Par Alain Serres, écrivain, directeur des éditions Rue du monde
Cette première question, c‘est une vraie question. Qui exige une réponse sincère de chacune et de chacun, du brillant élève de petite section de maternelle au cadre bien trop supérieur de la plus internationale des multinationales. Sinon l’humanité vacillerait.
On marche vite, on boite, on court, poussé par le vent des rendez-vous et des obligations. Passer prendre une boite de douze enfants, récupérer les œufs à la bibliothèque, ou l’inverse, on ne sait plus très bien ce que l’on dit ni pourquoi on le fait. Tiens, par exemple, allumer la radio pour suivre le sinistre feuilleton du candidat qui rime davantage avec prison qu’avec dignité. Interroger sa tartine : « Et la République, elle rime à couac ? Est-ce ainsi que les hommes vivent ? »
Par chance, la poésie est là. Elle guette, pleine d’espoir, dans les trous noirs de notre univers quotidien. Elle est cachée derrière la montre, le logo bleu de la banque ou dans l’ombre de la boite de Lego.
Il faut le savoir, le poème est quelque part*. Il espère qu’on le remarque, et cela suffit à le rendre discrètement lumineux. Dans son trou, il a de la peine pour tous ceux qui ne le voient pas. Il est gigantesque pourtant, au point de remplir trois secondes de ma journée, ce qui n’est pas rien.
Ce matin, en allant au travail (en réalité, faire des livres), j’ai vu un poème.
Je pensais à la palette de 800 kg qui allait arriver, à la relance du Trésor public, à ma chaussure droite qui n’est plus tout à fait imperméable lorsque, soudain, j’aperçois une énorme bobine de câble à proximité d’un trottoir éventré par un chantier. Une bobine en bois, de forêt forcément, avec ces mots marqués au pochoir : Fibre Optique. Et juste au creux du O, un escargot, un vrai, avec des antennes, probablement pour la wifi (il faut bien communiquer avec ceux de la forêt). La modernité le faisait baver d’envie. Et sa spirale indiquait au câble le sens de son enroulement.
Merci l’escargot de m’avoir invité ce matin dans ta poétique maison où le passé naturel et le futur immédiat ont fait se conjuguer en moi le verbe poèmer.
Je poursuis mon chemin, éclairé par cette étincelle, en remerciant les poètes, qui m’ont appris à regarder.
Il nous faut inlassablement éduquer à l’art du regard, de l’écoute et de l’émotion poétique**. Ce bonheur doit être équitablement partagé pour apprendre à tous à vivre en paix, dès le plus jeune âge.
Le poème caché dans son trou, noir comme l’encre, le verras-tu aujourd’hui scintiller sur ton chemin ? Tu nous l’écris ?
Demain, si tout va bien, je me poserai ici même la question n°2.
A.S.
* Il est important de lire, dès 5 ans, l’album Ceci est un poème qui guérit les poissons de Jean-Pierre Siméon et Olivier Tallec (Rue du monde), un classique qui s’amuse à chercher ce qu’est la poésie.
** Pour les adultes, se plonger dans L’art poétique de Guillevic (Gallimard), aide à définir le vaste champ du poème
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