«La promesse de Mirto» ne cherche pas à imposer une manière de penser ou de vivre: il parle de choix, de responsabilité et de la diversité des hommes. Jennifer Dalrymple, l’auteure illustratrice de ce récit, nous en raconte la genèse.

«J‘ai écrit Mirto il y a une quinzaine d’années. L’histoire m’est venue comme me viennent la plupart de mes histoires, tout naturellement. Généralement je laisse couler les mots et le récit s’inscrit sur le papier. Si d’aventure je cherche à modifier, étoffer l’histoire, souvent je reviens à la première version qui est plus fluide, instinctive. Presque magique.

Mirto, comme quasiment tous mes personnages, est une partie de moi. Il est mû par l’empathie. Si tous les enfants sont touchés par la mort et la souffrance de la marmotte dans le récit, lui se laisse imprégner par cette émotion. Il ne met pas de barrière, ni émotionnelle, ni intellectuelle. Puis il agit sur ce qu’il a ressenti. Il fait un choix – celui de ne plus tuer ni manger d’animaux, de ne plus utiliser leur peau – et il l’assume.

J’ai décidé pour ma part de ne plus manger d’animaux pendant la guerre de Yougoslavie. Il a été clair pour moi à ce moment que ma propre violence n’était qu’une avec la violence que je voyais dans mon poste de télévision, que les actes de barbarie de ces simples gens en situation de guerre étaient présents en nous tous. Je devais agir sur cela, et le premier acte de non-violence, d’ahimsa, était de ne plus manger ni viande ni poisson. Végétarienne, végétalienne et frutarienne pendant un temps, ma pensée a cependant subi plusieurs cahots par la suite. Il me fallait faire  dans tout ça la distinction entre colère et haine, violence et cruauté, autonomie alimentaire… Mirto, lui, se situe dans le domaine du conte. Et comme on laisse les personnages de contes de fées vivre heureux et pour toujours, je l’ai laissé, lui et son clan, à leur nouvelle harmonie. Moi je reste avec mes questionnements, ma vie à vivre et mes autres histoires à écrire…

Un premier éditeur a accepté ce texte à l’époque où je l’ai écrit. Il avait même bénéficié d’une bourse et donc de l’appui du CNL. Puis il s’est ravisé, le trouvant finalement inapproprié pour un public de jeunes lecteurs. J’en ai été très déçue, mais en fin de compte je pense que ce n’était pas le moment pour cette histoire. Quand je l’ai proposé quinze ans après pour la collection Trimestre, aux éditions Oskar, ce qui a plu à ce second éditeur, c’était la façon dont je parlais du choix et de l’acceptation du choix par les autres. Ce n’est facile ni pour les uns ni pour les autres: assumer ses choix demande beaucoup de force, accepter la différence demande de s’ouvrir à quelque chose qu’on ne comprend pas, qu’on estime tabou ou même dangereux.

Je voulais laisser un autre illustrateur faire les images, ayant entre temps perdu confiance en ma capacité à illustrer quoi que ce soit autre que des chèvres et des moutons [les «classiques à succès» de Jennifer Dalfrymple, ndlr] mais j’ai été plus qu’encouragée  par l’éditeur à les faire moi-même – et en cela je le remercie du fond du cœur car il m’a remis le pied à l’étrier! La collection Trimestre possède une unité graphique dont Benoit Morel a défini les grandes lignes: bichromie, images en gravure ou proche de la gravure. Mais inquiète du côté aléatoire de cette technique (un coup de gouge de travers et l’image est changée, je n’ai pas la souplesse d’artiste nécessaire en la circonstance), j’ai opté pour une pseudo gravure à l’ordinateur et ma souris s’est faite gouge! C’est Benoit Morel qui a rajouté le fond ocré et donné cette touche rugueuse et paléo-mésolithique… qui me plaît beaucoup! »

Jennifer Dalrymple (son site ici)


La promesse de Mirto, ou comment le premier humain refusa de tuer l’animal – Auteure illustratrice: Jennifer Dalrymple – Éd. Oskar – Coll. Trimestre Les récits illustrés – 14,95€
Parce qu’il faut donner la mort pour assurer la vie du clan, les enfants qui ont atteint sept ans vont participer à leur première chasse. Parmi eux, Mirto est mal à l’aise et refuse d’achever la marmotte blessée. Il décide alors qu’il ne chassera plus jamais. Et il assume les conséquences de son choix radical. En cette aube des temps où la chasse est indispensable à la survie de l’espèce humaine, Mirto se dépouille des peaux de bêtes qui l’habillent et se nourrit de graines et de fruits. Son choix, d’abord incompréhensible pour les siens, sera finalement respecté, parce que sa décision «illumine tout le clan». Le végétarisme est à la mode mais ici, Jennifer Dalrymple réussit à ne rien éluder des questions que soulève le fait de refuser de tuer des animaux pour les manger. Mirto devient «celui qui fit une promesse à la marmotte» et est accepté comme tel par son clan parce que celui-ci reconnait la diversité des hommes et des choix qui guident leur vie. Le texte de Jennifer Dalrymple est très beau, tout comme ses images qui évoquent des peintures rupestres. Il donne du sens, bien au-delà des modes, au choix de ne pas tuer d’autres êtres vivants pour assurer sa subsistance. Mirto ne juge pas les autres, il décide simplement de respecter, pour lui-même, la promesse qu’il a faite. – Librairie Comptines