Les 5 Romans Ados nominés pour les Prix Sorcières 2016

Et le lauréat est… à découvrir ici !

Comme un feu furieux – M. Chartres – Éd. l’école des loisirs – 14€

Tiksi, la ville sibérienne du bord de l’Arctique se meurt; autrefois florissante, elle se dépeuple désormais et ressasse son passé dans une nuit interminable. C’est là que vit Galya Bolotine et sa famille, prisonnières d’un silence douloureux. La mère a disparu, laissant le père résigné et absorbé dans son travail, son grand frère muré dans le silence et le plus jeune avide de réponses. Quinze ans tout juste, Galya est confrontée à bien des responsabilités et va faire face à cette situation de deuil avec une force étonnante. Malgré la dureté de sa vie, elle garde ses rêves au fond d’elle, s’y accrochant vigoureusement, espérant le retour du brise-glace majestueux qui l’emporterait loin de cette étouffante immensité. À travers le très beau portrait d’une adolescente, une histoire touchante, écrite avec justesse et précision, sur le deuil et la nécessité d’y faire face pour avancer. 

Les Petites reines – C. Beauvais – Éd. Sarbacane – 15,50€

Pour la troisième année consécutive, Mireille Laplanche est élue «Boudin de l’année» sur une page Facebook créée par un de ses camarades. Être vue comme moche et subir les railleries les plus ignobles, elle en a l’habitude. Ses deux compagnes d’infortune sur le podium de l’ignominie ont, elles, beaucoup plus de mal à encaisser ce classement de mauvais goût… Mireille, Hakima et Astrid ne se connaissaient pas encore mais vont vite se découvrir d’autres points communs inattendus et prendre les choses en mains. Ensemble, et chacune pour une bonne raison, elles décident d’effectuer un voyage en vélo jusqu’à Paris pour se rendre à la garden-party du 14 juillet de l’Élysée. Financement du voyage: à chaque étapes elles vendront… du boudin! Le périple sera un peu long et fatiguant, mais riche en rencontres… Rares sont les romans qui nous font rire aux éclats (vraiment!) et qui nous émeuvent à la fois. Ces petites reines sont hilarantes d’intelligence et nous embarquent avec elles dès la première page. Une grande réussite qui fait réfléchir sur le culte de l’apparence, la course à la célébrité (éphémère), aux dérives des réseaux sociaux, notamment quand ils sont utilisés pour nuire à autrui. Ici c’est l’humour, la solidarité et la capacité à développer un regard critique sur le monde qui sont mis en avant. L’écriture géniallissime de Clémentine Beauvais fait de chaque phrase un pur délice mâtiné d’humour grinçant et d’autodérision. Un road-trip décapant, un grand roman!

La Pyramide des besoins humains – C. Solé – Éd. l’école des loisirs – 12,80€

«Savoir qu’une autre personne a vécu ou vit la même poisse, ça ouvre un trèfle à quatre feuilles dans le coeur». C’est ce que pense Christopher, quinze ans, fugueur, habitant dans la rue sur un morceau de carton et qui vient de s’inscrire à un nouveau jeu de télé-réalité: «La pyramide des besoins humains». Le principe est simple. Les besoins humains sont classés selon cinq catégories: les besoins physiologiques, le besoin de sécurité, le besoin d’amour, le besoin de reconnaissance et enfin le besoin de se réaliser. Les candidats doivent rédiger chaque dimanche un texte de cinq cents caractères maximum prouvant que ces besoins sont assouvis. Le jeu se joue en réseau. Les candidats dont les textes ont reçu le plus de votes peuvent passer au niveau suivant. Il n’en restera que deux pour disputer la finale… Un livre magnifique, court, dense, intelligent. Une première oeuvre formidable de Caroline Solé qui porte une réflexion sur notre société et ses dérives auxquelles nous nous soumettons bien trop vite. Une lecture indispensable pour les adolescents comme pour leurs parents.

Ses griffes et ses crocs – M. Robin – Éd. Actes Sud Junior – 13€

Marcus, héros ou plutôt anti-héros de ce roman, a une vie régie par ses tocs: il est persuadé qu’il arrivera un drame s’il enfreint les règles qu’il s’est imposé. Malheureusement pour lui, ses parents décident d’emmener leur famille passer quelques jours en compagnie d’un couple d’amis et leurs enfants dans un chalet perdu au fond des bois, bouleversant les rituels rassurants de Marcus. Sur place, chacun tente de trouver ses marques, Marcus essuie les regards gênés et les remarques des autres sans esclandres et puis les parents décident de partir en randonnée en laissant les enfants. Mais la nuit tombe et ils ne reviennent pas… On est touché par les personnages de ce roman, loin d’être édulcorés, avec chacun leurs défauts et surtout leurs forces. Il y a une richesse incroyable dans l’intrigue, qui aborde des thèmes différents: la vie de famille, les vacances entre amis, les premiers émois, la maladie, le drame. La nature est elle aussi omniprésente, avec cette Montagne Noire, grande inconnue du livre, et cette forêt toujours plus sombre et oppressante qui devient presque un personnage à part entière du récit. C’est d’ailleurs au creux de ces arbres, tapie dans l’ombre, que se trouve l’intrigue, sous la forme d’une légende cheyenne racontant qu’une bête monstrueuse hante la montagne. L’auteur nous balade de l’angoisse à la douceur, du drame à l’espoir, et de la première à la dernière page, les explications livrées au compte-gouttes entretiennent le suspense et captivent le lecteur jusqu’à la dernière ligne.

À samedi! – H. Ben Kemoun, Zaü – Éd. Rue du Monde – 19€

Il y a Damien, Mélodie et Jérémy, Malo et Bettina, et Myriam aussi, la mère de Mélodie, hantée par son passé. Tout ce petit monde, adolescents et adultes aussi, se cherche et est en quête de l’Amour. Comment in fine les couples se formeront ou se déferont-ils samedi? Quels seront les tours et détours que les jeux de l’amour réservent à chacun? Il faut lire le texte d’Hubert Ben Kemoun pour le savoir. L’auteur suit ses personnages sur quatre jours, au rythme de leurs espoirs et déceptions respectives. En lisant À samedi! on ne peut s’empêcher de penser à Marivaux et à Musset. Bien que le texte ne soit pas sous forme d’une pièce de théâtre, il abonde cependant en dialogues. Les héros d’Hubert Ben Kemoun, ancrés dans leur siècle, approchent la question de l’Amour avec la même gravité que Camille et Perdican l’avaient fait en leur temps. Et leurs questionnements et blessures des premiers émois amoureux ne sont au final pas si éloignés de ceux de Dorante et Silvia. L’auteur, qui pose un regard un tant soit peu désabusé mais néanmoins tendre sur le devenir de ses personnages, a la franchise de nous l’annoncer en citant Socrate en préambule au récit: «La chute n’est pas un échec. L’échec, c’est de rester là où on est tombé.» Et le livre se lit d’une traite. Servi par une forme osée et atypique, ce grand album de soixante-dix pages généreusement illustré par Zaü (qui nous offre ici toute la sensualité de son art) est un beau roman grand format mis en images, dont la maquette peut rappeler certains romans-photos.