Les petits livres d’or. Des albums pour enfants dans la France de la guerre froide – Interview de Cécile Boulaire

  • Publication publiée :15 janvier 2017
  • Post category:Archives
Maître de conférences, spécialisée en littérature pour la jeunesse, Cécile Boulaire enseigne à l’Université François Rabelais de Tours. Depuis plusieurs années, elle coordonne le master Patrimoine écrit et édition numérique, au sein du Centre d’Études Supérieurs de la Renaissance. Membre de l’Association Française de Recherches sur les Livres et Objets Culturels de l’Enfance (Afreloce), Cécile est également responsable de sa revue Strenæ / Recherches sur les livres et objets culturels de l’enfance. De 2008 à 2011, elle a coordonné les travaux de l’équipe ANR “Mame”, consacrés à l’histoire de la maison d’édition tourangelle spécialisée dans les livres pour la jeunesse. Ses recherches personnelles sur l’album sont régulièrement exposées sur son carnet de recherches en ligne, Album ’50’ (album50.hypotheses.org). Son ouvrage Les petits livres d’or. Des albums pour enfants dans la France de la guerre froide est l’aboutissement de ses derniers travaux. La collection Les Petits livres d’or, lancée pour les enfants par les éditions Cocorico en 1949, véhiculent des histoires positives et colorées, avec en filigrane des enjeux politiques, voire diplomatiques. Avec cette étude Cécile Boulaire revient sur l’évolution de l’édition pour la jeunesse en France au début des Trente Glorieuses. Rachel Dionnet (librairie Libr’Enfant) l’a rencontrée.
RACHEL DIONNET: Pourquoi s’intéresser à cette collection?
CÉCILE BOULAIRE: J’avais en projet une «histoire de l’album depuis les années 50» – d’où mon blog, Album ’50’ – et j’ai choisi de commencer par cette collection lancée en 1949.


Qu’a-t-elle de spécifique?
  Elle ne comporte que des traductions: tout est importé des USA, où la collection «mère» a été créée en 1942, pour séduire un marché populaire. Le projet était: essayons de vendre des albums aux familles, en dehors des fêtes de fin d’année. Pour ça, l’éditeur parie sur l’effet spectaculaire de l’offset, qui permet la couleur à toutes les pages, et il opte pour un prix quatre fois plus bas que le marché. Ça n’est rentable que parce qu’il vend hors du circuit des librairies: en drugstore et dans les chaînes de grands magasins. Cette collection fait vraiment basculer l’album du côté de la consommation de masse!


Mais le contenu vaut-il la peine?
  La bonne surprise, c’est ça! Les éditeurs, notamment Georges Duplaix, franco-américain à l’origine du projet, ont de l’intuition et du goût, et vont attirer les meilleurs auteurs et illustrateurs de l’époque: Margaret Wise Brown (l’auteur de Bonsoir lune), Feodor Rojankovsky, qui vient de quitter le Père castor et d’émigrer, Gustaf Tenggren, qui travaillait chez Disney… Il y a des réussites splendides dans cette collection, les lecteurs s’en souviennent des décennies après.


Les Français voulaient donc importer la collection?
  En fait, l’éditeur américain veut faire un «coup» et investir le marché européen, en faisant transiter par Paris les films permettant d’imprimer les albums. Une fois en France, ils repartent vers la Hollande, l’Allemagne, la Suède… On est vraiment dans une logique de conquête d’un marché mondial. Mais ce que j’ai découvert, c’est le soubassement idéologique de ce projet: Georges Duplaix, qui est l’artisan de cette importation, travaillait en fait pour la CIA! Il y avait une inquiétude quant à l’emprise des Communistes sur la jeunesse européenne: il fallait soutenir une collection qui présentait le mode de vie américain sous un jour tellement séduisant….


Propos recueillis par Rachel Dionnet, librairie Libr’Enfant à Tours

Éditions: Presses universitaires François-Rabelais – 39€ – Documentaire
Connaissez-vous Les Petits Livres d’or, cette fameuse collection parue en France en 1949 aux éditions Cocorico et que des artistes talentueux comme Féodor Rojankovsky ou Tibor Gergely ont illustrée? L’ouvrage que vient de publier Cécile Boulaire nous invite à étudier de plus près cette série d’albums devenue fort célèbre. L’analyse de l’auteur est riche et passionnante; nous plongeons dans le contexte de l’après-guerre, pour retrouver les origines américaines de la collection (les Little Golden Books). Nous prenons la mesure de la richesse créative de ces albums populaires, du discours général d’une véritable aventure éditoriale. Explorant au fil des pages les dessous de l’édition et de la création, nous appréhendons la réalité des enjeux commerciaux, la place et le rôle de cette collection dans l’histoire de la littérature pour la jeunesse. Ponctué d’illustrations, le livre offre l’opportunité de revenir aux sources de la construction d’un livre pour enfant et de ce que fut un Petit Livre d’or. – Élisabeth Mie pour Libr’Enfant