Anne Helman: Les deux ouvrages Rose Bonbon et L’histoire vraie des bonobos à lunettes sont considérés à l’heure actuelle comme des classiques de la littérature jeunesse, tout en étant dotés d’une idéologie forte. Quelle raison vous à conduite à les rééditer chez Actes Sud Junior ?
Madeleine Thoby : Bibliothécaire de formation et de profession pendant de longues années, je suis depuis toujours attachée aux ouvrages dits «de fonds», aux livres survivant aux modes et vogues en tout genre. Ces deux ouvrages, témoins de l’histoire des idées, illustrent avec humour une lutte, qui, amorcée il y a maintenant plusieurs décennies, reste toujours d’actualité. Cette réflexion sur l’égalité des sexes, sur la place et le rôle des filles, et donc des femmes en devenir, me semblait on ne peut plus à propos. A l’heure où, par exemple, les politiques débattent de la parité et où je me bats encore quotidiennement pour être appelée directrice et non directeur, éditrice et non éditeur, ce débat est loin d’être clos.
Anne Helman: Cette réédition est aussi une nouvelle édition…
Madeleine Thoby: Ces textes étaient parus aux Éditions des femmes, dans la collection «Du côté des petites filles», qui reprenait elle-même les titres de sa consœur italienne «Dalla Parte delle bambine». Adela Turin, suite à des conflits avec ses éditrices françaises, avait rompu toute collaboration avec les Éditions des femmes, ce qui explique la disparition momentanée de ces albums sur la scène éditoriale francophone. Pour ma part, mes excellents rapports, ma complicité, tant avec Adela que Nella, ont sans doute influé sur ma décision de rééditer ces livres. Quelques légers changements y ont été apportés : reprise du titre italien initial, mise en page plus aérée et moins datée (rappelons qu’ils étaient sortis dans les années soixante-dix), nouvelle traduction de l’auteur elle-même. Le résultat est un compromis satisfaisant entre l’esprit d’Actes Sud Junior et les versions originales. Et ma collaboration avec l’équipe Bosnia-Turin est loin de s’en tenir là. Outre les rééditions qui vont se poursuivre, des créations des mêmes auteurs devraient voir le jour chez Actes Sud Junior.
Anne Helman: En quoi proposer ce type d’ouvrage aux jeunes lecteurs peut-il, dans une certaine mesure, changer les choses, ou du moins dénoncer les stéréotypes sexistes?
Madeleine Thoby: Dénoncer n’est pas le propos. La démarche est davantage celle de raconter aux enfants pour les mener à une réflexion. On est davantage dans le registre de l’humour, qui transparaît tout au long des deux albums. C’est par petites touches que l’on présente aux enfants une idéologie féministe, certes, mais jamais didactique ni militante. Je dis volontiers que, quitte à leur raconter des histoires, autant raconter celles qui ont du sens – et celles-ci sont loin d’en être dénuées. Ces livres font le lien entre les adultes et leurs enfants, sans pour autant chercher à donner une quelconque leçon. La tendresse, que des générations antérieures tout comme moi éprouvent pour ces textes, argumentait leur place méritée chez Actes Sud Junior. Ils cadrent avec l’image de la maison, classiques dans la forme et lisibles dans l’illustration.
Anne Helman: Diriez-vous que ce sont des livres pour filles?
Madeleine Thoby: Non! Surtout pas! Ce sont tout autant des ouvrages pour garçons, afin de montrer la complémentarité des deux sexes, la place des uns par rapport aux autres.