L’enfantine va aider le bébé à comprendre qu’il est unique (Marie-Claire Bruley)


Enfantines, de Marie-Claire Bruley et Lya Tourn, précieux recueil publié en 1988 et illustré par le grand Philippe Dumas, Prix Sorcières Tout-Petits 1989, regroupe les formulettes traditionnelles de la toute petite enfance, celles qui sont des « médiateurs d’échanges d’une grande intensité dans le « corps à corps » entre l’adulte et l’enfant », comme il est écrit dans l’introduction. Véritables massages langagiers, ces jeux de sauts, de balancements, de caresses permettent à l’enfant de faire l’expérience de ses limites corporelles. Une seule petite comptine comme « La petite bête qui monte », un seul petit jeu de « A dada sur mon bidet » est un moteur d’échange car il contient tout : la voix, le ton, le rythme, le regard. Destiné à « ceux qui se passionnent pour les débuts de la vie », le recueil donne pour chaque comptine le texte, les variantes, la gestuelle ; il contient aussi des explications littéraires et psychanalytiques sur les formules qui aident à comprendre leur universalité.




Marie-Claire Bruley est née en 1950 à Versailles. Après des études de psychologie, elle enseigne la littérature enfantine dans plusieurs centres de formation d’éducateurs de jeunes enfants à Paris et auprès des professionnels de la petite enfance. Elle est ensuite formatrice pendant deux ans au sein de l’association ACCES (Actions Culturelles Contre les Exclusions et les Ségrégations). Auteure de plusieurs ouvrages autour des formulettes, des comptines et des berceuses, dont Enfantines et Berceuses (École des loisirs), directrice de collection chez Didier Jeunesse, Marie-Claire Bruley est aujourd’hui psychothérapeute auprès d’enfants et d’adultes et continue des formations dans le domaine de la littérature orale pour la jeunesse, notamment autour du patrimoine oral destiné aux jeunes enfants.


Comment est né Enfantines ?
J’enseigne la littérature de jeunesse dans un centre de formation pour éducateurs d’enfant de 0 à 6 ans. Une collègue y enseigne l’éveil sonore… Ensemble, nous avons collecté, dans le cadre de notre travail, ces petites comptines qui se “jouent” sur le corps de l’enfant, et qui se disent comme des chansons. L’idée du livre n’est venue qu’ensuite, du hasard des rencontres…

Comptine et enfantine : ces mots sont-ils synonymes ?
Non, même si les deux appartiennent à un répertoire oral relayé de génération en génération. La comptine est, pour sa part, dite et transmise par l’enfant. Moment d’amusement, rituel, elle sert à compter, à établir les règles du jeu. Elle est fonctionnelle. Elle permet aussi aux enfants de prendre un certain pouvoir sur les mots, eux qui en sont à l’apprentissage des structures syntaxiques.

Et l’enfantine ?
Elle appartient à la même famille que la comptine. Mais ce qui la particularise, c’est qu’elle est dite par l’adulte qui la joue sur le corps de l’enfant. C’est un chant littéraire qui habille le tout-petit de mots poétiques. La mère qui dit une enfantine présente à l’enfant son corps d’une manière ludique et heureuse, puisque l’enfantine finit toujours par un éclat de rire, une surprise (un plouf dans l’eau, un boum par terre…). L’enfantine va permettre à l’enfant de prendre connaissance de son enveloppe corporelle. En effet, quand il naît, il se sépare de sa mère, mais psychiquement, il ne le sait pas. Il a pendant longtemps l’illusion qu’il appartient encore au corps maternel. L’enfantine va l’aider à comprendre qu’il est distant, séparé, unique, un. C’est une élaboration lente, pour le bébé, que de se percevoir lui-même, dans les limites corporelles définies par sa peau.

Pourquoi avoir classé les enfantines en “chapitres” ?
Parce qu’elles ne correspondent pas toutes à la même fonction, ni aux mêmes moments de la vie. Les enfantines des “plaisirs de la peau” sont les premières pour les raisons que nous venons d’évoquer. Celles des “jeux de balancement” évoquent sans doute une espèce de confort d’avant la naissance, un bercement intra-utérin. Mais elles envoient aussi l’enfant au loin, avant de le récupérer, comme une mise en scène de la naissance, ou une préfiguration des séparations qui seront encore à vivre…

Et les jeux de doigts ?
Ces enfantines sont plus longues, plus difficiles. On sent que le corps perd de son importance, on ne tient plus l’enfant que du bout des doigts… Au fur et à mesure que le langage prend son essor, que le premier récit s’instaure, le corps devient plus discret, le langage corporel s’éteint petit à petit. Ces jeux de doigts sont la charnière entre le monde des enfantines et celui des comptines… À trois ans, l’enfant peut entrer dans une multiplicité de récits, aller vers d’autres littératures…

Propos recueillis par Béatrice et Pierre Cerfontaine, librairie L’Oiseau Lire de Visé (parus dans Citrouille en 2003)

Enfantines
M.C. Bruley et L. Tourn, Ph. Dumas
L’École des loisirs

Berceuses et paroles pour appeler le sommeil
M.C. Bruley et L.Tourn, Ph. Dumas
L’école des loisirs