Le Fil d’Ariane: Le regard du Syndicat de la Librairie Française sur l’évolution de la librairie

  • Publication publiée :2 juillet 2017
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Ariane Tapinos, libraire Sorcière à Bordeaux, a siégé neuf ans au Conseil d’administration du Syndicat de la Librairie Française (SLF), et 5 ans à son directoire. Elle est également membre du Conseil d’administration du Centre National du Livre depuis 2010. Pour Citrouille, elle avait interviewé en 2011 Benoît Bougerol, alors président du SLF.


 Les syndicats de libraires sont anciens et ont eu une histoire mouvementée, de l’après-guerre, à la loi Lang. Le Syndicat de la Librairie Française (SLF), date de 1999 et est issu de la fusion de l’Union des Libraires de France (ULF) et du Syndicat National des Libraires de France (SNLF). L’ALSJ quant à elle, a vu le jour en 1982, et son président a été un des acteurs du mouvement qui a abouti à la création du SLF. Si leur forme, leur rôle, leur fonctionnement, sont différents, l’un comme l’autre construisent leur action autour du socle commun que constitue la loi du 10 août 1981 (loi Lang) instituant un prix unique du livre. Cette loi sans laquelle la France ne pourrait s’enorgueillir d’un réseau exceptionnel de librairies indépendantes (dont plus de 500 rassemblées au sein du SLF)
ARIANE TAPINOS: Pouvez-vous nous expliquer comment fonctionne le SLF et comment se résolvent, au sein d’une même organisation syndicale, les questions de  la représentativité et de la concurrence. Je m’explique: le SLF rassemble des librairies très différentes de par leur taille (des chiffres d’affaires qui vont de plusieurs millions d’euros par an à moins de 100 000€), leur organisation (de l’entreprise sur un seul site à la chaîne de librairies)… Comment assurer la représentativité de toutes ces librairies très différentes?
BENOIT BOUGEROL: Le principe du fonctionnement  du SLF est: une entreprise = une adhésion = une voix. Aujourd’hui nos premiers adhérents, par la taille, comme Privat-Chapitre, Gibert Joseph, Decitre ou de très grandes librairies indépendantes, ont chacun une voix au même titre qu’une librairie employant un seul, voire aucun salarié. Ceci assure le principe voulu par les «refondateurs», dont Jean-François Sourdais alors président de l’ALSJ, d’un syndicat ayant vocation à regrouper toutes les librairies, indépendantes ou non, constituées en chaînes ou non, appartenant éventuellement à des groupes**; mais un syndicat où les indépendants représentent plus de 90 % des adhérents ce qui assure une action, une politique, une vision où la librairie indépendante est au cœur d’une diffusion qualitative du livre et de la lecture.
Certes , mais ces différences entraînent aussi de très fortes inégalités dans les moyens dont disposent ces librairies, notamment dès qu’il s’agit de répondre aux appels d’offres des collectivités locales responsables des achats de livres pour les bibliothèques (municipales, d’écoles, CDI…). Or, obtenir, et conserver les marchés pour l’achat des livres jeunesse, dans sa ville ou aux alentours, est souvent vital pour les librairies de notre réseau. Au cours de ces procédures, nombreux sont ceux d’entre nous qui se retrouvent en concurrence avec de grandes librairies indépendantes très éloignées géographiquement. Quel discours le SLF peut-il alors tenir en matière de marchés publics – question, encore une fois vitale pour nos librairies et au-delà, pour le maintien d’un réseau de petites et moyennes librairies de centre ville –  si les librairies concernées sont toutes rassemblées en son sein?
  En 2003, deux changements législatifs importants ont eu lieu. D’une part, il a été fait obligation aux collectivités publiques, pour tous leurs achats, de faire un appel d’offre  (selon des modalités très différentes en fonction des montants). Dans le cas du livre cela a provoqué l’apparition d’appels d’offres et de marchés à la place d’accord de gré à gré, assez courants dans les relations entre librairies et bibliothèques. D’autre part, la loi du 18 juin 2003 a imposé un plafonnement à 9% des remises aux collectivités***. Les librairies indépendantes, y compris les spécialisées, ont globalement bénéficié de ce plafonnement ayant pour but, comme pour la loi de 1981, d’éviter une concentration des ventes par le discount. Une étude récente du ministère de la culture l’a démontré. Les librairies jeunesse, comme les autres, se sont retrouvées confrontées à cette obligation de passer un marché avec donc une mise en concurrence sur le prix, là où précédemment la qualité du travail et le service concret rendu aux bibliothécaires justifiaient des remises plus faibles. Mais le plafonnement a eu le mérite de neutraliser l’emprise grandissante des grossistes sur les marchés. Aujourd’hui, le SLF préconise à ses membres de répondre aux marchés dans leur zone de chalandise, de se fédérer localement afin d’être plus fort par rapport à de grands acteurs mais également face aux collectivités et d’actualiser le «vade-mecum à l’usage des bibliothèques» afin d’adapter les services demandés par les bibliothèques, en forte inflation et souvent aberrants, aux besoins réels de celles-ci et aux capacités des librairies locales.
Vous nous parlez là des efforts à faire du côté de la rédaction des appels d’offres et donc du côté des bibliothèques à qui nous fournissons des livres. Que pensez-vous de l’attitude, pour le moins gourmande, de certaines grandes librairies?
  Malheureusement régulièrement à l’occasion d’appels d’offres la mise en concurrence de plusieurs libraires et grossistes amène à des tensions dommageables à la confraternité que le syndicat souhaite. Mais le souhaiter ne donne pas d’autres moyens que celui, quand cela est demandé par tous, de faire se parler ensemble les libraires. Dans certaines villes la réponse pour un marché se fait par l’ensemble des libraires, unis derrière l’un d’entre eux. Ceci est tout à fait possible et doit être étudié lorsque plusieurs libraires veulent concourir tout en se respectant. Je dois rappeler que, si le SLF promeut évidemment la confraternité, il ne peut régir les relations commerciales et de concurrence entre ses adhérents, sauf évidemment en cas de violation de la loi et des principes en découlant. C’est donc aussi par l’explicitation du rôle irremplaçable du libraire local auprès des élus et décideurs locaux que ce libraire peut défendre et illustrer son souhait de fournir un marché de livres. Ceci rejoint aussi par exemple la démarche auprès de ses élus pour obtenir dans le cadre du label LIR l’exonération de CET.
Si le syndicat peut agir au niveau national sur les dossiers communs essentiels, il ne peut en revanche, être présent dans chaque ville pour promouvoir notre métier. En cela l’existence d’association comme l’ALSJ est une richesse incomparable pour TOUS les libraires, car c’est en rompant l’isolement des libraires, via des associations régionales, des associations de spécialités, et au niveau national par l’action au sein du SLF que l’on peut et pourra répondre aux défis actuels et à venir.
Justement, comment le SLF envisage t-il l’avenir de la librairie face aux évolutions en cours (diminution du nombre des lecteurs et des «grands lecteurs», développement de la vente sur internet) et aux profonds bouleversements à venir en matière de livres numériques?
  Personne ne sait de quoi l’avenir sera fait, évidemment. Il est clair que des mutations importantes sont en marche, et que l’accélération de notre monde donne le tournis. Mais il s’agit d’être présent partout, aussi sur le net, en déployant notre réalité de librairie au coin de la rue dans un nouvel espace, qui ne remplace pas mais complète une réalité physique, humaine, vivante. Le numérique relève des mêmes questionnements. C’est pour cela que nous demandons un prix unique du livre numérique, une TVA réduite, et que nous avons souhaité une présence du livre numérique sur notre site 1001libraires.com. Nous sommes légitimes à proposer tous les livres. Le livre sous toutes ses formes, même numérique. Si demain 10 % des livres vendus le sont en format numérique, il faut que la librairie et plus particulièrement la librairie indépendante en soit un acteur efficace au nom même de la diversité culturelle. Et si ce marché prend de l’ampleur en réduisant les marges des librairies, il n’y aura sur le fond qu’une solution, déjà esquissée par des éditeurs indépendants ayant quelque bon sens: pour assurer la vente des 90% restants en papier, il faudra bien donner aux librairies plus de marge en proportion pour maintenir leur travail. Enfin, nous avons une action résolue à mener en direction des jeunes publics qui se détournent de la lecture. Cela passe notamment par des actions de communication auxquelles le SLF réfléchit. Sur ce sujet les librairies jeunesse ont un savoir faire inégalé qui devra être utilisé.
Pour finir, comment imaginez-vous la librairie de demain, dans ses relations avec les auteurs, les éditeurs et les clients lecteurs?
  La librairie indépendante a traversé bien des tempêtes dont l’essor de la grande distribution, de la VPC, aujourd’hui d’Internet. Si elle continue de représenter près de la moitié de la vente au détail de livres en France et beaucoup plus dans de nombreux secteurs «qualitatifs», c’est parce qu’elle apporte une valeur ajoutée irremplaçable: ses compétences «métier» grâce à la présence humaine de libraires connaissant les livres, les catalogues, les auteurs et les lecteurs, une offre plus riche, un travail d’animation au cœur des villes… Les libraires doivent renforcer sans cesse ces atouts qui font leur différence et assureront leur avenir. Et les éditeurs doivent comprendre que cet investissement qualitatif représente également une bonne part de leur propre avenir et doit être rémunéré en conséquence. Tout ceci autour d’une colonne vertébrale qui est la loi sur le prix unique de livre dont nous allons fêter le trentième anniversaire cette année. Il nous faut maintenant gagner la bataille de la communication auprès de nos clients, et de nos partenaires: oui, votre libraire peut rechercher et commander tous les livres par voie électronique! Oui, votre libraire peut recevoir tel livre aussi vite que les sites de vente, en fonction des délais des éditeurs comme les autres distributeurs! Oui, votre libraire est aussi, ou va être très bientôt, présent sur Internet! Oui, votre libraire est près de chez vous et si vous le désertez vous n’aurez un jour plus son service! Oui, votre libraire est un acteur culturel de votre ville et vous préférez qu’il ne soit pas demain remplacé par une banque ou une franchise de vêtements! Oui, vous déciderez aussi par vos décisions d’achats, de la place de la librairie indépendante dans votre ville, dans votre vie…

Propos recueillis par Ariane Tapinos, librairie Comptines
NOTES :
* Pour le livre,  éditions Gallimard/ La Documentation Française. «Ce livre, que tout professionnel du livre devrait avoir lu, est une excellente synthèse de toutes les problématiques autour du livre. Il compare la situation dans une dizaine d’autres pays, et propose des pistes pour l’avenir».
** Précisons que les Grandes Surfaces Multimedia (GSM: Fnac, Virgin, Cultura, Espaces culturels Leclerc…) ne sont pas adhérentes au SLF mais s’organisent au sein du Syndicat des distributeurs de loisirs culturels.
*** La loi du 18 juin 2003 prévoit que le rabais consenti aux collectivités (bibliothèques, CDI, écoles, comités d’entreprises…) pour leurs achats ne peut excéder 9% du prix public du livre.