Les carnets de Laurent Corvaisier – intimes, essentiels

  • Publication publiée :8 novembre 2016
  • Post category:Archives

(Un article paru en 2011 dans Citrouille, et que nous republions à l’occasion de la parution de Ceci est mon carnet de dessin, de Laurent Corvaisier, aux éditions Rue du Monde) 

C‘était cet été, sur notre place. Nous déjeunions avec ta famille à l’abri du soleil brûlant. Isolé en bout de table, tu ne prenais pas part à nos conversations: tu dessinais dans ton carnet. Ta tête opinait régulièrement pour laisser ton regard saisir, presque furtivement, les lignes d’architecture et les jeux de perspectives des doubles arcades en briques roses, avant que ta main ne les trace à la mine sur la page. La petite boîte d’aquarelle posée sur la table allait ensuite donner les nuances ocre jaune et rose des briques, le blanc écrasé par la lumière crue de midi des carreaux du parvis, les trouées grises des ombres sous les ogives. J’étais très étonnée de voir naître une image qui ne ressemblait en rien à ton travail d’illustrateur, et je mourrais d’envie de feuilleter ce carnet! J’ai attendu que le dessin soit terminé et que tu m’y autorises…

L’objet est beau, c’est un grand carnet au format A4 avec une couverture de cuir rouge. Les feuilles raidies par l’encre et l’aquarelle produisent d’agréables petits sons qui craquettent en tournant les pages. C’est un journal qui saisit la matière, le vivant, et qui raconte en images ton intimité d’artiste, dans une liberté totale. Esquisses crayonnées, natures mortes, paysages de villégiature, scènes de vie intimes… Beaucoup de portraits de proches, aussi, le regard droit fixant l’observateur comme on fixe un objectif de photographe.

Les pages deviennent autant d’invites à entrer dans ton univers. Là une cuisine, un angle de salon ou trône une cheminée, une sieste impromptue sur un transat, une fenêtre ouverte sur des toits, un bâillement de porte sur un coin de lit entr’aperçu. Ailleurs des chemins de campagne qui partent en ligne de fuite, de montagne en été ou sous la neige d’hiver, aquarellés ou encrés. Toutes ces images dégagent beaucoup de plénitude et de sérénité, on y sent le silence, le bruit du vent et des vagues, les pas feutrés… Des respirations déconnectées du quotidien et de ses obligations: la création se nourrit de ces temps dilettantes.

Patricia Matsakis, librairie Le Bateau Livre, Montauban