Le jardin des épitaphes, t.2: Aimez-moi – EXTRAITS… ET INTERVIEW DE Taï-Marc Le Than PAR SON ÉDITEUR

  • Publication publiée :5 mai 2017
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Suite à une série de catastrophes, appelées «épitaphes», le monde se retrouve plongé dans le chaos. Pour survivre, trois frères et sœurs n’ont d’autre choix que de faire route vers le Portugal, seul endroit où ils pourront prendre la mer afin de rejoindre leurs parents à San Francisco. Mais sur le chemin, il leur faudra affronter les conséquences d’un monde dévasté. A l’occasion de la parution du second et dernier tome de la série Le Jardin des Épitaphes, Taï-Marc Le Than revient avec son éditeur sur la genèse du projet.



DIDIER JEUNESSE: Quelle a été l’idée de départ pour la série ?

THAÏ-MARC LE THAN: Il y a eu plusieurs idées de départ. Après la série Jonah, j’avais besoin de m’embarquer dans un autre univers. J’ai eu envie de créer un monde plus sombre et de jouer avec les codes de l’apocalypse. Mais le plus gros changement a été le récit à la première personne: en tant qu’auteur, l’implication est très différente. Et puis j’ai voulu raconter l’histoire d’une fratrie qui voyage. J’aime voyager avec mes enfants, c’est une véritable parenthèse: dans ces moments-là, on peut échapper au quotidien et échanger librement. Dans mon roman, j’ai souhaité reconstituer ces échanges simples qui font du bien. Les noms des personnages sont arrivés très vite: Poisson-pilote d’abord, qui m’est venu à mon bureau, quand j’ai vu un pack d’eau qui portait l’inscription «pilote». J’avais envie de lui donner une petite sœur qui pleure souvent, pas de tristesse mais parce qu’elle est hyper émotive. Double-peine s’est donc vite imposée aussi. C’était deux noms très inattendus, ça m’a tout de suite plu.

Pour nous, l’originalité du roman est de mêler univers apocalyptique et moments de douceur dans la fratrie. Pourquoi ce mélange ?

L’univers apocalyptique n’était qu’un prétexte. Avec mes enfants, j’essaye de dédramatiser les soucis du quotidien. Dans Le Jardin des Épitaphes, c’est le grand frère qui joue ce rôle. J’ai essayé d’imaginer un endroit hostile dans lequel ce rôle prendrait tout sons sens, comme dans La Vie est belle de Roberto Benigni. L’idée du cimetière me plaisait car il y en avait pas très loin de chez moi quand j’étais enfant. Il était situé dans les bois, je trouvais que c’était un lieu magnifique. Je voulais vraiment aborder le sujet de la fratrie. Je me suis dit: «Raconte Œdipe, mais adapté à un public jeune.» Beaucoup de récits du genre post-apocalyptique se focalisent sur la peur qu’inspirent les zombies; mais moi, les zombies, je les ai tournés en grotesque. Je voulais montrer que ce ne sont pas eux qui sont effrayants, mais les hommes.

Tu as fait toi-même le parcours des  enfants, de la France aux États-Unis. Que t’ont apporté les rencontres, les paysages, les ambiances découverts pendant tout ce temps ?

Ça faisait longtemps que j’avais envie de faire ces voyages, et là, j’avais du temps. Je n’étais jamais parti seul. Je voulais me retrouver dans la même position que mes personnages, livré à moi-même. J’avais besoin de me plonger dans cet état de vulnérabilité pour l’écriture du Jardin des Épitaphes, et pour d’autres projets… Ce n’était pas du repérage mais plutôt du peaufinage. Le livre était déjà écrit quand je suis parti. Gorgé des sons, des couleurs, de la chaleur que j’avais traversés, j’ai pu corriger mon roman, affiner les ambiances, me rendre compte des choses qui étaient justes ou non. On m’a dit un jour que le livre s’écrit quand on le corrige.

Un monde post-apocalyptique? C’est possible?

Je pense que c’est envisageable. Mais il y a une chose dont je suis persuadé: il n’y aura pas de méchants. Si, comme dans Le Jardin des Épitaphes, les nuages se mettent un jour à s’écraser au sol, je pense que les gens se serreront les coudes. Je crois en la bonté humaine, j’ai foi en l’humanité.




{EXTRAIT}

Je déplie mon bâton télescopique d’un mouvement sec.
Tchac.
Ce geste faisait partie de mon entraînement quotidien au combat, l’idée étant de l’effectuer sans dévier le regard d’un millimètre, comme s’il s’agissait d’une formalité des plus anodines. Et mon bâton passe en une fraction de seconde de cinquante centimètres à deux mètres cinquante-quatre. Le propriétaire de Gorgo II se redresse, visiblement surpris.
Hé hé.
Mon sourire s’accentue. J’adore mes machettes, mais je dois reconnaître que ma préférence va au bâton télescopique. Je peux le faire tournoyer horizontalement, verticalement. Je peux frapper de côté, de face. Il n’existe pas d’angle que je ne puisse atteindre avec cette arme, comme si elle délimitait une sphère parfaite tout autour de nous. Nul ne peut pénétrer ce périmètre sans en payer le prix fort.
– On aura le droit de te regarder te battre un jour ? me demande Double-peine.
– Non.
Un homme légèrement plus grand que les autres serre une hachette dans son poing. Hmm… le sang risque de gicler.
– Une autre fois, peut-être… Mais pas aujourd’hui.
Double-peine fait la moue.
Elle noue à contrecœur le foulard autour de ses yeux, avec beaucoup d’aisance, comme s’il s’agissait d’un geste quotidien.
Et ça l’est. Poisson-pilote fait de même. Les voici tous deux dans le noir.
– C’était encore un peu tôt pour mettre vos foulards, leur fais-je remarquer.
– Faudrait savoir, maugrée Double-peine.
– Mais ça va… donnez-moi juste quelques secondes.
– Combien ?
– Une quinzaine… Tu peux faire le compte à rebours si tu veux.
– Quinze, commence-t-elle.
Plusieurs hommes se dressent tout autour de nous. Notre manège a l’air de les intriguer et l’assurance de nos gestes paraît les troubler.
– Quatorze.
Je fais tourner mon bâton au-dessus de ma tête. Juste un tour, pas plus. Pour éprouver sa prise en main. Le métal ne glisse pas sous ma poigne. C’est parfait.
– Douze.
Double-peine a oublié un chiffre. C’est normal, elle est encore trop petite pour effectuer correctement un compte à rebours.
– Onze.
Je l’interromps :
– Tu vas un peu trop lentement. Va directement à cinq.
Elle pose les mains sur ses hanches, l’air contrariée, et déclare d’un ton sec :
– Cinq !
Je refais tourner mon bâton, sur le côté cette fois.
– Quatre.
– Accrochez-vous.
– Trois.
J’entends les deux clics de leurs mousquetons sur ma ceinture.
– Deux.
Je saisis solidement le bâton des deux mains…
– Un.
Et je m’élance.


La souplesse et la résistance de mon bâton me permettent de l’utiliser comme une perche. C’est aussi une des raisons pour lesquelles j’adore cette arme. Je plante son extrémité dans le sable quelques mètres devant nous. Le bâton ploie, décrit un arc de cercle parfait. Les mains des enfants agrippent le bas de mon blouson. Ils sont parés au décollage.
Et c’est parti.
Nous nous élevons à grande vitesse, le vent siffle à nos oreilles. Double-peine et Poisson-pilote poussent un cri, de joie me semble-t-il – j’en suis même sûr, comment ne pas apprécier cette poussée qui nous propulse dans les airs ?
Et nous voici de nouveau face au ciel bleu. L’immensité s’offre à nous. Comme en apesanteur, les enfants pépient de plaisir. Pendant ces quelques secondes, l’attraction terrestre n’a plus aucune incidence. Nous ne sommes plus qu’un flottement abstrait, une virgule improbable. Et notre liberté s’affiche avec insolence aux yeux de nos adversaires.

Nous, les vagabonds du jardin des épitaphes.

{LIRE UN PLUS LONG EXTRAIT ICI}