fonds à la recherche de nouveaux talents. Pour vous en parler au mieux, j’ai rencontré Valéria Vanguelov qui dirige le secteur depuis maintenant quatre ans (par Vanessa Sauvage, librairie Pages d’Encre à Amiens – Article publié en 2013 – Illustration: portrait de Valéria Vanguelov dans le carnet de Pierre Cornuel©)
VANESSA SAUVAGE: Alexis Galmot et Till Charlier, l’auteur et l’illustrateur de La Boulangerie, Laurent Gapaillard, l’illustrateur de Le Yark dont le succès ne se dément et dont on pourrait bientôt découvrir l’adaptation animée… Il semble que beaucoup de vos auteurs publient pour la première fois?
VALERIA VANGUELOV: Le texte de La Boulangerie est arrivé par la poste. Alexis Galmot n’avait effectivement jamais publié, et Till Charlier, était venu quelque temps auparavant, tout timide, nous montrer son book sur un salon du livre… Pour Laurent Gapaillard, qui a mis Le Yark en images et dont le travail a quelque chose d’assez dément, c’était aussi le premier livre. Cécile Hennerolles, qui signe le texte délicat de Vladimir et Clémence, dans la même collection, publie elle aussi pour la première fois – nous l’avons connue grâce au flair de libraires amis communs! Les rencontres avec ces auteurs et illustrateurs ont toutes été très fortes. Venant d’un monde extérieur à celui du livre, ils apportent une expérience autre que celle du monde du livre, et cette forme de candeur est précieuse.
Oui, et c’est passionnant de «détourner» les savoir-faire qu’ils portent en eux! Dans le charme de Vladimir et Clémence, que vient soutenir le travail tout en finesse d’Anna Boulanger, on sent, à travers l’attachement au passé, à ses objets et aux souvenirs, le travail que son auteur a longtemps fait sur des archives. Dans les dialogues de La Boulangerie, impossible de passer à côté du fait qu’Alexis Galmot travaille notamment sur les films de Klapisch et qu’on lui doit des répliques devenues cultes, comme celles du Péril jeune. Quant au Yark, les décors et les cadrages des illustrations viennent du travail que Laurent Gapaillard a l’habitude de réaliser pour le cinéma, comme le texte vif et enlevé de Bertrand Santini, scénariste et réalisateur… Ce sont ces différentes influences qui se mélangent pour créer des livres singuliers.
Ce soin apporté à vos nouveautés se retrouve dans celui que vous mettez à redonner vie à des classiques de votre catalogue. Ainsi, vous avez fait travailler des illustrateurs contemporains sur les textes de Pierre Gripari, entrés dans notre patrimoine littéraire, qui continuent d’enthousiasmer les nouvelles générations.
Marier les histoires de Gripari aux illustrations de Laurent Gapaillard, Till Charlier, Guillaume Long ou Serge Bloch est venu soutenir l’aspect moderne de son œuvre, et l’accueil fait à cet hommage en format poche a été unanime. Mais à côté de cela, saluer le travail de Claude Lapointe sur les Contes de la rue Broca et les Contes de la Folie-Méricourt en publiant de nouvelles éditions dans une maquette plus actuelle, est évidemment très important pour une maison historique comme la nôtre.
Ainsi, vous poursuivez une réelle politique d’auteurs?
Outre la quasi totalité des textes jeunesse de Pierre Gripari, nous publions des auteurs-illustrateurs comme Peter Sís, et des collections comme Monsieur Chat – Il était une fois, créée par Étienne Delessert. De tels ouvrages ont marqué l’histoire de la littérature jeunesse, et nous sommes fiers de continuer à les défendre. Notre défi est à présent de trouver d’autres univers aussi enchanteurs, novateurs et forts, et de les suivre. Par exemple, nous avons publié le premier album qu’a illustré Sylvie Serprix, et aujourd’hui, nous venons de faire ensemble son premier livre en tant qu’auteure-illustratrice, Le Rendez-vous de Valentin, un hymne à l’amour qui s’inscrit dans la lignée des «amoureux» de Peynet.
Parmi ces incontournables qui ont contribué à la renommée de Grasset-Jeunesse, dans vos récentes rééditions, quelle joie d’avoir retrouvé les ouvrages de Raymond Briggs!
Sacré Père Noël ou Le Bonhomme de neige sont des livres qui se transmettent de génération en génération. C’est toujours tellement émouvant de voir les parents acheter ces ouvrages qui ont marqué leur enfance, les yeux pétillant par avance de pouvoir les partager à leur tour avec leurs enfants! Et puis nous avons réédité Les Aventures d’Alice au pays des merveilles illustrées par Nicole Claveloux. Depuis sa première parution en 1974, on ne compte plus les expositions autour de cette édition devenue elle aussi une référence en littérature jeunesse.
Et Bonne nuit Eddie, cet album à la couverture… noire ?
Il est né de la complicité de deux sœurs, Amélie et Estelle Billon, façonné par leurs souvenirs de petites filles. Un album imprimé en noir et blanc, qui célèbre l’imaginaire et la créativité de l’enfance. Proposer des livres avec pas ou peu de couleur, comme celui-ci, ou Le Yark et L’Étrange réveillon de Bertrand Santini et Lionel Richerand, offre encore plus de place à l’imaginaire. Le noir n’effraie pas, bien au contraire, il permet d’explorer l’ombre et la lumière.
On dirait que vous vous amusez à donner vie à tous ces livres… Il n’y a qu’à voir la façon dont vous les présentez dans votre nouveau catalogue!
Le plaisir est un élément essentiel de notre démarche, et de nos choix éditoriaux. S’il n’est pas à la base de la création, il ne peut pas se transmettre et s’offrir ensuite au lecteur. Nous avons voulu proposer un catalogue qui adopte la forme d’un magazine, avec des publicités détournées, des vraies et des fausses interviews, des petites annonces, pour qu’il soit le reflet de la richesse de notre fonds et de l’originalité de nos nouveautés. C’est également un formidable espace de liberté pour notre directrice artistique, Alice Nussbaum – en remerciement de l’implication et du renouvellement dont elle ne cesse de faire preuve. Encore une histoire de rencontre…
Propos recueillis par Vanessa Sauvage, Librairie Pages d’Encre, Amiens – septembre 2013